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Oeuvres de Walter Scott, trad Defauconpret/La Dame du lac/Notes de la Dame du Lac

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Traduction par Auguste-Jean-Baptiste Defauconpret.
Œuvres de Walter Scott, tome vingt-neuvièmeFurne, Charles Gosselin, et Perrotin (p. 437-442).


NOTES
DE LA DAME DU LAC.

CHANT PREMIER.

Note a. — Paragraphe xxii.

Si l’évidence pouvait nous autoriser à croire des faits qui contrarient les lois générales de la nature, on pourrait appuyer par de nombreuses preuves la croyance à la seconde vue. On l’appelle Taishitaraugh dans la langue gallique, de Taish (apparence fantastique ou imaginaire). Ceux qui sont doués de cette faculté, de ce sens prophétique, sont nommés Taishatun, qu’on pourrait traduire par le mot visionnaire. Martin, qui croit fermement à la seconde vue, en parle en ces termes :

« La seconde vue est une faculté singulière de voir un objet d’ailleurs invisible, sans préparation préalable. La vision fait une impression si vive sur les devins, qu’ils ne voient que cette vision même, et ne sont distraits par aucune autre pensée tant qu’elle continue. Ils paraissent alors tristes ou gais, suivant l’objet qui leur est représenté. »

« A l’approche d’une vision les paupières se contractent et se lèvent, les yeux demeurent fixes jusqu’à ce que l’objet s’évanouisse.

« Si on voit quelqu’un entouré d’un linceul, c’est un sûr pronostic de mort.

« Si on voit une femme se tenant debout à la gauche d’un homme, c’est un présage de mariage entre eux : qu’ils vivent dans le célibat, ou même qu’ils soient mariés, n’importe !

« Si deux ou trois femmes sont vues ainsi à la gauche d’un homme, cet individu les épousera toutes les unes après les autres, quelles que soient les circonstances actuelles, etc., etc. » (Martin, Description des îles, etc. ; 1716.)

A ces particularités on pourrait ajouter d’innombrables exemples, tous attestés par des auteurs graves et dignes de foi ; mais en dépit de l’évidence, à laquelle n’ont pu se refuser ni Bacon, ni Boyce, ni Jonhson, le Taish avec toutes ses visions semble être totalement abandonné aux poètes. Le poëme si parfaitement beau de Lochiel[1] vient naturellement à la mémoire du lecteur.

Note b. ― Paragraphe xxviii.

Ces deux fils d’Anak sont fameux dans les livres de chevalerie : le premier est bien connu des admirateurs de l’Arioste, sous le nom de Ferran ; il fut un des antagonistes de Roland, et tué par lui dans un combat singulier. Le roman de Charlemagne lui attribue des formes on ne peut pas plus gigantesques.

Ascapart ou Ascabart joue un rôle important dans l’histoire de sir Bevis de Hampton, par qui il fut vaincu. Son effigie peut être vue encore sur un côté de la porte de Southampton, dont l’autre est occupé par sir Bevis lui-même.


CHANT SECOND.

Note c. — Paragraphe xii.

Cet attentat dont Roderic est ici accusé n’était pas rare à la cour d’Écosse, où la présence du souverain ne pouvait prévenir l’effusion du sang.

Note d. Paragraphe xv.

Les anciens guerriers, dont l’espoir et la confiance reposaient presque entièrement sur leur épée, avaient l’habitude d’en tirer des présages, surtout de celles qui étaient enchantées ou fabriquées par l’art des magiciens. Nous renvoyons aux romans et aux légendes du temps. Bartholin (De causis contemptæ a Danis adhuc gentilibus mortis) raconte l’histoire de la merveilleuse épée Skofnung, qui fut trouvée dans un tombeau royal par un pirate. Je citerai une anecdote qui a aussi son mérite en fait de merveilleux.

Un jeune gentilhomme s’égara dans les faubourgs d’une ville capitale d’Allemagne, où l’approche d’un orage le força de se réfugier dans une maison voisine. Il frappa à la porte ; elle lui fut ouverte par un homme de haute taille, d’un aspect féroce et dans un costume dégoûtant. L’étranger fut introduit dans une chambre dont les murs étaient garnis de sabres, de haches, et de machines qui semblaient former un véritable arsenal d’instrumens de tortures. Il hésitait à entrer, lorsqu’un sabre tomba de son fourreau. Son hôte le regarda alors avec un air si extraordinaire, que le jeune homme ne put s’empêcher de lui demander son nom, sa profession, et ce que voulait dire l’expression de sa figure. Je suis, répondit cet homme, le bourreau de la ville, et l’incident que vous avez observé est un présage certain que je dois un jour, dans les fonctions de mon emploi, vous trancher la tête avec cette lame qui vient d’abandonner spontanément son fourreau.

Le jeune homme ne se soucia pas de demeurer long-temps chez son hôte ; mais s’étant trouvé dans une émeute, quelques années après, il fut décapité par le bourreau, et avec le sabre qu’il avait vu chez lui.

Note e. — Paragraphe xx.

Lennox était particulièrement exposé aux incursions des montagnards. La bataille de Glen-Fruin est fameuse par le sang qui y fut répandu avec tant d’atrocité (1602).

Les suites de cette bataille furent terribles pour le clan des Mac-Gregor, qui y avait figuré, et qui passait déjà pour une tribu rebelle. Les veuves des Colguhoums qui avaient été égorgés vinrent, au nombre de soixante, trouver le roi à Stirling ; elles étaient toutes montées sur des palefrois blancs, et portaient les chemises sanglantes de leurs maris au bout d’une pique. Jacques VI fut si touché de leur douleur, qu’il exerça sur les Mac-Gregor une terrible vengeance. On proscrivit jusqu’au nom de ce clan ; tous ceux qui lui avaient appartenu étaient passés au fil de l’épée ou livrés aux flammes, et chassés avec des limiers comme des bêtes féroces.

Nous renvoyons nos lecteurs au chef-d’œuvre de Rob-Roy, qui nous autorise à abréger cette note.


CHANT TROISIÈME.

Note f. — Paragraphe i.

Quand un Chef voulait convoquer son clan dans un pressant danger, il tuait une chèvre, et, taillant une croix de bois, en brûlait les extrémités pour les éteindre dans le sang de l’animal : c’était ce qu’on appelait la croix du feu, et aussi Crean Tarick, ou croix de la honte, parce qu’on ne pouvait refuser de se rendre à l’invitation qu’exprimait ce symbole, sans être voué à l’infamie. La croix était confiée à un messager fidèle, et agile à la course, qui la portait sans s’arrêter jusqu’au village voisin, où un autre courrier le remplaçait aussitôt par ce moyen, elle circulait dans la contrée avec une célérité incroyable.

Note g. — Paragraphe iv.

L’état de la religion dans le moyen-âge laissait de grandes facilités à ceux qui, par leur genre de vie, étant exclus du culte régulièr, voulaient cependant se conserver l’assistance spirituelle d’un confesseur prêt à adapter sa doctrine aux besoins particuliers de son troupeau. On sait que le fameux Robin Hood avait pour chapelain le moine Tuck : ce moine tronqué était probablement de la même espèce que ces pères spirituels des bandits de Tynedale, contre lesquels, sous Henri VIII, l’évêque de Durham fulmina une excommunication. (Voyez Ivanhoe.)

Note h. ― Paragraphe vii.

Ce bruit entendu sur le Benharow fait allusion à un présage semblable, qui annonce toujours, assure-t-on, la mort à l’ancienne famille de M. Lean : c’est l’esprit d’un de ses ancêtres, tué jadis dans une bataille, qui galope sur une montagne.


CHANT QUATRIÈME.

Note i. — Paragraphe iv.

Comme tous les peuples grossiers, les montagnards avaient différentes manières de consulter l’avenir. Une des plus remarquables était le Taghairm, dont il est question dans le texte. On enveloppait un homme dans la peau d’un taureau nouvellement égorgé, et on le déposait près d’une cascade, au fond d’un précipice, ou dans quelque autre lieu sauvage dont l’aspect ne pût lui inspirer que des pensées d’horreur. Dans cette situation, cet homme devait repasser dans son esprit la question proposée ; et toutes les impressions que lui fournissait son imagination exaltée, passaient pour l’inspiration des habitans imaginaires du lieu où il était exposé.

Note k. — Paragraphe xii.

Le conte romantique d’Alix est tiré d’une ballade danoise très curieuse, publiée dans un recueil de chansons héroïques, en 1591, par Anders Sofrensen.

Note l. — Paragraphe xiii, — Stance 2.

On a déjà observé que les fées, sans être positivement malveillantes, sont capricieuses , aisément offensées, et jalouses de leurs droits de vert et de venaison, comme tous les propriétaires de forêts. Les nains du Nord, dont les fées participent beaucoup, avaient les mêmes prétentions et les mêmes caprices ; leur malice était encore plus rancuneuse.

Note m. — Paragraphe xv.

Il n’est rien de plus connu dans l’histoire de la féerie que la nature illusoire et fantastique des plaisirs et de la splendeur des habitans de ces royaumes enchantés.


CHANT CINQUIÈME.

Note n. — Paragraphe xii.

Les duellistes des anciens temps ne respectaient pas toujours les règles du point d’honneur sur l’égalité des armes : il est vrai que dans les joûtes d’un tournoi on forçait les combattans à n’avoir, autant que possible, aucun avantage les uns sur les autres ; mais dans les duels particuliers c’était une loi moins rigoureuse.

Note o. — Paragraphe xxi.

Chaque bourg d’Écosse, mais surtout les villes considérables, avaient leurs jeux solennels : on y distribuait des prix à ceux qui excellaient à tirer de l’arc, à la lutte, et dans les exercices gymnastiques de cette époque.

Jacques V aimait particulièrement les amusemens populaires, ce qui contribua sans doute à lui faire donner le surnom de roi des Communes, ou rex plebeiorum, comme Lesly l’appelle en latin.


CHANT SIXIÈME.

Note p. — Paragraphe iii.

Les armées écossaises étaient composées de la noblesse et des barons avec leurs vassaux, qui étaient tenus au service militaire. L’autorité patriarcale des chefs de clans dans les montagnes et sur les frontières était d’une nature différente, et quelquefois peu d’accord avec les principes de la féodalité ; elle était fondée sur la patria potestas, exercée par le Chef, qui représentait le père de toute la tribu, et à qui on obéissait souvent contre son supérieur féodal.

Il paraît que Jacques V fut le premier qui introduisit dans les armées écossaises une compagnie de mercenaires, qui formaient une garde pour le roi, et qu’on appelait les gardes à pied.

Le poète satirique sir David de Lindsay (ou l’auteur du prologue de la comédie The Estates) a choisi pour un de ses personnages un certain Finlay, des gardes à pied, qui, après beaucoup de rodomontades, est mis en fuite par le fou, qui lui fait peur avec une tête de mouton au bout d’une perche. J’ai donné à mes soldats les traits grossiers des mercenaires de ce temps-là, plutôt que ceux de ce Thraso écossais ; ils tenaient beaucoup du caractère des aventuriers de Froissart, ou des condottieri d’Italie.

Note q. — Paragraphe xxvi.

Le chevalier de Snowdoun est le roi d’Écosse. Cette découverte rappellera probablement au lecteur le beau conte arabe d’il Bondocâni. Cependant cet incident n’a pas été emprunté aux Mille et une Nuits, mais à la tradition écossaise. Jacques V était un monarque dont les bonnes intentions excusaient les caprices romanesques : il faut même lui savoir gré du surnom de roi des Communes, que lui valut l’intérêt qu’il prenait à la classe opprimée de ses sujets.

Afin de voir par lui-même si la justice était régulièrement administrée, mais souvent aussi par des motifs, moins louables, de galanterie, il avait l’habitude de parcourir la contrée sous divers déguisemens. Deux de nos meilleures ballades sont fondées sur le succès de ses aventures amoureuses. Celle qui est intitulée : Nous n’irons plus errer (Weell gae nae mair roving), est peut-être la meilleure ballade comique de toutes les langues connues.

Une autre aventure, qui faillit coûter la vie à Jacques, eut lieu, dit-on, au village de Cramond, près d’Édimbourg, où il était parvenu à plaire à une jolie fille d’un rang peu élevé. Quatre ou cinq hommes, parens ou amans de sa maîtresse, attaquèrent le monarque déguisé à son retour du rendez-vous. Naturellement brave et d’une rare habileté dans l’art de l’escrime, le roi se posta sur le pont étroit de la rivière d’Almond, et se défendit vaillamment avec son épée.

Un paysan qui battait du blé dans une grange voisine accourut au bruit, et, n’écoutant que sa bravoure naturelle, se rangea du parti le plus faible, et employa si bien son fléau, qu’il dispersa les assaillans, bien battus, c’est le cas de le dire ; il conduisit ensuite le roi dans sa grange, où le prince demanda un bassin et une serviette pour essuyer le sang dont il était couvert. Jacques fit ensuite parler le paysan, pour savoir quel serait le terme de ses désirs ; il apprit que toute son ambition était de posséder en toute propriété la ferme de Brachead, où il n’était qu’un simple journalier. Il se trouva que la terre appartenait à la couronne, et Jacques engagea son libérateur à se rendre au palais d’Holy-Rood, et d’y demander le fermier de Ballanguish, nom sous lequel il était connu dans ses excursions, et qui répondait à celui d’il Bondacâni, qu’avait adopté le calife Haroun-al-Réchyd.

Le paysan se présenta au palais suivant son instruction, et ne fut pas peu surpris de voir qu’il avait sauvé la vie du monarque, qui lui remit en pur don la terre de Brachead. Pour toute redevance, il fut tenu, lui et ses héritiers, d’offrir au roi, toutes les fois qu’il passerait sur le pont de Cramond, une aiguière, un bassin et une serviette pour se laver les mains.

Ce paysan est l’ancêtre des Howisons de Brachead, famille respectable qui conserve cette propriété avec la même clause.

Une autre aventure de Jacques est ainsi rapportée par Campbell :

« Jacques, surpris par la nuit dans une partie de chasse, et séparé de sa suite, entra dans une chaumière au milieu d’un marais, au pied des coteaux d’Ochill, Il fut accueilli parfaitement, quoiqu’il ne fût pas connu. Pour régaler son hôte, le fermier voulut que sa femme tuât pour le souper la poule perchée le plus près du coq, comme celle qui est toujours la plus grasse. Le roi, en partant, engagea le fermier à venir le voir quand il viendrait à Stirling, et à demander le fermier de Ballanguish. Donaldson, c’était son nom, le lui promit, et tint parole. Quand il découvrit qu’il avait été l’hôte du roi, il amusa toute la cour par sa surprise, et fut toujours désigné depuis sous le nom de roi des Marais, par Jacques lui-même. Ce titre a passé jusqu’à son dernier descendant, que M. Erskine de Mar vient de renvoyer de sa ferme parce que Sa Majesté, indolente au dernier point, refusait d’imiter les innovations que les progrès de l’agriculture ont indiquées de nos jours. »

Les lecteurs de l’Arioste accueilleront avec plaisir le roi Jacques tel que la tradition nous le représente ; car il est généralement regardé comme le prototype de Zerbin, le héros le plus intéressant de Roland furieux.


FIN DES NOTES DE LA DAME DU LAC.

  1. Par Campbell, auteur des Plaisirs de l’Espérance et de Gertrude de Wyoming.