On purge bébé !/Scène V
Scène V
Bastien, je t’en prie, viens ! ce petit me rendra folle ! Je ne peux pas en venir à bout !
Ah ! çà, tu perds la tête ! Tu viens ici comme ça ! Regarde-toi, je t’en prie ! (Indiquant Chouilloux.) Monsieur Chouilloux !
Je m’en fiche de M. Chouilloux !…
Hein ?
Mais non ! mais non ! Je t’en prie ! (Présentant à tort et à travers.) Monsieur Chouilloux ! Ma femme !
Madame !
Oui ! bonjour, monsieur ! Vous m’excuserez, n’est-ce pas, de me montrer ainsi… !
Mais je vous en prie, madame ! une jolie femme est bien de toutes les façons !
Trop aimable ! merci ! (À son mari.) Je t’en prie, il n’y a pas moyen de venir à bout de ce petit ! Quand on lui parle de purgation…
Oui ! Eh ! bien, tant pis ! je regrette ! Je suis là à causer sérieusement avec M. Chouilloux ! j’ai autre chose à faire que de m’occuper des purgations de ton fils.
Oh !… voilà un père, monsieur ! Voilà un père !
Oui, madame ! oui !
Je te prie d’aller t’habiller ! Je suis honteux pour toi de voir dans quel état tu oses te montrer ! Il faut vraiment n’avoir aucun souci de sa dignité…
Ah ! bien, si tu crois que je vais m’occuper de ma toilette dans des moments pareils !
Vous avez un enfant souffrant, madame ?
Oui, monsieur, oui !
Mais il n’a rien, monsieur Chouilloux ! il n’a rien !
Enfin il n’a pas été ce matin.
Ah ? Ah ?
Eh ! bien, oui ! il a un peu de paresse d’intestin.
Il appelle ça rien, lui ! il appelle ça rien ! On voit bien qu’il ne s’agit pas de lui !
Enfin, quoi ? c’est l’affaire d’une purgation !
Oui, oh ! je sais bien ! Mais purge-le, si tu peux, toi. C’est pour ça que je te dis de venir. Seulement, il n’y a pas de danger ! Toutes les corvées c’est pour moi !
Vraiment, ne dirait-on pas qu’il s’agit de quelque chose de grave !
Ce n’est pas grave, en effet ; mais, tout de même, il ne faut pas jouer avec ces choses-là !
Ah ! Tu vois ce que dit monsieur… qui a du savoir.
Ah ! vraiment, monsieur Chouilloux… ?
Evidemment !… Evidemment !… (À Julie.) Est-ce que l’enfant est sujet — pardonnez-moi le mot — à la constipation ?
Il a plutôt une tendance, oui.
Oui ? Eh ! bien… il faut surveiller ça ! parce qu’un beau jour, ça dégénère en entérite, et c’est le diable pour s’en défaire.
Là ! Là ! Tu vois ?
Je peux vous en parler savamment : j’en ai eu une, qui m’a duré cinq ans !
Ah ! (Dans le mouvement de retour de la tête du côté de Chouilloux.) Pauv’Bébé !
Merci !
Comment ?
Ah ! pardon, je croyais que c’était à moi que…
Non !… Non !
Oui, madame, cinq ans ! J’avais attrapé ça à la guerre.
En 70 !
Non, en 98.
En 98 ? Mais… il n’y a pas eu de guerre, en 98.
« À la guerre, à la guerre » ! au ministère de la Guerre !… où je suis fonctionnaire.
Ah ! bon !
Oui, parce que M. Chouilloux est…
Oui, oui, je sais.
Souvent, j’avais soif… je buvais de l’eau, qu’on prenait là, n’importe où… J’étais le monsieur qui disait : « Ah ! là, là !… les microbes !… l’eau du robinet, voilà !… » Oui, eh bien ! à ce régime, je me suis collé la bonne entérite ! et, résultat : j’ai dû aller trois ans de suite à Plombières !
Ah ! Alors, pour Bébé, vous croyez que Plombières… ?
Ah ! Non !… non, lui, il aurait plutôt l’entérite à forme constipée : Châtel-Guyon conviendrait mieux. Moi, j’avais en quelque sorte l’entérite… Mais si on s’asseyait ?
C’est ça, monsieur Chouilloux ! tout ça est si intéressant !
Il est allé chercher près de son bureau la chaise volante qu’il apporte près du canapé et s’y assied.
… J’avais plutôt, dis-je, l’entérite — pardonnez-moi cette confidence ! — l’entérite relâchée…
Ah ?… Ah ?
Ah ! comme c’est intéressant, monsieur Chouilloux.
Alors, Plombières était désigné. Ah ! quel régime !
Et… qu’est-ce qu’on vous fait faire, à Châtel-Guyon ?
Hein ! à… ? Je ne sais pas madame ; je n’y ai pas été. (Revenant à ce qui l’intéresse.) Mais à Plombières… ! Tous les matins, une douche ascendante : un litre, un litre et demi.
Oui, ça, ça m’est égal ! Mais vous ne savez pas si à Châtel-Guyon… ?
Mais non, madame, je vous dis, je n’y ai pas été !… (Revenant à ses moutons.) Une fois la douche terminée, je prenais un bain… un bain d’une heure ; après quoi un massage…
Oui !… oui…
Après quoi, le repas ; rien que des plats blancs : purées, pâtes, macaroni, nouilles ; gâteaux de riz, de semoule…
Oui, mais… à Châtel-Guyon… ?
Oh ! mais puisque M. Chouilloux te dit qu’il n’y a pas été !
Oui, je suis désolé, mais…
Il ne peut te parler que de son régime de Plombières.
Mais je m’en moque, moi, de son régime de Plombières.
Ah ?… pardon !
En quoi veux-tu que ça m’intéresse le régime de Plombières de M. Chouilloux, puisque pour Bébé c’est Châtel-Guyon ! (Se levant.) M. Chouilloux, qui est un homme intelligent, me comprend très bien.
Mais oui ! mais oui !
Il pourrait aussi me raconter comment on pêche la morue à Terre-Neuve ; ça serait très intéressant ; ça n’aurait rien à voir avec la santé de Toto.
Evidemment ! évidemment !
Je ne suis pas là pour écouter des histoires ; j’ai à purger Bébé !
Eh ! ben, bon ! bien ! ça va bien ! va purger Bébé !
Vous m’excusez, n’est-ce pas, monsieur ?
Je vous en prie, madame.
Alors, tu ne veux pas venir ? non ?
Ah ! non ! non !
Oh ! ce père ! ce père !
Oui ! C’est entendu ! bon ! Et habille-toi !
Oui ! Oh !… Oh ! ce père !