Ontologie naturelle/Leçon 16

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Garnier Frères (p. 135-141).

SEIZIÈME LEÇON

Ovologie. — Tout animal vient d’un œuf ; tout œuf vient d’un ovaire. — Vérification de cette double loi dans les mammifères. — Harvey. — Stenon. — Regnier de Graaf. — Baër. — Physiologie élémentaire de l’œuf de l’oiseau.

Je vous ai déjà cite le fameux axiome d’Harvey : Tout être vivant vient d’un œuf — Omne vivum ex ovo.

Aristote, ainsi que je l’ai dit dans une autre leçon, divisait les animaux en trois classes, relativement au mode de génération. Il distinguait :

1o Les animaux vivipares, qui produisent un petit vivant ; ce sont ceux que nous appelons aujourd’hui mammifères. Aristote, avec cette sagacité qui rarement lui manque, range dans cette classe les chauves-souris que l’on considérait encore, au temps de Linné, comme des oiseaux, et les cétacés que Linné lui-même classait parmi les poissons ;

2o Les animaux ovipares, qui produisent un œuf, tels que les oiseaux, les reptiles, les poissons, plusieurs insectes. Malgré les apparences, Aristote comprend, avec raison, dans les ovipares la vipère et les sélaciens ;

3o Les animaux à génération spontanée. Nous avons vu qu’Aristote entend par là tous ceux dont il n’a pas étudié le mode effectif de génération.

Aujourd’hui ces trois modes de génération n’en font plus qu’un. Tous les animaux, sans exception, sont reconnus ovipares, avec cette seule distinction que, dans les uns, ceux qu’on appelle les ovipares proprement dits, l’œuf sort avant le développement du fœtus, et que, dans les autres, les vivipares ou mammifères, l’évolution de la vie fœtale se passe dans la matrice et que le petit ne sort que lorsque son développement de fœtus est complet.

La loi qui préside au mécanisme de la génération des êtres est une loi unique.

Tous les animaux, dont nous avons pu jusqu’ici étudier le mode de génération, sont ovipares.

À la loi d’Harvey : Tout être vivant vient d’un œuf, ajoutons-en une autre : Tout œuf vient primitivement d’un ovaire.

L’application de cette double loi aux mammifères a demandé une longue suite d’efforts, et de la part des physiologistes les plus éminents.

Harvey ouvre la série. Son beau livre De generatione date de 1651. J’ai dit qu’Harvey n’avait vu l’œuf des vivipares que dans la matrice. En cela, sa recherche s’était arrêtée trop tôt. Mais la production de l’œuf dans l’organe que nous appelons aujourd’hui ovaire étant, de son temps, un fait reconnu pour les ovipares, il était facile de prévoir que ce fait serait bientôt généralisé.

Pour les anciens, l’ovaire des vivipares n’était qu’un testicule qui sécrétait une liqueur fécondante, analogue à celle du mâle. Ce fut l’opinion d’Hippocrate, de Galien, de toute l’antiquité médicale. Buffon lui-même a partagé cette erreur : il suppose dans la femelle des réservoirs séminaux où se rendent les molécules organiques, comme dans le mâle ; et, dans le mâle comme dans la femelle, il appelle ces réservoirs : testicules.

Stenon a reconnu, le premier, dans le prétendu testicule de la femelle, l’organe qui est le véritable producteur des œufs : l’ovaire. Le livre où il démontre ce fait est intitulé : Observationes anatomicæ ova viviparorum spectantes, 1662[1].

Regnier de Graaf vient ensuite. C’est lui qui découvrit l’œuf dans l’ovaire. Il est vrai qu’il n’a vu que la vésicule qui renferme l’œuf, et non pas l’œuf lui-même. Ce dernier progrès appartient à notre époque. Graaf n’en a pas moins fait en ce genre le premier pas. Pour démontrer que l’œuf vient de l’ovaire, il imagina cette belle expérience : sur une chienne déjà fécondée, il lia une des trompes. La chienne mit bas, et Graaf constata que les petits venaient de la trompe qui n’avait pas été liée. La ligature de l’autre trompe avait interrompu la marche des œufs de ce côté. Ces œufs s’étaient développés d’une manière imparfaite, et là où ils avaient été arrêtés, c’est-à-dire dans la trompe, il s’était produit ce qu’on appelle une grossesse tubaire.

Le livre où Graaf a consigné ses difficiles observations a, pour titre : De mulierum organis generationi inservientibus tractatus novus, demonstrans tam homines et animalia cætera omnia quæ vivipara dicuntur haud minus quam ovipara ab ovo originem ducere, 1672. Ce titre est un exposé sommaire de la vraie, de la nouvelle doctrine, de la doctrine actuelle touchant la génération.

Enfin, en 1827, M. Baër distingua, le premier, dans l’œuf : 1o la vésicule qui le contient ; 2o l’œuf proprement dit.


Maintenant, étudions l’œuf, et commençons par l’œuf de l’oiseau. Tout le monde le connaît. C’est, d’ailleurs, à cause de son grand volume, le plus facile à étudier.

Nous voyons dans un œuf d’oiseau, dans l’œuf de la poule, par exemple :

1o Une coquille calcaire, poreuse. C’est l’enveloppe générale, le corps protecteur ;

2o Une pellicule qui tapisse intérieurement la coquille, pellicule appelée membrane calcaire ou membrane de la coque. Elle se compose de deux lames qui, à l’une des extrémités de l’œuf (au gros bout), cessent d’adhérer ensemble. L’intervalle qui s’établit entre elles forme ce qu’on appelle la chambre à air. C’est là que se rassemble l’air qui pénètre par les pores de la coquille pour la respiration du fœtus. Si l’on bouche ces pores avec de l’huile, avec de la colle, etc., le petit périt par asphyxie ;

3o Un produit à demi liquide, le blanc de l’œuf. Il sert à délayer le jaune qui est l’aliment du fœtus ;

4o Les chalazes que, dans le langage vulgaire, on appelle si improprement le germe. Elles sont situées aux deux pôles de l’œuf : ce sont deux prolongements de la membrane du blanc ou membrane chalazifère, tordus par la rotation de l’œuf dans l’oviducte ;

5o Le jaune ou vitellus. L’incubation ne devant introduire aucun aliment dans l’œuf, il faut que le fœtus tire de l’œuf même toute sa subsistance. C’est le jaune qui la lui fournira. Le jaune est contenu dans une membrane appelée membrane vitelline ;

6o Enfin, et ceci est la partie principale, la cicatricule, tache circulaire, lieu où s’accomplissent les premiers phénomènes de la formation et du développement du nouvel être.

Telles sont, considérées d’une vue générale, les différentes parties de l’œuf. Nous en ferons plus tard un examen plus particulier. Pour le moment, je me contente de vous dire que ces parties que nous venons de voir dans l’œuf de la poule, nous les retrouverons dans les œufs de tous les animaux : Tout œuf est, au fond, composé de même.

  1. Stenon était un homme de génie. Dès ses premiers pas dans l’anatomie, il découvrit le conduit excréteur des parotides ou de la salive, conduit qui porte encore son nom : le conduit de Stenon. Il est le premier qui ait reconnu que le cœur n’est qu’un organe de mouvement, un muscle. Avant lui, les physiologistes faisaient du cœur l’organe de la formation des esprits vitaux. (Voyez mon Histoire de la découverte de la circulation du sang.) C’est encore lui qui a eu le mérite de découvrir la vraie nature de la substance cérébrale, laquelle se compose de fibres et non d’une simple moelle, comme on le croyait. Toutes les études anatomiques qu’on a faites depuis sur le cerveau n’ont fait que développer ce point de vue de Stenon. Enfin il s’occupa de géologie. Il apporta, dans l’étude de cette science, la même supériorité d’esprit : le premier, il sut reconnaître la structure par couches, la stratification, de la surface du globe. Deluc nomme Stenon : le père de la véritable géologie.