Ontologie naturelle/Leçon 25

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Garnier Frères (p. 206-211).

VINGT-CINQUIÈME LEÇON

Suite des travaux de Buffon sur la localisation des espèces animales. — Animaux du nord de l’Amérique et du nord de l’Europe. — Vérification de la loi du parallélisme des espèces.

Les populations animales sont, comme nous avons vu, réparties et localisées dans les différentes régions du globe. L’étude des localités, par rapport aux animaux qui les habitent, forme la géographie zoologique. On appelle faune une population animale groupée dans une certaine région, de même qu’on appelle flore l’ensemble des plantes spéciales à telle ou telle contrée. Vous savez que c’est à Linné que nous devons ces noms gracieux, tirés de la Fable.

J’ai dit que Buffon avait posé cette règle qu’aucun animal du midi de l’un des deux continents ne se trouve dans le midi de l’autre ; règle que tous les faits confirment. Mais si l’on passe du midi au nord de l’Amérique, la règle n’est plus aussi complètement applicable. Le nord de l’ancien continent et celui du nouveau ont, dans leur population, quelques animaux de même espèce : on trouve dans les deux régions l’élan, le renne, le loup, le renard, le castor, etc. Buffon explique le fait par le voisinage des deux continents au pôle nord. Et, en effet, tandis qu’au midi les deux continents sont séparés par des mers immenses, ils ne le sont, au nord, que par un passage étroit, le détroit de Behring. Il faut ajouter que ce détroit étant presque toujours couvert de glaces, la solution de continuité n’existe pas, à proprement parler ; les animaux peuvent passer, sur les glaces, d’un continent à l’autre. Le détroit de Behring, produit de la rupture des deux continents, est, d’ailleurs, de formation relativement récente. Primitivement les deux continents n’en faisaient qu’un.

Toutes ces raisons sont bonnes sans doute, mais Buffon ne donne pas la véritable, la grande. On pourrait lui objecter, en effet, que l’Europe et l’Asie ne sont point séparées par des mers ; elles font continent, et cependant la population animale de l’une et celle de l’autre sont très-distinctes.

La grande raison ici, c’est la loi des climats : où les climats sont différents, les populations animales sont différentes ; où ils sont analogues, elles sont analogues.

Mais partout les populations, différentes comme espèces, peuvent être ramenées, je l’ai dit, à la loi de parallélisme comme genres, comme ordres, etc., à l’uniformité des types. Nos cadres zoologiques étaient faits quand la découverte de l’Amérique vint enrichir l’histoire naturelle d’une masse d’êtres nouveaux ; les mêmes cadres les reçurent, ils entrèrent naturellement dans les groupes déjà formés. L’unité du règne animal pouvait-elle se manifester d’une manière plus évidente ?

Nous avons pu facilement ranger dans des groupes parallèles les ruminants, les pachydermes, les félis de l’ancien et du nouveau continent. Pour retrouver les analogues de quelques autres espèces, il a fallu plus d’attention. Par exemple, l’ancien monde possède les fourmiliers. Ce sont de singuliers animaux, complètement édentés, pourvus d’une langue filiforme, très-extensible, et qu’ils font pénétrer dans les trous des fourmis, dans les nids des termites ; quand elle est suffisamment chargée d’insectes, l’animal la retire et avale son butin. « Les fourmiliers sont obligés de tirer la langue pour vivre, » dit plaisamment Buffon.

Retrouverons-nous ce type dans le nouveau monde ? Oui : si l’ancien monde nous offre le pangolin et le phatagin, nous trouvons en Amérique le tatou, le tamanoir, le tamandua. Tous ces animaux sont des fourmiliers. Entre le pangolin et le tatou l’analogie est même frappante : tous les deux sont remarquables par un test écailleux composé soit de pièces imbriquées, soit de compartiments en mosaïque.

Encore un exemple : l’Amérique possède un genre d’animaux plus curieux que tous ceux que je viens de citer, le genre des paresseux. L’unau et l’aï, qui appartiennent à ce groupe, sont d’une lenteur de mouvements, d’une paresse à peine imaginable.

Quand, après une longue série d’efforts, ils sont parvenus à grimper sur un arbre, ils le dépouillent de toutes ses feuilles pour s’en nourrir ; puis, pour s’épargner la peine de descendre de l’arbre, ils s’en laissent choir. L’anatomie de ces animaux nous découvre la cause de la lenteur extrême de leurs mouvements : leurs principales artères ne constituent pas un seul et gros tronc, un tronc unique. Le tronc se divise en un grand nombre d’artérioles qui forment pinceau. Or, plus la marche du sang est rapide, plus l’énergie musculaire est grande ; et vous concevez que la marche du sang, rapide quand il traverse un seul et gros vaisseau, se ralentit nécessairement quand il faut qu’il s’engage dans un faisceau d’artérioles ou de petites artères.

Les analogues des paresseux se retrouvent également dans l’ancien monde et, chose singulière, nous les retrouvons dans un groupe d’animaux qui se distinguent, entre tous, par leur vivacité, par leur pétulance, dans le groupe des singes. Les loris, ou singes paresseux, comprennent deux espèces : le paresseux du Bengale et le loris grêle.

Les loris ont à peu près la même lenteur de mouvements que l’unau et l’aï, lenteur qui contraste avec leur physionomie éveillée ; et nous retrouvons aussi dans les loris la même disposition des troncs artériels en pinceaux d’artérioles.

Toutefois l’Amérique a des animaux tout à fait inconnus à l’ancien monde : les animaux à bourse ou marsupiaux. La loi de parallélisme va-t-elle s’arrêter ici ? Non, nous retrouvons les animaux à bourse dans la Nouvelle-Hollande, et, tandis que l’Amérique n’a qu’un seul genre de la classe des marsupiaux (les sarigues), ces mêmes marsupiaux forment la population mammifère presque tout entière de la Nouvelle-Hollande.

La loi de parallélisme règne donc partout.