Ontologie naturelle/Leçons 32 et 33

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Garnier Frères (p. 265-270).

TRENTE-DEUXIÈME

ET

TRENTE-TROISIÈME LEÇONS

Vue physiologique des reptiles fossiles.

Nous n’avons observé, jusqu’ici, que des mollusques et des poissons, c’est-à-dire des animaux aquatiques.

En remontant dans les couches sédimentaires, les premiers êtres à respiration aérienne que l’on découvre sont des reptiles, et des reptiles très-singuliers.

La découverte de ces animaux (du moins pour les plus étonnants) n’était pas encore faite en 1812, lorsque Cuvier, rassemblant ses différents mémoires, les publiait sous le titre de : Recherches sur les ossements fossiles.

En 1814, un anatomiste anglais, sir Everard Home, fit connaître un animal fossile qui parut étrange, car il participait du reptile et du poisson. Il avait les vertèbres plates et concaves des deux côtés, ce qui le rapprochait des poissons. Mais, d’autre part, il avait de véritables narines ; il avait respiré l’air atmosphérique ; il avait quatre membres ; la forme de sa tête était celle de la tête d’un lézard ; enfin, les os des membres, aplatis et rapprochés les uns des autres comme des pavés, rappelaient, par leur conformation, les nageoires des cétacés.

Pour exprimer le double caractère qu’offrait l’animal, sir Everard Home l’appela ichthyosaurus (ἰχθύς poisson, σαῦρος lézard).

Un ichthyosaurus, l’ichthyosaurus communis, avait jusqu’à vingt pieds de longueur et cent vingt-six vertèbres.

En 1821, M. Conybeare découvrit un autre reptile, très-remarquable aussi, le plésiosaurus. Il a plusieurs rapports avec l’ichthyosaurus : ses extrémités offrent les mêmes analogies avec les nageoires des cétacés. Il a une tête relativement très-petite, et un cou très-long, composé de trente à quarante vertèbres.

Le plus grand des reptiles fossiles, qu’on ait encore trouvés, est le mégalosaurus. Cuvier croit que sa taille pouvait atteindre jusqu’à 16 et 18 mètres. Il fut découvert par M. Buckland en 1818.

On trouve les ossements de ces reptiles en Allemagne et en France ; mais c’est surtout en Angleterre qu’ils abondent, et c’est de là que nous en sont venues les premières descriptions.

Parmi tant de reptiles fossiles, j’indique seulement les plus remarquables par eux-mêmes ou par les noms des hommes illustres à qui nous en devons la découverte.

Le crocodilus priscus, découvert en 1814 dans les schistes de la Franconie, a été décrit pour la première fois par Sœmmering.

C’est par les recherches de Camper qu’a commencé l’étude du mosasaurus, ce gigantesque reptile de la montagne de Saint-Pierre, près Maëstricht, qui comptait plus de cent trente vertèbres à son épine.

L’iguanodon nous présente cette singularité, qu’il avait des dents qui s’usaient par la mastication, comme les dents des mammifères herbivores.

Le ptérodaclyle était un reptile volant : il était pourvu d’un long doigt portant une membrane qui se déployait en aile, et de là le nom même de ptérodactyle (πτεϱόν aile, δάκτυλος doigt).

Sœmmering et Cuvier eurent un petit débat à l’occasion du ptérodactyle. Sœmmering prenait le ptérodactyle pour une chauve-souris. Cuvier reconnut que c’était un reptile.

Dans ses vues de plan suivi, d’unité du règne, M. de Blainville plaçait les ichthyosaurus et les plésiosaurus entre les reptiles proprement dits et les amphibiens, et il plaçait les ptérodactyles entre les oiseaux et les reptiles ; c’étaient autant de chaînons retrouvés parmi les groupes fossiles pour relier entre eux les groupes vivants.

Il me reste à vous parler d’un reptile qui, dans le siècle dernier, avait donné lieu à une méprise célèbre.

Dès qu’on eut commencé à faire de ces étonnantes découvertes d’animaux fossiles, une sorte de curiosité ardente, impatiente, s’empara des esprits. On ne désespéra pas de trouver des hommes fossiles. Il devait s’en trouver, disait-on : le déluge n’avait-il pas fait périr un grand nombre d’êtres humains ?

En 1726, un naturaliste, d’ailleurs très-savant, J.-J. Scheuchzer, apprend qu’on vient de trouver, dans les schistes d’Œningen, des ossements fossiles qui présentent de grandes analogies avec un squelette humain. Il se hâte de les aller voir et ne doute pas, dès l’abord, qu’il n’ait devant les yeux un homme fossile. Dans l’explosion de sa joie, il écrit tout d’un trait, sur sa découverte, un livre intitulé : Homo diluvii testis, où il dit : « Il est indubitable que le schiste d’Œningen contient une moitié ou peu s’en faut du squelette d’un homme ; que la substance même des os, et, qui plus est, des chairs, y est incorporée dans la pierre ; en un mot, que c’est une des reliques les plus rares que nous ayons de cette race maudite qui fut ensevelie sous les eaux. »

L’opinion de J.-J. Scheuchzer dominait encore lorsque Cuvier, ayant étudié ces ossements, reconnut que l’homme fossile d’Œningen était une salamandre.


Rien dans l’ensemble des êtres fossiles, comparé à l’ensemble des êtres vivants, ne paraît plus fait pour donner l’idée de deux règnes séparés, que l’extrême dissemblance qui se trouve entre certains reptiles fossiles et la plupart des reptiles vivants.

Mais d’abord, parmi ces anciens reptiles, si différents des nôtres, il s’en trouvait beaucoup qui en différaient très-peu : des lézards, « très-semblables, dit Cuvier, aux grands monitors « qui vivent aujourd’hui dans la zone torride ; » des crocodiles, des tortues, soit de mer, soit d’eau douce, etc., etc., qui ne se distinguaient de nos crocodiles et de nos tortues qu’à titre de genres et d’espèces ; et, en second lieu, à s’en tenir même aux dissemblances les plus extrêmes, que prouvent-elles ? qu’il y a deux règnes ? Non, puisque, bien comprises, elles rentrent dans le plan suivi d’un seul et unique règne, et viennent, comme dit M. de Blainville, « relier entre eux les groupes vivants par des groupes fossiles. »