Ordonnance concernant les libertés

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Texte établi par Victor-Thérèse Charpentier d’Ennery, Jean-Baptiste Guillemin de VaivreImprimerie royale de Port-au-Prince (p. 1-10).
ORDONNANCE
CONCERNANT LES LIBERTÉS.
Du 23 Octobre 1775.
VICTOR-THÉRÈSE CHARPENTIER D’ENNERY, Comte du Saint-Empire, Marquis d’Ennery, Maréchal des Camps & Armées du Roi, Grand-Croix de l’Ordre Royal & Militaire de Saint-Louis, Inspecteur-Général d’Infanterie, Directeur-général des Troupes, Fortifications, Artillerie & Milices de toutes les Colonies, Gouverneuf-Lieutenant-Général des Isles Françaises sous le vent de l’Amérique & dépendances ;
et
JEAN-BAPTISTE GUILLEMIN DE VAIVRE, Conseiller du Roi en ses Conseils & en sa Cour de Parlement de Franche-Comté, Intendant de Justice, Police, Finances, de la Guerre & de la Marine desdites Isles.
Extrait des Registres du Conseil Supérieur du Port-au-Prince.


L’Ordonnance du Roi, du 22 mai dernier, article XI, nous ayant autorisés à taxer les permissions pour affranchir les Esclaves, & à affecter le produit desdites taxes aux travaux publics, ou à des établissements utiles, à la décharge de la Colonie ; Nous avons cru devoir régler la forme dans laquelle lesdites libertés seront expédiées, & les deniers provenans de la taxe qui en fera faite, perçus, employés & alloués en compte. La faculté que la même Ordonnance nous laisse d’accorder gratuitement, dans certains cas, les permissions d'affranchir, exige aussi que nous annoncions quelques-uns des principaux moyens par lesquels les Esclaves pourront se rendre dignes de cette grâce : enfin l’état douteux de divers Noirs & Gens de couleur, qui jouissent d’une forte de liberté, plus de fait que de droit, nous a paru trop important à fixer, pour ne pas déterminer le degré de validité de leurs titres ou possessions. En conséquence, & en vertu des pouvoirs à Nous confiés par Sa Majesté, avons ordonné & ordonnons ce qui fuit :

Article Premier

Tout Maître qui voudra procurer la liberté à son Esclave, nous présentera, à cet effet, une Requête, sur laquelle nous mettrons notre permission d’affranchir, & notre Ordonnance de taxe ou de dispense de taxe ; pour le tout publié en la forme accoutumée, & à Nous rapporté avec le certificat de publications & de non-opposition, ou de Jugement de main-levée, ensemble la quittance du Receveur que nous établissons ci-après, comme encore l’acte d’affranchissement, être ledit acte par Nous homologué à peine de nullité, & enregistré, sous la même peine, tant au Greffe de la Juridiction du domicile du Maître, qu’au Greffe de l’Intendance.

II.

Avons établi & établissons pour Receveur du produit des taxes des libertés, le Receveur-Général des droits domaniaux & seigneuriaux dans la Colonie, résidant au Port-au-Prince, lequel sera tenu de fournir au Greffe de la Juridiction de ladite Ville, bonne & valable caution, qui s’obligera solidairement avec lui, jusqu'à la concurrence de vingt-cinq mille livres, pour sûreté de sa recette.

III.

A commencer du premier novembre prochain, ledit Receveur touchera le montant de toutes les taxes que nous jugerons à propos d’apposer aux Requêtes qui nous feront présentées aux fins de permission d’affranchir. Il tiendra, à cet effet, un registre coté & paraphé de Nous, dans lequel il inscrira, par suite de numéros, le nom de l’Esclave ou Esclaves à affranchir, celui du Maître & de son domicile, la date & la quotité de la taxe, ainsi que le paiement qui en fera fait entre les mains, dont il donnera quittance au pied de la taxe même.

IV.

Attribuons audit Receveur deux pour cent du montant de sa recette, & ce, pour l’indemniser de tous frais de Bureaux & de Commis, dresse de compte, &c. sans qu’il puisse rien exiger ni recevoir au-delà, sous quelque prétexte que ce soit, à peine de concussion, ledit droit de deux pour cent sera payé en sus de la taxe ; & ledit Receveur en donnera son reçu à la suite de la quittance de la somme principale.

V.

Il nous adressera tous les mois un bordereau exact de sa caisse, à vue duquel nous expédierons en commun les Ordonnances de paiement au profit des Entrepreneurs des travaux publics & établissements utiles, dont nous aurons assigné la dépense sur ladite caisse. Il enregistrera lesdites Ordonnances, à mesure qu’il les acquittera, sur un registre coté & paraphé, ainsi qu’il est expliqué à l’article III.

VI.

Ledit Receveur comptera de sa recette & dépense de chaque année, dans le cours des trois premiers mois de l’année fusante, pardevant Nous : les Doyen & Procureur-Général de celui des Conseils-Supérieurs dans le ressort duquel nous nous trouverons pour lors, seront appellés à l’audition & débat, s’il y a lieu, desdits comptes ; &, à leur défaut, les Magistrats qui les suivront dans l’ordre du tableau ; & ils y signeront pour preuve de leur assistance.

VII.

Les comptes seront composés d’un chapitre de recette, & d’un chapitre de dépense. Les articles de recette seront justifiés par le registre du Receveur, contrôlés par les extraits certifiés de l'enregistrement au Greffe de l’Intendance des Actes d’affranchissement par Nous homologués. Lesdits extraits seront à cet effet, délivrés, sans frais, audit Receveur. Les articles de dépense seront justifiés par la représentation de nos Ordonnances acquittées.

VIII.

Les comptes seront arrêtés doubles, l’un desquels sera déposé au Greffe de l’Intendance, & l’autre remis au Receveur.

IX.

Le Receveur en retard, pourra être contraint, ainsi que ses cautions, comme pour deniers royaux, & même, en cas d’abus ou de divertissement, être poursuivi extraordinairement, & jugé conformément au prescrit de la Déclaration du Roi, & Arrêt du Conseil de Sa Majesté, des 13 § 15 novembre 1744, concernant les Comptables.

X.

Les libertés feront par Nous accordées gratuitement pour services rendus à la Colonie ou aux Maîtres, lorsqu’il nous en aura été suffisamment justifié ; feront, en ce cas, lesdits services mentionnés dans notre Ordonnance.

XI.

Le Maître qui voudra procurer la liberté gratuite a son Esclave, pourra le faire recevoir & servir en qualité de Tambour dans les Régimes du Port au Prince ou du Cap, ou dans les Compagnies d’Artillerie, pendant l’espace de huit années consécutives, après lesquelles ledit Esclave, s’il a servi avec fidélité & exactitude, obtiendra son congé ; il obtiendra, en outre, son affranchissement gratuit, sur la Requête qui nous fera présentée à cet effet par le Colonel du Régiment ou Commandant de l’Artillerie, entre les mains desquels ledit Maître aura fait préalablement sa soumission & abandon par écrit, aux conditions qui viennent d’être dites. Sera ladite soumission visée par le Gouverneur-Lieutenant-Général, & déposée aux archives du Gouvernement. L’Esclave ainsi enrôlé, recevra une somme de cent cinquante livres d’engagement.

XII.

Pourront également lesdits Maîtres procurer la liberté gratuite à leurs Esclaves, en la faisant agréer par le Commandant pour le Roi du département, pour servir à la fuite des Compagnies des Gens libres, pendant l’espace de dix années consécutives, après lesquelles lesdits Esclaves, s’ils on servi avec fidélité & exactitude, bien habilles & bien armés, & s’ils ont été sur-tout utiles au quartier dans les chasses ou prises de Nègres marons, obtiendront leur affranchissement gratuit sur la Requête du Commandant, entre les mains duquel lesdits Maîtres auront fait préalablement leur soumission & abandon par écrit aux conditions sus-énoncées. Sera ladite soumission visée par le Gouverneur-Lieutenant-Général, & déposée aux archives du Gouvernement.

XIII.

La soumission & abandon mentionnés aux articles XI & XII demeureront nuls, & les Esclaves seront rendus à leurs Maîtres, dans le cas où leur mauvaise conduite les auroit fait chasser des Régimens, Compagnies d’Artillerie & Compagnies de Gens, libres.

XIV.

Pourront, au contraire, lesdits Esclaves obtenir, avant le temps fixé, leur affranchissement gratuit, s’ils l’ont mérité par une conduite fans reproche, ou par des services distingués.

XV.

Les Esclaves dont il vient d’être parlé dans les articles XI, XII, XIII & XIV, ne pourront être réputés libres, jusqu’à ce qu’ils aient obtenu leur affranchissement en forme.

XVI.

Permettons} aux Esclaves qui auroient obtenu de leur Maître la liberté sans la permission préalable des Général & Intendant, de s’adresser à Nous par la médiation de nos représentans dans chaque département, & dans un an pour tout délai, à compter de la publication des présentes, afin de ratification desdites libertés, s’il y échet, & aux conditions qui feront par Nous prescrites ; passé lequel délai ; ils n’y feront plus admis, & feront réputés Esclaves ; poursuivis à la requête du Procureur du Roi de leurs Jurisdictions, & remis à l'attelier de leurs Maîtres, ou même vendus comme épaves au profit du Roi, s’il y a lieu, suivant les circonstances. Accordons le même délai pour se pourvoir par-devant Nous au même effet, en la même forme & aux mêmes peines, à tout Esclave affranchi dans des Gouvernemens étrangers.

XVII.

Défendons à tous Maîtres de donner la liberté à leurs Esclaves, fans un permis du Gouvernement, à peine de nullité, confiscation & amende prononcées par l’Ordonnance du 15 juin 1756. Pourra ladite nullité être proposée, même par les héritiers.

XVIII.

Défendons pareillement, sous lesdites peines, à tous Maîtres ou Propriétaires d’Esclaves dans la Colonie, de se pourvoir à l’avenir pardevant un Gouvernement étranger, soit directement, soit par personnes interposées, pour procurer la liberté auxdits Esclaves.

XIX.

Les Greffiers & Notaires ne pourront passer aucuns actes d'affranchissement, qu’il ne leur ait apparu de notre permission, & ils feront obligés de la mentionner dans lesdits actes, à peine de nullité d’iceux, de deux mille livres d’amende contre lesdits Greffiers & Notaires, & d'interdiction.

Seront au surplus exécutées, suivant leur forme & teneur, les Ordonnances du Roi concernant les affranchissemens, notamment celles du 15 juin 1736 & 10 juillet 1768, ainsi que le Règlement du 16 juillet 1773 touchant les Gens de couleur.

Enjoignons aux Procureurs du Roi des Jurisdictions, de veiller spécialement & séverement à l’observation des dispositions du présent article & des trois précédans.

Prions MM. les Officiers des Conseils Supérieurs du Port-au-Prince & du Cap, d’enregistrer la présente Ordonnance ; & mandons à ceux des Jurisdictions de leur ressort de tenir la main à son exécution.

Sera la présente enregistrée au Greffe de l’Intendance, imprimée, lue, publiée & affichée par-tout où besoin sera.

Donné au Port-au-Prince, sous les sceaux de nos Armes & les contreseings de nos Secrétaires, le vingt-trois octobre mil sept cent soixante-quinze. Signé, d’Ennery & de Vaivre.

Ensuite sont deux cachets en cire rouge ; & au-dessous est écrit : Par Monsieur le Général. Signé, Girault. Par Monsieur l’Intendant. Signé, Bullet.

Enregistré par moi, Greffier-Commis soussigné ; au Port-au-Prince, le vingt-quatre octobre mil sept cent soixante-quinze. Signé, Martin Bellefon, Greffier-Commis.

Registré a été le présent Règlement au Greffe du Conseil Supérieur du Port-au-Prince, ouï & ce requérant le Procureur-Général du Roi, pour être exécuté selon sa forme & teneur, imprimé, lu, publié & affiché ; & copies collationnées, envoyées aux Jurisdictions du Ressort, pour y être pareillement enregistrées lues, publiées, & affichées, avec injonction aux Substituts dudit Procureur-Général d’y tenir la main & d’en certifier la Cour au mois. Fait au Port-au-Prince, en Conseil, le vingt-cinq octobre mil sept cent soixante-quinze.

Collationné, Prieur, Greffier-Commis.