Origines des espèces animales et végétales/04

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HISTOIRE NATURELLE


GÉNÉRALE




ORIGINES DES ESPÈCES ANIMALES ET VÉGÉTALES.


IV.


DISCUSSION DES THÉORIES TRANSFORMISTES.
L’ESPÈCE ET LA RACE.


I. De l’Origine des espèces, par C. Darwin, traduction de Mlle Royer. — II. De la Variation des animaux et des plantes sous l’action de la domestication, par C. Darwin, traduction de M. Moulinié. — III. L’Homme avant l’histoire, par sir John Lubbock, traduction de M. Barbier. — IV. De la Place de l’homme dans la nature, par Th. H. Huxley, traduction de M. Dally. — V. Mémoire sur les microcéphales ou hommes-singes, par C. Vogt. — VI. Animaux fossiles et géologie de l’Attique, par M. A. Gaudry.


M. Isidore Geoffroy Saint-Hilaire, après avoir comparé dans les moindres détails les doctrines émises relativement à l’espèce depuis Linné et Buffon par les botanistes et les zoologistes les plus éminens[1], résume sa remarquable discussion en des termes qui, dans la bouche du fils d’Étienne Geoffroy, ont une importance qu’on ne saurait méconnaître, une signification trop souvent oubliée. « Telle est l’espèce et telle est la race, dit-il, non-seulement pour une des écoles entre lesquelles se partagent les naturalistes, mais pour toutes, car la gravité de leurs dissentimens sur l’origine et les phases antérieures de l’existence des espèces ne les empêche pas de procéder toutes de même à la distinction et à la détermination de l’espèce et de la race. Tant qu’il s’agit seulement de l’état actuel des êtres organisés (accord d’autant plus digne de remarque qu’il n’existe guère qu’ici), tous les naturalistes pensent de même, ou du moins agissent comme s’ils pensaient de même[2]. » Ces paroles posent nettement la question, et renferment un grave enseignement. Elles nous rappellent que souvent il y a pour ainsi dire deux hommes dans le même naturaliste, selon qu’il étudie le monde organique avec la seule intention de le connaître tel qu’il est, ou qu’il s’efforce d’en scruter les origines pour l’expliquer. Elles nous apprennent que les écoles existent seulement lorsqu’on se place en dehors des temps et des lieux accessibles à l’observation, qu’elles s’effacent dès qu’on rentre dans la réalité. Alors, « de Cuvier à Lamarck lui-même, il n’y a plus qu’une manière de concevoir l’espèce[3]. » C’est que les faits s’imposent aux esprits les plus prévenus ; en présence de ce qui est, il n’est pas possible d’arguer de ce qui pourrait être. Or, à moins de supposer dans les lois générales du monde organique des changemens que rien n’indique, il faut bien admettre que les choses se sont passées autrefois comme elles se passent aujourd’hui, et par conséquent que l’espèce et la race sont de nos jours ce qu’elles ont toujours été. Pour savoir ce que sont ces deux choses telles que les ont comprises Linné comme Buffon, Cuvier aussi bien que Geoffroy Saint-Hilaire et Lamarck, interrogeons donc le présent. Lui seul peut nous éclairer quelque peu sur le passé. Comme j’ai du reste abordé cette question ici même avec détail[4], je serai bref, et insisterai seulement sur quelques considérations nées des dernières controverses auxquelles ont donné lieu quelques faits récemment acquis.


I.


D’après M. Büchner, qui reproduit ici une opinion exprimée par un éminent professeur de Heidelberg, G. Bronn, « l’idée d’espèce ne nous est pas donnée par la nature même. » S’il en était ainsi, on ne trouverait pas un si grand nombre d’espèces portant des noms particuliers chez les peuples les plus sauvages et chez nos populations les plus illettrées. La notion générale de l’espèce est au contraire une de celles qu’on ne peut pas ne point avoir, pour peu que l’on regarde autour de soi. La difficulté est de la formuler nettement, de lui donner la précision scientifique, et cette difficulté est très réelle. Elle tient à ce que l’idée générale repose sur deux ordres de faits de nature fort différente et qui semblent assez souvent être en désaccord. Présentez au premier paysan venu deux animaux entièrement semblables, sans hésiter il les déclarera de même espèce. Demandez-lui si les petits d’un animal quelconque sont de même espèce que ses père et mère, il répondra oui à coup sûr. L’immense majorité des naturalistes pense et parle au fond comme le paysan. Un bien petit nombre seulement n’a vu avec Flourens que le côté physiologique de la question ; d’autres, un peu plus nombreux, entraînés par les habitudes ou forcés par la nature de leurs travaux à ne voir que la forme, se sont placés exclusivement au point de vue morphologique, et parmi eux nous rencontrons quelques paléontologistes ou géologues justement célèbres. Quant aux naturalistes proprement dits, ceux qui s’occupent essentiellement des espèces, qui les étudient à l’état vivant et sont par suite amenés à tenir compte de tout, ils sont ici pleinement d’accord. Lorsqu’ils ont voulu définir l’espèce, ils se sont tous efforcés de faire entrer dans leurs formules les deux notions de la ressemblance et de la filiation. Ainsi ont fait Buffon et de Jussieu, Lamarck et Blainville, Cuvier et de Candolle, Isidore Geoffroy et A. Richard, Bronn lui-même et C. Vogt. J. Muller et M. Chevreul. Sans doute les termes employés diffèrent. Cette variété d’expressions qu’on a voulu présenter comme une divergence de doctrines n’a rien que de très naturel. On sait combien une bonne définition est difficile à trouver lors même qu’il s’agit des choses les plus simples, combien la difficulté s’accroît à mesure qu’il s’agit d’embrasser un plus grand nombre de faits ou d’idées. Or la notion de l’espèce est forcément des plus complexes. Voilà pourquoi tant d’hommes éminens, essentiellement d’accord sur les points fondamentaux, ont varié dans la traduction des idées accessoires. D’ailleurs les sciences marchent, et, venu après eux, j’ai cru pouvoir, moi aussi, proposer une définition de plus.

Les deux idées qui concourent à former l’idée générale d’espèce ne sont nullement simples. Dès le début, et à ne tenir compte que des phénomènes les plus communs, les seuls connus au temps de Linné et de Buffon, l’idée de ressemblance fut nécessairement complexe ; elle dut embrasser la famille entière avec les différences que comportaient les sexes et les âges. Le père et la mère ne se ressemblent pas ; pendant une période plus ou moins longue de la vie, les fils et les filles diffèrent quelquefois beaucoup de l’un et de l’autre. Le faon se distingue au premier coup d’œil du cerf et de la biche. Les métamorphoses de certains insectes offraient à nos prédécesseurs un premier degré de complications ; il y a une énorme distance de la larve à l’insecte parfait, de la chenille au papillon. Or de nos jours le nombre et la diversité des formes comprises dans une seule famille physiologique se sont multipliés d’une façon inattendue. Il a bien fallu tenir compte des faits nouveaux acquis à la science. Le premier, Vogt eut le mérite de comprendre dans sa définition de l’espèce la notion des phénomènes de généagenèse[5] ; mais il laissa en dehors ceux qui se rattachent au polymorphisme, dont divers travaux récens, en particulier ceux de Darwin, ont montré la haute importance. Au fond, tous ces phénomènes, considérés au point de vue où nous sommes placés en ce moment, aboutissent à élargir de plus en plus l’idée qu’on se faisait autrefois de la famille physiologigue.

Dans les cas de généagenèse même les plus compliqués, nous trouvons en effet toujours, à l’ouverture d’un cycle de générations, un père et une mère caractérisés par la présence des élémens reproducteurs. Une méduse femelle pond des œufs que féconde une méduse mâle. De chacun de ces œufs sort un être semblable à un infusoire, fils immédiat des parens. Celui-ci se fixe et se transforme en une sorte de polype qui produit par bourgeonnement un nombre indéterminé d’individus sans sexe. À son tour, l’un de ces individus se métamorphose, et se fractionne en méduse chez qui reparaissent les élémens nécessaire à une nouvelle fécondation. Il est évident que tous les individus sortis du même œuf, quelles que soient leurs formes, quel que soit l’ordre dans lequel ils se succèdent, sont les fils médiats de la mère qui a pondu l’œuf, du père qui l’a fécondé. Ils sont au même titre les frères de tous les individus produits par une même ponte. Les rapports physiologiques n’ont pas changé de caractère. La famille s’est agrandie, elle s’est, pour ainsi dire, fractionnée ; mais elle est au fond restée la même.

Bien que compliquant parfois d’une manière étrange les phénomènes de la reproduction ordinaire ou de la généagenèse, le polymorphisme ne change rien à cette conclusion. Dans une ruche, les neutres, les mâles et les femelles, issus de la même reine-mère fécondée par un seul père, appartiennent à la même famille. Il en est de même dans une termitière pour les grands rois et les grandes reines, les petits rois et les petites reines, les ouvriers et les soldats, ailés ou non[6]. Darwin a constaté des changemens non moins remarquables en étudiant quelques-unes de nos plantes les plus communes, la primevère, le lin, les plantains, la salicaire. Chez ces végétaux, les graines fournies par une seule et même plante-mère donnent naissance à des plantes sœurs dont les organes floraux essentiels, le pistil et les étamines, diffèrent d’une manière très marquée. Certaines fleurs d’orchidées poussent sur le même pied, et sont cependant si diverses d’aspect qu’on les avait regardées comme caractérisant deux genres distincts tant qu’on ne les avait vues que sur des plantes séparées[7]. Enfin des phénomènes bien plus complexes ont été découverts chez les champignons parasites par M. Tolasne et les botanistes entrés après lui dans cette nouvelle voie de recherches. La généagenèse et le polymorphisme se compliquent ici d’une façon en apparence toute nouvelle. Ils se rattachent à des migrations et à des changemens de sol et de milieu d’une manière qui a dû surprendre les premiers observateurs ; cependant ils ne présentent au fond rien de plus étrange que les phénomènes de la reproduction des vers intestinaux. Or ces végétaux qu’on a pu attribuer à des genres, parfois à des familles taxonomiques différentes, ces animaux tellement dissemblables qu’on les a longtemps placés dans des classes distinctes, n’en doivent pas moins être mis à côté les uns des autres et avec leurs parens dans la même familles physiologique. Celle-ci embrasse donc toutes les générations médiates, parfois nombreuses, toutes les formes d’évolution si disparates qu’enfantent la généagenèse et le polymorphisme. Dans le monde étrange où règnent ces deux phénomènes, la ressemblance disparaît du père et de la mère aux enfans, du frère au frère, lorsqu’ils apparaissent à des époques différentes du cycle ; elle n’existe qu’entre les descendans plus éloignés et les collatéraux, et toujours dans des familles physiologiques différentes. Au point de vue de l’espèce, celles-ci apparaissent comme un élément fondamental dont il faut tenir le plus grand compte. Voilà pourquoi, sans m’écarter des conceptions de tant d’illustres prédécesseurs, j’ai cru devoir introduire le terme de famille dans la définition que j’ai proposée ici même. Pour moi, l’espèce est « l’ensemble des individus plus ou moins semblables entre eux qui sont descendus ou qui peuvent être regardés comme descendus d’une paire primitive unique par une succession ininterrompue de familles[8]. »

En atténuant dans cette formule l’idée de ressemblance, je ne songeais pas seulement aux phénomènes que je viens de rappeler. J’avais aussi en vue des faits bien plus simples et journaliers. Blainville lui-même, pour qui l’espèce n’était que l’individu se répétant dans l’espace et dans le temps, acceptait par cela même la possibilité de modifications morphologiques considérables, car chez tous les êtres organisés l’individu subit des métamorphoses plus ou moins étendues depuis le moment de sa première formation jusqu’à celui de sa mort. Avec tous les naturalistes, il a reconnu l’existence des variétés comprises comme je l’ai moi-même défini[9] ; il a admis la formation et la durée des races. Sur ces deux points, l’accord entre toutes les écoles, entre les botanistes et les zoologistes, est aussi complet que possible, et les définitions en font foi. Dans la formule que j’ai proposée, j’ai seulement cherché à préciser plus que mes devanciers la notion d’origine. « La race, disais-je, est l’ensemble des individus semblables appartenant à une même espèce, ayant reçu et transmettant par voie de génération les caractères d’une variété primitive. »

Ainsi l’espèce est le point de départ ; au milieu des individus qui composent l’espèce apparaît la variété ; quand les caractères de cette variété deviennent héréditaires, il se forme une race. Tels sont les rapports qui, pour tous les naturalistes, règnent entre ces trois termes, et qu’on doit constamment avoir présens à l’esprit dans l’étude des questions qui nous occupent. Il en résulte premièrement que la notion de ressemblance, très amoindrie dans l’espèce, reprend dans la race une importance absolue. De là il suit également qu’une espèce peut ne comprendre que des individus assez semblables pour qu’on ne distingue pas même chez eux de variétés, qu’elle peut présenter des variétés individuelles dont les descendans rentrent dans le type spécifique commun, mais qu’elle peut aussi comprendre un nombre indéfini de races. Toute exagération, toute réduction, toute modification suffisamment tranchée d’un ou de plusieurs caractères normaux, constituent en effet une variété, et toute variété peut donner naissance à une race. En outre chaque race sortie directement de l’espèce peut à son tour subir de nouvelles modifications se transmettant par la génération. Elle se transforme alors, et une série nouvelle prend naissance, distincte de la première par certains caractères et méritant au même titre le nom de race. Ainsi se forment les races secondaires, tertiaires, etc. On peut donc se figurer les espèces dont le premier type n’a pas varié comme un de ces végétaux dont la tige est toute d’une venue et ne présente aucune branche, les espèces à races plus ou moins nombreuses comme un arbre dont les branches-mères se subdivisent en branches secondaires, en rameaux, en ramuscules plus ou moins multipliés. À travers quelques différences de langage, il est facile de reconnaître que tous les naturalistes s’accordent encore sur les points que je viens d’indiquer.

Par cela même qu’on accepte l’existence des races, on reconnaît que le type spécifique est variable. La discussion ne peut porter que sur le plus ou le moins d’étendue qu’atteint la variation. Sur ce point encore, on est bien près de s’entendre. Sans doute, emporté par l’ardeur des polémiques, Cuvier n’avait pas assez apprécié la valeur des modifications que présentent nos animaux domestiques ; cependant il reconnaissait que, chez le chien, la distance de race à race égale souvent celle qui dans un genre naturel sépare les espèces les plus éloignées[10]. Ses disciples les plus fidèles ont compris qu’il fallait aller plus loin. Il est impossible en effet de méconnaître aujourd’hui que les dissemblances tant extérieures qu’anatomiques existant parfois entre animaux de même espèce, mais de races différentes, sont telles que, rencontrées chez des individus sauvages, elles motiveraient justement rétablissement de genres distincts et parfaitement caractérisés. Les chiens, chez les mammifères, pouvaient déjà servir d’exemple. Le magnifique travail de Darwin sur les pigeons a prouvé que dans cette espèce le champ de la variabilité n’est pas moins étendu. Certainement, si l’on ne connaissait leur origine commune, aucun naturaliste n’hésiterait à placer dans des genres différens le messager anglais et le grossegorge, dont Darwin nous a donné les portraits et fait connaître l’organisation. Là toutefois paraissent s’arrêter les modifications. Du moins on ne connaît encore aucun exemple d’une race assez éloignée de son point de départ pour présenter les caractères d’une famille taxonomique naturelle à part.

Constatons dès à présent un fait d’une grande importance et dont nous aurons à rechercher plus tard la signification. Chez les espèces sauvages, on ne rencontre que bien rarement des variations comparables à celles qui viennent d’être indiquées, si ce n’est chez les animaux inférieurs et les végétaux. En tout cas, lorsque la même espèce compte des représentans restés sauvages et des représentans cultivés ou domestiqués, ceux-ci varient dans une proportion infiniment plus considérable que les premiers. On pourrait citer ici toutes celles de nos plantes potagères dont l’origine est connue ; les animaux offriraient des faits semblables. Assez souvent des races naturelles de mammifères ont été prises d’abord pour des espèces distinctes, parce qu’on ne connaissait pas les termes intermédiaires ; on n’a jamais eu la pensée de les placer dans des genres différens. De l’Inde au Sénégal, le chacal a changé, sans atteindre même le degré de variation qu’admettait Cuvier. L’hélice lactée, espèce d’escargot comestible très estimé des Espagnols, originaire d’Espagne et du nord-ouest de l’Afrique, a été transportée dans notre département des Pyrénées-Orientales, et en Amérique jusqu’à Montevideo. Elle a donné naissance à des races bien caractérisées, et la race montévidéenne surtout aurait été certainement regardée comme une espèce distincte, si on n’eût connu son origine ; mais elle n’a pas franchi pour cela les bornes qui séparent les hélices proprement dites des genres les plus voisins.

On voit que la ressemblance entre individus représentans d’un même type spécifique n’est que relative, que l’espèce est variable dans des limites assez étendues et quelque peu indéterminées. La variété et la race ne sont autre chose que l’expression de cette variabilité s’accusant par des caractères individuels dans la première, héréditaires dans la seconde. Au contraire, l’idée de ressemblance est le fondement même de la race, puisque, les caractères venant à varier, il se forme une race nouvelle, se rattachant à l’espèce par l’intermédiaire de toutes les races apparues avant elle. Toute race fait donc partie de l’espèce dont elle est dérivée, et réciproquement toute espèce comprend, indépendamment des individus qui ont conservé les caractères primitifs du groupe, tous ceux qui appartiennent aux races primaires, secondaires, tertiaires, dérivées du type fondamental. Pour citer un exemple frappant, aujourd’hui incontestable grâce au travail de Darwin, il n’est pas un de nos pigeons qui ne descende du biset, et cette espèce, la columba livia des naturalistes, se compose à la fois de tous les bisets sauvages et des cent cinquante races distinctes et ayant reçu des noms particuliers qu’a étudiées le savant anglais. Dans ce chiffre ne sont pas comprises, bien entendu, les variétés individuelles qui se produisent fréquemment et dont Darwin fait connaître de nombreux et curieux exemples.

Quand il s’agit de l’espèce, la notion de filiation se présente avec un caractère bien plus précis que la précédente, quoique les discussions aient porté et portent encore principalement sur elle. Évidemment, entraînées par leurs doctrines générales, les écoles opposées se sont laissées aller sur ce point à des exagérations en sens contraire dont se préserve aisément quiconque étudie les faits sans parti-pris. Constatons d’abord que personne ne croit plus à la fécondité du croisement entre animaux appartenant à des classes ou à des familles différentes. Réaumur, fût-il encore témoin des étranges amours d’une poule et d’un lapin, n’espérerait plus en voir naître « ou des poulets vêtus de poils ou des lapins couverts de plumes, » pas plus que je n’ai cru qu’il résulterait un être intermédiaire de celles d’un chien et d’une chatte que j’ai moi-même constatées. En revanche, si Frédéric Cuvier vivait encore, il ne dirait plus, en exagérant les doctrines de son illustre frère : « Sans artifice ou sans désordre dans les voies de la Providence, jamais l’existence des hybrides n’aurait été connue[11]. » Duvernoy n’écrirait plus : « L’animal a l’instinct de se rapprocher de son espèce et de s’éloigner des autres, comme il a celui de choisir ses alimens et d’éviter les poisons[12]. » Le fait est que de genre à genre les unions sont fort rarement productives. Entre espèces de même genre, quelque voisines qu’elles soient par l’ensemble des caractères morphologiques, la très grande majorité des mariages sont inféconds. Lorsque le croisement est possible, la fécondité est d’ordinaire amoindrie, et parfois dans une mesure notable. Tels sont les faits incontestés que présente tout d’abord l’hybridation, c’est-à-dire le croisement entre individus faisant partie d’espèces différentes, et cela chez les végétaux aussi bien que chez les animaux. Ils contrastent déjà d’une manière remarquable avec les phénomènes qui accompagnent les métissages, c’est-à-dire le croisement opéré entre individus de même espèce, mais de races différentes. Ici, quelque opposés que soient les caractères morphologiques, les unions sont faciles et toujours fécondes. Les expériences faites au Muséum par Isidore Geoffroy ne peuvent laisser de doute sur ce point quand il s’agit des animaux[13]. Les faits recueillis par une foule de botanistes, et en particulier par M. Naudin[14] et par Darwin lui-même, sont tout aussi concluans en ce qui touche aux végétaux.

Les premiers pas faits dans la voie du croisement établissent donc entre l’espèce et la race des différences qui grandissent et se précisent rapidement lorsqu’on examine non plus les parens, mais les fils. Quelque rapprochées que soient les deux espèces croisées, quelque régulièrement féconde que soit leur union, l’hybride qui en résulte peut rarement se reproduire. Tel est le mulet, fils de l’âne et de la jument. La fécondité est au moins presque toujours considérablement réduite ; elle diminue encore rapidement dans les enfans de l’hybride de premier sang, et disparait au bout d’un fort petit nombre de générations. C’est ce que savent fort bien les innombrables expérimentateurs, hommes de science ou simples amateurs, qui ont tenté le croisement entre des espèces d’oiseaux, entre le serin des Canaries, par exemple, et le chardonneret. Les métis au contraire, ces enfans de races différentes d’une même espèce, sont généralement tout aussi féconds, parfois plus féconds que leurs parens, et transmettent d’une manière indéfinie à leurs descendans les facultés reproductrices dont ils jouissent eux-mêmes. Tels sont les faits généraux, ils suffiraient pour établir entre l’espèce et la race, au point de vue physiologique, une profonde et très sérieuse distinction. Les exceptions apparentes ne font que confirmer cette conclusion par des phénomènes nouveaux.

Remarquons toutefois que ces exceptions ne portent nullement sur la fécondité des métissages, c’est-à-dire des croisemens entre races d’une même espèce. Darwin lui-même accepte franchement le fait, quelque contraire qu’il soit à ses doctrines. « Je ne connais, dit-il, aucun cas bien constaté de stérilité dans des croisemens de races domestiques animales, et, vu les grandes différences de conformation qui existent entre quelques races de pigeons, de volailles, de porcs, de chiens, ce fait est assez extraordinaire et contraste avec la stérilité qui est si fréquente chez les espèces naturelles les plus voisines, lorsqu’on les croise. » Il cite bien un fait emprunté à Youatt et d’où il résulterait que dans le Lancashire le croisement du bétail à cornes longues et courtes aurait été suivi d’une diminution notable dans la fécondité à la troisième ou quatrième génération ; mais, avec cette bonne foi que n’imitent pas toujours ses disciples, il oppose à ce témoignage celui de Wilkinson, qui a constaté sur un autre point de l’Angleterre l’établissement d’une race métisse provenant de ce même croisement. Il rapporte et interprète dans le même esprit un certain nombre d’observations faites sur des végétaux. Sa discussion, où l’importance de quelques faits me semble légèrement exagérée, ne peut pourtant le conduire au-delà de cette conséquence, que le croisement entre certaines races de plantes est moins fécond que celui qui s’opère entre certaines autres. Cette conclusion, qu’accepteront certainement tous les naturalistes aussi bien que tous les éleveurs, n’a, on le voit, rien qui soit en désaccord avec le fait général indiqué plus haut.

Le croisement entre animaux de même espèce, mais de races différentes, provoque l’apparition de certains phénomènes parmi lesquels il en est qui doivent arrêter notre attention. Chacun des deux parens apportant à peu près la même tendance à transmettre ses caractères propres aux enfans, il s’ensuit chez ceux-ci une sorte de lutte qui s’accuse par des modifications diverses, par la fusion, la juxtaposition plus ou moins complète des traits spéciaux aux deux races. Pendant quelque temps, on constate des oscillations plus ou moins étendues, et ce n’est qu’au bout d’un nombre indéterminé de générations que la race métisse s’assied et s’uniformise ; mais, quelque constance qu’elle acquière dans son ensemble, il arrive presque toujours que quelques individus reproduisent à des degrés divers, parfois avec une surprenante exactitude, les caractères de l’un des ancêtres primitivement croisés. C’est là ce que les physiologistes français ont désigné par le mot d’atavisme, ce que les Allemands appellent d’une manière très pittoresque le coup en arrière (Rückschlag). L’atavisme se produit souvent au milieu des races les plus pures en apparence et à la suite d’un seul croisement remontant à plusieurs générations. Darwin cite an éleveur qui, après avoir croisé ses poules avec la race malaise, voulut ensuite se débarrasser de ce sang étranger. Après quarante ans d’efforts, il n’avait pu encore y réussir complètement ; toujours le sang malais reparaissait dans quelques individus de son poulailler. L’histoire de toutes nos races domestiques présenterait des faits analogues. Chez le ver à soie, l’atavisme se manifeste après plus de cent générations.

Quant à l’hybridation, elle présente, avons-nous dit, des phénomènes exceptionnels qui pourraient faire croire au premier abord qu’entre certaines espèces les choses se passent comme entre races, et qu’on peut obtenir des races hybrides. Dans quelques rares unions croisées de ce genre, on a vu la fécondité de la mère se conserver, puis persister chez les fils et chez les petits-fils, qui peuvent s’unir entre eux et donner naissance à de nouveaux produits. Plus fréquemment surtout, on a obtenu un résultat analogue en croisant les hybrides de premier lit avec des individus appartenant à l’une des espèces parentes. Ces hybrides, qui eussent été inféconds entre eux, retrouvent par ce procédé en partie ou entièrement la faculté de se reproduire, et donnent naissance à des quarterons qui possèdent trois quarts de sang de l’une des espèces et seulement un quart de sang de l’autre. Ceux-ci sont plus ou moins féconds entre eux et transmettent à leur postérité la faculté qu’ils ont retrouvée.


II.


Tels sont les faits acceptés aujourd’hui par tous les naturalistes et sur lesquels on se fonde souvent pour affirmer qu’on a obtenu des races hybrides. Ceux qui s’expriment ainsi oublient deux phénomènes, les plus frappans peut-être de tous ceux qu’engendre l’hybridation. Ils oublient la variation désordonnée qui se manifeste dès la seconde génération et qui enlève toute communauté de caractère à ces descendans d’espèces différentes ; ils oublient surtout qu’après quelques générations, ordinairement fort peu nombreuses, ces hybrides perdent leurs caractères mixtes, et retournent en totalité à l’une des espèces parentes ou se partagent entre les deux souches-mères, si bien que toute trace d’hybridation disparaît. Comme il s’agit ici de faits fondamentaux, il est nécessaire de citer quelques exemples pris dans les deux règnes et de résumer quelques observations trop souvent tronquées dans les citations qu’on en a faites.

Quand il s’agit de l’hybridation chez les végétaux, on ne saurait invoquer une autorité plus sérieuse que celle de M. Naudin. Ses premières recherches sur ce sujet datent de 1853. Depuis cette époque, il n’a guère cessé de multiplier des expériences dont la précision et l’importance ont placé son nom à côté de ceux de Koelreuter et de Gærtner. Voici une de celles qu’il a citées comme exemple de ce qu’il a nommé si justement la variation désordonnée. M. Naudin croisa la linaire commune avec la linaire à fleurs pourpres. Il obtint de cette union un certain nombre d’hybrides dont il suivit sept générations sur plusieurs centaines de plantes. Les fils immédiats des espèces croisées, les hybrides de premier sang, furent presque intermédiaires entre leurs parens, et présentèrent une remarquable uniformité de caractères ; mais dès la seconde génération il n’en fut plus ainsi, les différences s’accusèrent de plus en plus. À chaque génération, plusieurs individus reproduisaient les caractères de l’espèce paternelle ou maternelle. Les autres, extrêmement dissemblables entre eux, ne ressemblaient pas davantage aux hybrides de premier sang. À la sixième ou septième génération, ces plantes présentaient la confusion la plus étrange. « On y trouvait tous les genres de variation possibles, des tailles rabougries ou élancées, des feuillages larges ou étroits, des corolles déformées de diverses manières, décolorées ou revêtant des teintes insolites, et de toutes ces combinaisons il n’était pas résulté deux individus entièrement semblables. Il est bien visible qu’ici encore nous n’avons affaire qu’à la variation désordonnée, qui n’engendre que des individualités. »

Cette dernière observation de l’éminent naturaliste est d’une haute importance. Elle établit entre les variétés qui se manifestent spontanément dans une espèce et les formes plus ou moins disparates produites par l’hybridation une différence physiologique radicale. Les premières seules se transmettent et forment des races. Cette distinction ne pouvait échapper à M. Naudin, et il y revient en terminant son beau mémoire. « Les espèces, dit-il, lorsqu’elles varient en vertu de leurs aptitudes innées, le font d’une manière bien différente de celle que nous avons constatée dans les hybrides. Tandis que chez ces derniers la forme se dissout, d’une génération à l’autre, en variations individuelles et sans fixité, dans l’espèce pure au contraire, la variation tend à se perpétuer et à faire nombre. Lorsqu’elle se produit, il arrive de deux choses l’une : ou elle disparaît avec l’individu sur lequel elle s’est montrée, ou elle se transmet sans altération à la génération suivante. Et dès lors, si les circonstances lui sont favorables et qu’aucun croisement avec le type de l’espèce ou avec une autre variété ne vienne la troubler dans son évolution, elle passe à l’état de race caractérisée, et imprime son cachet à un nombre illimité d’individus. » En d’autres termes, les espèces proprement dites peuvent seules donner des races ; les hybrides ne produisent que des variétés, et l’uniformité ne s’établit dans leur descendance « qu’à la condition que celle-ci reprenne la livrée normale des espèces, » c’est-à-dire qu’elle subisse la loi de retour au type.

Nous venons de voir le retour aux types des parens s’effectuer partiellement et pendant plusieurs générations successives. On peut montrer par un autre exemple intéressant ce même phénomène s’effectuant brusquement, après avoir été précédé des particularités qui caractérisent d’ordinaire l’hybridation. M. Naudin avait choisi cette fois le datura stramonium, dont la plupart de nos lecteurs connaissent sans doute la belle tige arborescente, et le datura ceratocaula, espèce « à tige traînante, ordinairement simple et probablement celle de tout le genre qui a le moins d’affinité avec le datura stramonium » Celui-ci jouait le rôle de mère. Dix fleurs furent préparées avec les soins nécessaires, et furent fécondées artificiellement avec le pollen du datura ceratocaula. L’opération réussit sur toutes, et l’expérimentateur put récolter dix capsules mûres ; mais aucun de ces fruits n’avait la grosseur normale. Les plus développés atteignaient à peine à la moitié du volume ordinaire de la pomme épineuse. Le développement des graines était en outre fort inégal ; une bonne moitié avait avorté, et n’était représentée que par des vésicules aplaties et ridées ; d’autres, bien conformées extérieurement, quoique plus petites que les graines normales, ne contenaient pas d’embryon, et par conséquent étaient infertiles. En somme, les dix capsules ne fournirent à M. Naudin qu’une soixantaine de graines paraissant arrivées à un complet développement, au lieu de plusieurs centaines qu’il aurait recueillies sur l’une ou sur l’autre espèce non croisée.

Ces soixante graines produites par le croisement furent toutes semées. Il n’en germa que trois. L’un des hybrides ainsi obtenus périt ; les deux autres se développèrent avec une vigueur supérieure à celle des deux plantes parentes. En revanche, la fécondité se trouva remarquablement diminuée[15]. Un grand nombre de fleurs ou ne se formèrent pas ou avortèrent au sommet et dans le bas de la tige. Celles qui se développèrent produisirent des fruits de grandeur normale et des graines parfaitement conformées. Ces graines furent mises en terre en deux fois les années suivantes ; plus de cent pieds sortirent de ces deux semis. Tous présentèrent sous le rapport du développement et de la fécondité des organes floraux exactement les mêmes caractères que les datura stramonium cultivés à côté d’eux comme termes de comparaison. D’un seul bond, toute cette postérité des deux hybrides était revenue à l’espèce maternelle primitive. Le retour n’a pas toujours lieu avec cette brusquerie. Il exige parfois plusieurs générations. Souvent aussi la descendance des premiers hybrides se répartit entre les deux espèces parentes ; mais en résumé, nous dit M. Naudin, « les hybrides fertiles et se fécondant eux-mêmes reviennent tôt ou tard aux types spécifiques dont ils dérivent, et ce retour se fait soit par le dégagement des deux essences réunies, soit par l’extinction graduelle de l’une des deux. »

Les expériences de ce genre sont généralement plus longues et par cela même plus difficiles à exécuter chez les animaux que chez les plantes. Toutefois les oiseaux offrent aux expérimentateurs des facilités que plus d’un naturaliste, et Darwin entre autres, ont su mettre à profit. Parmi les invertébrés, un certain nombre de groupes se prêteraient aussi très bien sans doute à cet ordre de recherches. Ce qui s’est passé au Muséum est de nature à encourager ceux qui seraient disposés à entrer dans cette voie. En 1859, M. Guérin-Méneville eut l’idée de croiser les papillons du ver à soie de l’allante (bombyx cynthia) avec ceux du ver à soie du ricin (bombyx arrindia). Ces unions furent fécondes. Les œufs qui en résultèrent furent déposés au Muséum dans le local destiné aux reptiles vivans et élevés par M. Vallée, gardien de cette partie de la ménagerie. Grâce à des soins intelligens, ces hybrides se propagèrent pendant huit années. Malheureusement la dernière génération périt tout entière dévorée par les ichneumons. Voici les faits qu’a présentés cette expérience, comparable à tous égards à celles qu’on a exécutées sur des végétaux.

Tout en réunissant des caractères empruntés aux deux espèces, les hybrides de premier sang tenaient plus du bombyx de l’ailante que de celui du ricin. Ce cachet général se retrouvait dans les papillons et jusque sur les cocons. Ils étaient d’ailleurs assez semblables entre eux. « Il n’en a pas été de même, dit M. Guérin-Méneville, des métis (hybrides), issus de l’alliance des métis (hybrides) entre eux. Les produits de cette génération ont montré un mélange dans la couleur des cocons et des papillons qui est allé en augmentant à mesure que les générations entre métis se succédèrent. Ainsi chez les derniers, ceux de la troisième génération entre métis, il s’est trouvé la variété la plus grande possible, et le phénomène le plus intéressant a été de voir des métis prendre entièrement le caractère soit du type ailante, soit du type ricin. » Nous retrouvons ici, on le voit, dès la seconde et la troisième génération la variation désordonnée et le retour que nous avions vus se manifester chez les plantes. Ces phénomènes se sont développés de plus en plus chez ces hybrides d’invertébrés. En même temps l’empreinte du ver du ricin s’est de mieux en mieux accusée, et a fini par prendre si bien le dessus que la dernière éducation a donné presque en totalité des cocons appartenant au type qui semblait d’abord avoir été presque effacé.

Les expériences d’hybridation chez les vertébrés ont été bien plus nombreuses que dans l’autre sous-règne. Il est peu d’amateurs d’oiseaux qui n’en ait tenté quelqu’une. Malheureusement nous n’avons pas sur cette classe d’observations précises et propres à éclaircir les questions qui nous occupent en ce moment. Il en est autrement pour les mammifères. Nous rencontrons chez eux un certain nombre de faits qui sont fort loin toutefois de présenter le même intérêt, et dont quelques-uns sont évidemment apocryphes. Isidore Geoffroy avait déjà fait justice du prétendu croisement fécond entre le taureau et l’ânesse, entre la chevrette et le bélier. Les renseignemens qu’a bien voulu me donner M. de Khanikoff montrent qu’il faut mettre dans la même catégorie celui du dromadaire et du chameau. Les fameuses expériences de Buffon sur le croisement du loup et du chien ont malheureusement été interrompues avant qu’elles pussent permettre de conclure, et n’ont été reprises par personne. Les détails précis manquent sur quelques autres faits cités par divers auteurs, et la seule conséquence qu’on puisse en tirer, c’est que chez un certain nombre d’animaux, comme chez le chien qu’on marie au loup, le croisement des espèces n’annihile pas la fécondité dans les descendans pendant trois ou quatre générations, ainsi qu’on l’avait soutenu à tort. Or il n’y a là rien qui dépasse les résultats fournis bien des fois par le croisement des espèces végétales.

Cependant deux expériences ont été poussées assez loin pour qu’on puisse en tirer des conclusions précises. Ce sont celles qui ont porté sur le croisement de la chèvre et du mouton, d’où résultent les chabins ou ovicapres, et sur le mariage du lièvre et du lapin, qui donne naissance aux léporides. Toutes deux ont souvent été invoquées à l’appui de doctrines opposées à celles que je défends. On le pouvait peut-être à l’époque où M. Broca publiait son livre sur l’hybridité, car on ne possédait pas encore un certain nombre de faits que le temps seul a permis de constater. Il n’en est pas de même aujourd’hui. Quiconque examinera sans parti-pris l’ensemble des données maintenant recueillies reconnaîtra que les chabins et les léporides, malgré la prédominance de l’un des deux sangs[16], présentent exactement les mêmes phénomènes que les végétaux et les papillons. Je n’insisterai pas sur l’histoire des premiers. Il suffit de rappeler le témoignage de M. Gay, attestant que chez eux le retour aux espèces primitives s’effectue après quelques générations, et qu’on est obligé de recommencer la série de croisemens assez compliquée qui donne à ces hybrides la proportion des deux sangs nécessaire pour atteindre le but industriel qu’on se propose[17]. L’histoire des léporides est aujourd’hui aussi complète, plus complète même que celle des chabins. Le travail de M. Broca a eu le double mérite d’éveiller l’attention du monde savant en rappelant des faits oubliés, en faisant connaître ceux qu’on observait à ce moment même loin de Paris, et de provoquer des expériences nouvelles dont quelques-unes se poursuivent encore. Quelques détails sont donc ici nécessaires.

Le croisement du lièvre et du lapin a été tenté sur bien des points du globe et par bien des hommes de science ou de loisir. Il a généralement échoué, par exemple au Muséum à diverses reprises entre les mains de Buffon et d’Isidore Geoffroy. Le premier exemple connu de cette hybridation remonte à 1774, et fut constaté près du bourg de Maro, situé entre Nice et Gênes. Une jeune hase, élevée avec un lapereau de son âge par l’abbé Dominico Gagliari, s’accoutuma si bien à son compagnon qu’elle en eut deux fils qui semblent s’être partagé les caractères extérieurs du père et de la mère. Ainsi prit naissance une famille hybride dont les membres, livrés à eux-mêmes, se reproduisirent pendant un certain nombre de générations. Examinée en 1780 par l’abbé Carlo Amoretti, naturaliste d’un certain mérite, elle montra une grande variété de teintes et de mœurs. On y voyait des individus blancs, d’autres noirs, d’autres tachetés. Les femelles blanches creusaient des terriers pour mettre bas à la manière des lapins, les autres laissaient leurs petits à la surface du sol, comme font les lièvres. Ces renseignemens permettent de reconnaître que chez les léporides de l’abbé Cagliari la variation désordonnée s’était produite comme chez les végétaux étudiés par M. Naudin, comme chez les hybrides de papillons obtenus par M. Guérin-Méneville.

M. Broca cite trois autres observations qu’il reconnaît être ou douteuses ou trop peu complètes pour mériter une attention sérieuse. Il s’arrête avec raison aux expériences de M. Roux, président de la Société d’agriculture de la Charente. Il s’agit ici en effet d’une hybridation élevée à l’état de pratique industrielle et comparable à ce point de vue au croisement de la chèvre et du mouton. Dès 1850, paraît-il, M. Roux avait été amené par ses propres expériences à croiser le lièvre et le lapin précisément dans la proportion que nous avons vue être la plus favorable à la production des chabins. Ses léporides avaient trois huitièmes de sang de lapin, cinq huitièmes de sang de lièvre. Dans ces conditions, d’après les détails donnés sur place à M. Broca, ils se propageaient régulièrement. Les portées étaient de cinq à huit petits, qui s’élevaient sans difficulté, et acquéraient à la fois un poids plus considérable que celui de leurs ancêtres lièvres ou lapins, une chair qui, quoique blanche comme celle de ces derniers, était bien plus agréable au goût, une fourrure supérieure en qualité à celle du lièvre lui-même. Ces avantages réunis donnaient aux léporides de M. Roux sur le marché d’Angoulême une valeur double de celle des plus beaux lapins domestiques. Enfin l’avenir de cette industrie paraissait assuré, car en 1859, époque du voyage de M. Broca, dix générations de léporides s’étaient déjà succédées sans manifester, au dire du producteur, la moindre tendance à retourner soit à l’une, soit à l’autre espèce.

Ces faits semblaient bien établis, et on comprend qu’ils aient motivé quelques assertions fort exagérées sans doute, mais qui du moins paraissaient reposer sur des données précises. Cependant dès 1860, Isidore Geoffroy déclarait que les léporides « retournent assez promptement au type lapin, si de nouveaux accouplemens avec le lièvre n’ont pas lieu[18]. » Cette déclaration avait d’autant plus de portée que, dans son livre d’Histoire naturelle générale, Isidore Geoffroy avait admis avec pleine confiance les faits attestés par M. Roux ; il était allé jusqu’à dire que « le moment ne semblait pas éloigné où une véritable race hybride serait issue de deux animaux dont les naturalistes ont dit si longtemps et redisent encore : leur accouplement même est impossible[19]. » Le retour au type maternel venait démentir cette prévision ; mais en homme de science et de bonne foi, Isidore Geoffroy n’hésitait point à constater tout le premier le fait qui condamnait une opinion prématurément émise. Au reste, le doute ne fut bientôt plus possible. À mesure que les documens devinrent plus nombreux et plus précis, on apprit que l’industrie des léporides était loin d’atteindre l’importance qu’on lui avait prêtée ; on apprit que la mortalité était chez eux considérable. Le fait du retour fut reconnu au Jardin d’acclimatation, qui possédait deux léporides, fils de ceux qu’avait élevés M. Roux lui-même[20]. À la Société d’agriculture de Paris, un de ces hybrides fut examiné avec soin, puis mangé dans un repas de corps : il parut ne pas différer d’un simple lapin[21]. M. Roux, interpellé à diverses reprises et mis officiellement en demeure de s’expliquer par la Société d’acclimatation, se renferma d’abord dans un silence qui fut sévèrement interprété. Il paraît s’être décidé plus tard à reconnaître lui-même ce qu’avaient eu d’exagéré et d’inexact ses premières assertions[22].

Pour avoir à peu près échoué au point de vue industriel, l’expérience de M. Roux n’en était pas moins intéressante. Il était à désirer qu’elle fût reprise, et divers expérimentateurs tentèrent de la reproduire. M. Gayot seul, croyons-nous, y a réussi. Il en a communiqué plusieurs fois les résultats à la Société d’agriculture de Paris, et il mit entre autres sous les yeux des membres de cette société, le 11 mars 1868, un individu, fils d’une femelle demi-sang croisée avec un mâle lièvre pur. Ce léporide avait donc trois quarts de sang de lièvre et un quart seulement de sang de lapin. Son pelage présentait quelque analogie avec celui de son père. Pourtant il ressemblait tellement au lapin sous tous les autres rapports que la société jugea nécessaire de le faire examiner de près et par comparaison. M. Florent Prévost, dont la vie entière s’est passée à la ménagerie du Muséum, et qui joint à l’expérience d’un aide-naturaliste émérite celle d’un chasseur, fut chargé de ce soin. « Occupé de cette intéressante question, dit-il dans son rapport, j’ai quitté de bonne heure la société pour aller dans plusieurs marchés et chez quelques personnes examiner tous les lapins, morts ou vivans, que j’ai pu rencontrer, pour les comparer à celui qui occupait la société. Sur le grand nombre d’individus que j’ai observés, huit ou dix avaient les mêmes caractères que j’avais remarqués sur celui auquel je venais de les comparer, et cependant ce n’étaient que des lapins domestiques[23]. » Ainsi, dès la seconde génération et malgré ses trois quarts de sang de lièvre, ce léporide était redevenu en tout semblable à un lapin pur, au jugement d’un homme dont la compétence en pareille matière est certainement indiscutable.

Ce phénomène du retour aux types parens, que nous retrouvons chez les animaux invertébrés ou vertébrés comme chez les végétaux, mérite toute notre attention. Seul il explique un fait qui sans cela serait fort étrange. Le nombre des hybrides féconds est sans doute extrêmement restreint ; pourtant il est loin d’être nul. Comment se fait-il donc qu’il soit à peu près impossible d’obtenir une véritable race hybride, c’est-à-dire une suite de générations reproduisant d’une manière plus ou moins complète les caractères mixtes empruntés à deux espèces différentes ? Malgré les efforts de tant d’expérimentateurs, on n’en connaît pas un seul exemple chez les animaux ; chez les végétaux, qui se prêtent bien plus aisément à l’expérimentation, on n’a réussi qu’une seule fois : les quarterons de blé et d’ægilops comptent aujourd’hui chez M. Fabre et chez M. Godron plus de vingt générations consécutives. Je reviendrai plus tard sur cette exception remarquable. Je me borne pour le moment à constater que, si l’on ne connaît pas d’autre fait de même nature, c’est que la loi de retour aux types parens vient constamment contre-balancer la loi de l’hérédité, en dépit de la sélection, en dépit même de la prédominance d’un des deux sangs, comme chez le léporide de M. Gayot.

Ce dernier fait, celui que j’empruntais plus haut aux expériences de M. Naudin sur les daturas, une foule d’exemples pareils que l’on trouverait dans les écrits du même expérimentateur, dans ceux de M. Lecoq et de leurs émules, conduisent à une conséquence qu’il me semble difficile de repousser, c’est que le retour aux espèces primitivement croisées est complet. On ne peut évidemment ici invoquer la dilution de l’un des deux sangs ; on ne peut assimiler ce qui se passe chez ces demi-sang, chez ces quarterons, à la transformation progressive produite par des croisemens successifs, opérés toujours dans le même sens, et qui conduiraient de génération en génération d’un type à l’autre, expérience qu’on a aussi faite bien souvent. Dans ce dernier cas, pourrait-on dire, la prédominance de l’un des deux sangs en arrive à masquer l’existence de l’autre, bien que celui-ci persiste. Il n’y a rien de pareil dans ces datura stramonium, dans ces lapins, fils d’hybrides, qui reproduisent pourtant en totalité le type d’une seule des espèces croisées. La brusquerie du phénomène nous en révèle la nature. Il est évident qu’il y a ici soit rejet et expulsion, soit absorption ou destruction, en tout cas annihilation par un procédé physiologique quelconque de l’un des deux sangs dont l’association anormale donnait à l’hybride ses caractères mixtes.

La physiologie, venant ici à l’appui de la morphologie, confirme de tout point cette conclusion, et montre tout ce qu’il y a de radical dans ce retour aux types. On ne connaît pas un seul cas d’atavisme par hybridité. L’observation chez les animaux est pourtant déjà ancienne. Les Romains savaient produire des chabins, et distinguaient par des noms spéciaux le produit du croisement selon que le père ou la mère étaient empruntés à l’espèce ovine ou à l’espèce caprine[24] ; mais, en Italie comme dans le midi de la France, la loi de retour les a ramenés entièrement aux deux espèces primitives, et les effets du croisement ont totalement disparu. Jamais on n’a parlé d’agneaux nés d’une chèvre et d’un bouc, pas plus que d’un chevreau fils d’un bélier et d’une brebis. Certes un pareil fait, fût-il même fort rare, n’eût pas manqué d’éveiller l’attention, et on peut dire qu’ici l’observation négative équivaut à une affirmation. Quant aux végétaux, l’expérience directe a répondu dans le même sens. « J’ai plusieurs fois semé les graines des hybrides entièrement revenus aux types spécifiques, m’écrivait à ce sujet M. Naudin, et il n’en est jamais sorti que le type pur et simple de l’espèce à laquelle l’hybride avait fait retour. Jusqu’ici je ne vois rien qui puisse me faire supposer que, dans cette postérité revenue à une des espèces productrices, il puisse jamais se trouver un individu reprenant, par atavisme, les caractères de l’autre espèce. » Darwin lui-même déclare que, soit dans le règne animal, soit dans le règne végétal, jamais il ne s’est produit un fait de ce genre[25].

Quelque étrange que puisse paraître le phénomène de retour, il n’est pas sans analogie avec un fait bien connu des physiciens et des chimistes. Sans vouloir établir une comparaison rigoureuse et surtout une assimilation, on peut rapprocher ce qui se passe dans la succession des générations hybrides de ce que présente une dissolution de deux sels, tous deux cristallisables, mais à des degrés différens. On sait que, pour les séparer, il suffit d’opérer un certain nombre de cristallisations successives, et que ce procédé permet d’obtenir des produits d’une très grande pureté. Le retour aux formes parentes, surtout quand il se manifeste brusquement et en faveur d’un seul type, pourrait tenir à quelque chose d’analogue. Il suffirait d’admettre que l’un des types, ayant la faculté de se réaliser plus promptement que l’autre, l’emporte par cela même sur son antagoniste comme dans un gazon les plantes vigoureuses et précoces étouffent les espèces plus faibles et tardives. Le phénomène de retour se trouverait ainsi ramené à un simple fait de lutte pour l’existence, et rentrerait par conséquent dans l’ordre de ceux qu’ont si bien expliqués les belles recherches de Darwin.

On a voulu comparer à la variation désordonnée et au retour tel qu’on l’observe dans l’hybridation quelques-uns des phénomènes présentés par le métissage. On a, par exemple, assimilé à la première la lutte entre les caractères des deux races parentes observés à peu près toujours chez les métis. Pour montrer combien ce rapprochement est peu fondé, il n’est pas même nécessaire de recourir aux nombreux faits de détail que l’on pourrait invoquer. Il suffit de rappeler la pratique industrielle journalière. À chaque instant, on voit des éleveurs croiser des races parfois très différentes, tantôt pour relever un type inférieur, tantôt pour obtenir une race intermédiaire entre deux autres. Ils n’agiraient pas de même, si ces croisemens avaient pour résultat de produire un désordre comparable, même de bien loin, à celui que signale M. Naudin. Ils s’attendent sans doute à des irrégularités plus ou moins accentuées dans les premières générations métisses ; mais ils savent aussi qu’après quelques oscillations la race s’assoira. Ces oscillations pourront aller jusqu’à ramener quelques descendans des premiers métis à l’une des deux races parentes. Est-ce un véritable retour ? Non, car le sang de l’autre race reparaîtra bien souvent parmi les fils ou petits-fils de ces individus. Ici encore les exemples abonderaient au besoin. J’en ai emprunté un tout à l’heure à Darwin ; j’aurais pu rappeler également les expériences de Girou de Buzareingues et en particulier la généalogie qu’il a donnée d’une famille de chiens dans laquelle s’étaient mélangés par portions, paraît-il, à peu près égales le sang du braque et celui de l’épagneul. Un mâle, braque par ses caractères, uni à une chienne braque de race pure, engendra des épagneuls. Ce dernier sang, on le voit, n’avait point été annihilé, et le retour n’était qu’apparent. Je me borne à indiquer ces cas. Ils permettent de conclure que le vrai retour aux types et la véritable variation désordonnée n’ont encore été constatés comme règle générale que dans l’hybridation, et qu’en revanche l’atavisme ne s’est montré que dans le métissage.

On peut ramener à un petit nombre de propositions simples et brèves les deux ordres de faits que je viens de résumer. L’espèce est variable, et cette variabilité s’accuse par la production des variétés et des races. Les races, simples démembremens d’un type spécifique, restent physiologiquement unies entre elles et au type qui leur a donné naissance. Ce lien physiologique se montre dans le métissage par la facilité et la fécondité des unions entre les races les plus différentes de formes[26], par la persistance de la fécondité chez les métis, par les phénomènes de l’atavisme. Entre les espèces, le lien physiologique fait défaut, et de là résultent dans l’hybridation l’extrême difficulté et l’infécondité habituelle des unions, la stérilité de la plupart des hybrides, les phénomènes de variation désordonnée et de retour, l’absence d’atavisme chez les descendans d’hybrides revenus au type spécifique. Les races métisses se forment aisément, spontanément, en dehors de l’action de l’homme et parfois malgré ses efforts. En dépit d’innombrables tentatives, l’homme n’a encore obtenu qu’une seule race hybride comptant une vingtaine de générations, et il n’a pu la conserver jusqu’ici que par des soins incessans et minutieux. Voilà les faits que présente la nature actuelle. On ne saurait les perdre de vue lorsqu’on aborde d’une manière quelconque les problèmes qui touchent à l’origine, à la constitution des espèces, car ils représentent tout ce que l’expérience et l’observation nous ont appris sur ces sujets difficiles. Ce sont eux qui nous serviront de guides pour la suite de cette discussion.


III.


Dans les théories qui reposent sur l’idée d’une transformation lente, toute espèce nouvelle est représentée d’abord par un individu possédant quelque caractère qui le distingue du type spécifique antérieur. Ce caractère, à peine sensible d’abord, s’affermit et s’accuse de génération en génération. Lamarck répète bien souvent que ce procédé de transformation est seul en harmonie avec les lois de la nature, et Darwin n’insiste pas moins pour montrer qu’il est la conséquence forcée de la sélection. En d’autres termes, ils admettent l’un et l’autre que toute espèce a son origine dans une variété, et passe par l’état de race avant de s’isoler, de prendre rang dans le tableau général des êtres. De là à considérer la race et l’espèce comme deux choses identiques, ou peu s’en faut, il n’y a qu’un pas. Aussi Lamarck est-il allé jusqu’à penser que les espèces ne sont en réalité que des races, et emploie-t-il même de préférence ce second terme dans ses ouvrages dogmatiques. Darwin admet que les races ne sont que des espèces en voie de formation, et il conclut à chaque instant des unes aux autres.

Or cette assimilation entraîne une autre conséquence facile à prévoir. J’ai montré plus haut comment la notion de l’espèce relève à la fois de la morphologie et de la physiologie, combien la forme est variable dans certains cas sans que l’unité spécifique puisse être mise en discussion. J’ai rappelé comment au contraire les races se caractérisaient par leurs formes mêmes. Du moment où on substitue l’idée de race à celle d’espèce, du moment où l’on assimile ces deux choses, la morphologie doit nécessairement faire oublier, ou tout au moins placer à un rang très subordonné les considérations physiologiques. Cette tendance se retrouve en effet dans tous les écrits transformistes. J’en ai cité récemment un exemple emprunté à Darwin, j’en trouverais bien d’autres chez lui-même et chez Lamarck ; mais nulle part peut-être cette influence de la doctrine fondamentale n’est aussi accusée que dans un des plus beaux travaux de M. Naudin, dans celui-là même où, en résumant ses consciencieuses recherches, il fournit aux doctrines pour lesquelles je combats quelques-uns de leurs plus sérieux argumens. Après avoir rappelé, en le confirmant, ce qu’il avait dit de la loi de retour, il n’en arrive pas moins à déclarer que « l’espèce est avant tout une collection d’individus semblables, » et que « la délimitation des espèces est entièrement facultative[27]. » Quand il écrivait ces paroles, M. Naudin donnait à la morphologie une prédominance que je ne puis admettre. Je suis au contraire pleinement d’accord avec lui quand, prenant pour exemple trois formes de courges comestibles, assez semblables pour avoir été réunies par Linné en une seule espèce, il montre que ces plantes refusent de donner des hybrides par croisement mutuel, et en conclut qu’il y a là « trois autonomies spécifiques » parfaitement distinctes, ou bien lorsque, rappelant ses expériences sur les daturas, il tire les mêmes conséquences des phénomènes de retour et des troubles manifestés par les hybrides dans la végétation.

Il me semble en effet impossible de ne pas accorder aux caractères physiologiques tirés des phénomènes de reproduction une importance tout autre qu’à ceux qu’on peut emprunter à la forme. Nous voyons chaque jour celle-ci varier entre les mains de nos éleveurs, de nos jardiniers, de nos simples maraîchers, sans que jamais homme de science ou de pratique ait la pensée de faire une espèce à part des produits les plus aberrans, lorsque la filiation en est bien connue. L’autorité des faits l’emporte sur toutes les théories, et ramène à des conclusions identiques les esprits les plus divergens. On ne regardera pas davantage comme appartenant à la même espèce, quelque voisines qu’elles semblent être, des formes héréditaires entre lesquelles il est impossible d’obtenir des unions fécondes. En pareil cas encore, la réalité domine toutes les subtilités d’école. Ainsi, en présence des faits, les morphologistes les plus ardens acceptent la supériorité des caractères physiologiques empruntés à la fonction qui perpétue les êtres vivans.

Au fond, la grande question est donc de savoir au juste jusqu’à quel point l’expérience peut nous éclairer sur la nature de ces deux groupes, jusqu’à quel point sont constans les phénomènes du métissage d’une part, de l’hybridation de l’autre. Darwin lui-même ne s’y est pas trompé. Sans doute dans son livre sur l’Espèce il a, comme Lamarck, parlé de ces espèces douteuses qui embarrassent les naturalistes par l’incertitude des caractères morphologiques ; il a invoqué surtout le témoignage des botanistes, et cité le nombre assez considérable des types qui, en Angleterre seulement, ont été considérés tour à tour comme espèce et comme race. Toutefois il insiste assez peu sur cet ordre de considérations, tandis qu’il consacre en entier un de ses quatorze chapitres à la seule question de l’hybridité. Dans son second ouvrage, cinq chapitres sont employés à exposer les résultats du croisement, à en apprécier les conséquences, indépendamment des études particulières consacrées à diverses espèces animales domestiques ou à des plantes cultivées, et dans lesquelles ces questions sont bien souvent examinées. Évidemment un travail de cette nature fait par un naturaliste qui regarde les races comme des espèces en voie de formation devait avoir pour but de montrer d’un côté que le croisement entre races n’est pas toujours possible, de l’autre que le croisement entre espèces peut donner naissance à des races hybrides. Telle est en effet la tendance générale de l’ouvrage ; mais telle est aussi la parfaite loyauté de l’auteur qu’il est souvent le premier à montrer ce qu’ont d’insuffisant les faits qui pourraient le plus être invoqués en faveur de ses doctrines générales, et que, pour le combattre, on n’a bien des fois qu’à lui emprunter des armes.

Quand il s’agit du croisement des espèces entre elles, Darwin ne cite et ne pouvait citer aucun exemple de race hybride fourni par l’histoire des espèces sauvages livrées à elles-mêmes. Il tire surtout ses argumens de quelques espèces animales soumises à la domestication, de végétaux transformés par la culture ou soumis aux pratiques de l’hybridation artificielle ; suivons-le donc sur ce terrain. Parmi les animaux domestiques, les chiens, les moutons, les bœufs, les porcs, sont issus, pense-t-il, de plusieurs espèces. Cette opinion a été déjà bien souvent soutenue, et la grande, l’unique raison invoquée est toujours la différence de caractères existant d’une race à l’autre. Darwin apporte peu de considérations nouvelles à l’appui de cette opinion ; il en fournit de bien sérieuses propres à la renverser. Son admirable travail sur les pigeons montre que cette espèce domestique compte au moins cent cinquante races bien assises ayant reçu des noms spéciaux, et pouvant se diviser en quatre groupes fondamentaux, comprenant onze divisions principales. Cependant, par l’examen approfondi d’une masse énorme de faits, par un ensemble de considérations et de déductions qui se contrôlent et se confirment mutuellement, il en est arrivé à montrer de la manière la plus irrécusable que toutes ces formes, aujourd’hui héréditaires, ont pour ancêtre commun une forme spécifique unique, notre biset, la columba livia des naturalistes. Sans disposer de matériaux aussi nombreux, mais par l’application de sa méthode, Darwin ramène de même toutes nos races gallines au gallus bankiva. Certainement, s’il eût fait de même pour les mammifères domestiques, auxquels il accorde une origine multiple, il aurait conclu tout autrement qu’il ne l’a fait. Je ne puis entrer ici dans une discussion détaillée, et je me borne à indiquer quelques faits.

Les principales raisons données par Darwin pour ramener au biset tous nos pigeons domestiques peuvent se résumer de la manière suivante. Les races les plus éloignées se rattachent les unes aux autres par des intermédiaires. Si les races principales ne résultent pas de la variation d’une seule espèce, si leurs caractères essentiels sont dus à la descendance de plusieurs espèces distinctes, il faut admettre une douzaine de souches ; il faut admettre aussi que ces douze espèces primitives avaient toutes les mêmes mœurs, les mêmes instincts. Or l’état actuel de l’ornithologie permet d’affirmer que ces espèces n’existent pas aujourd’hui. On serait ainsi conduit à supposer qu’après avoir été domestiquées elles ont disparu ; hypothèse entièrement gratuite. Ces espèces supposées auraient dû être extrêmement différentes de toutes les espèces du genre actuellement vivantes et présenter même certains caractères qu’on ne retrouve peut-être dans aucun oiseau. À l’exception des différences caractéristiques, toutes les races de pigeons ont dans la manière de vivre, dans la manière de nicher, dans leurs goûts, dans leurs allures au temps des amours, la plus grande ressemblance entre elles et avec le biset. Spontanément ou par suite du croisement de races bien tranchées, on voit reparaître souvent certaines particularités de plumage et de teintes rappelant exactement ce qui existe chez le biset.

Les argumens qui précèdent reposent essentiellement sur des considérations morphologiques ; mais Darwin en a appelé aussi à la physiologie et au croisement. Il rappelle d’abord combien il s’est fait de tentatives depuis deux ou trois siècles pour domestiquer de nombreux oiseaux sans qu’on ait ajouté en réalité un seul nom à la liste des espèces apprivoisées. Il aurait donc fallu dès le début soumettre à la domestication une douzaine d’espèces distinctes, et cela si complètement qu’elles fussent devenues aptes à se croiser sans difficulté aucune en produisant des hybrides aussi féconds que leurs parens[28]. Cette hypothèse serait bien peu d’accord avec l’expérience. L’auteur cite un nombre considérable de tentatives faites pour croiser diverses espèces du genre pigeon soit entre elles, soit avec les pigeons domestiques, et toujours les unions ont été infécondes ou n’ont donné que des individus incapables de se reproduire. Tout au contraire, les mariages entre pigeons domestiques, quelque éloignées que soient les races, se montrent toujours féconds, et les produits ne laissent rien à désirer sous ce rapport. Darwin cite ici ses expériences personnelles à la fois nombreuses et décisives. Dans l’une d’elles, il a par des croisemens successifs réuni dans un seul oiseau le sang des cinq races les plus distinctes sans que les facultés reproductives aient subi la moindre atteinte. Darwin attache avec raison une grande importance à ce côté de son argumentation.

Appliquons maintenant ces mêmes considérations à celui de nos mammifères domestiques qui présente les races les plus nombreuses, les plus diversifiées, les plus opposées par leurs caractères[29]. Voyons si, étudiés à ces divers points de vue, nos chiens doivent être regardés comme issus d’une seule souche ou bien si plusieurs espèces ont confondu leur sang pour former un être complexe, le canis familiaris. Buffon avait admis la première de ces deux opinions. Récusera-t-on son témoignage en disant que cette conception est le résultat de ses idées générales sur la variabilité limitée, mais encore indéterminée, de l’espèce ? Il est bon de rappeler alors que Frédéric Cuvier, après s’être occupé pendant bien des années de ce sujet, est arrivé à la même conviction. Or la pression des faits a pu seule le conduire à une conclusion pareille, car, disciple zélé de son frère, dont il exagérait parfois les doctrines, il a toujours défendu l’invariabilité de l’espèce. L’évidence seule a donc pu le contraindre à accepter dans ce cas particulier une opinion qui pouvait le faire accuser d’inconséquence. Aussi la motive-t-il à diverses reprises[30], et plusieurs de ses argumens sont précisément ceux qu’invoque Darwin à propos des pigeons. Il fait remarquer, par exemple, que « les modifications les plus fortes n’arrivent au dernier degré de développement que par des gradations insensibles, » et il appuie cette proposition sur l’examen détaillé des caractères extérieurs et ostéologiques. Il montre que, si l’on veut voir dans les caractères de races les signes d’autant d’espèces primitives, il faut admettre environ cinquante souches distinctes, multiplicité qui dépasse de beaucoup, on le voit, celle que Darwin regarde déjà comme si improbable lorsqu’il s’agit des pigeons. Ajoutons que presque toutes ces espèces premières auraient dû disparaître sans que la paléontologie nous ait encore rien révélé sur leur prétendue existence. Ajoutons encore que certains caractères de quelques races canines les plus tranchées, tels que ceux de la tête du bouledogue, ne se trouvent ni chez aucune espèce des genres voisins, ni même peut-être chez aucun animal sauvage. Comme pour les pigeons d’ailleurs, ces cinquante espèces-souches auraient dû avoir essentiellement les mêmes instincts, surtout celui de la domestication.

Les similitudes entre les pigeons et les chiens considérés au point de vue physiologique ne sont pas moins frappantes. Le temps de la gestation est le même pour toutes les races de même taille[31], toutes paraissent être susceptibles d’apprendre à aboyer, et semblent également exposées à perdre cette voix factice par l’isolement et quelques autres conditions encore mal connues[32]. Toutes enfin se croisent avec une facilité dont nos rues et nos chenils ne témoignent que trop ; personne n’a prétendu que ces unions faites au hasard et souvent en dépit de la surveillance la plus attentive aient jamais été improductives ou aient donné naissance à des individus inféconds. Évidemment, si la fécondité du croisement entre les races a quelque autorité quand il s’agit des pigeons, à plus forte raison doit-elle conduire à une même conséquence quand il s’agit des chiens, dont la variété supposerait un nombre d’espèces-souches bien plus considérable.

Si Darwin avait fait avec quelque détail l’examen comparatif que je me borne à esquisser, s’il y avait apporté son esprit de critique impartiale ordinaire, il serait certainement arrivé à une conclusion tout autre que celle qu’il a admise, car son livre ne renferme en réalité qu’une seule objection à laquelle ne réponde pas ce court parallèle entre les pigeons et les chiens. J’entends parler de la ressemblance que présentent en divers pays les chiens plus ou moins domestiques et d’autres animaux sauvages vivant à côté d’eux ou dans le voisinage. Darwin regarde ces derniers comme autant de souches, et il arrive ainsi à en reconnaître de six à huit, sans compter, ajoute-t-il, « peut-être une ou plusieurs espèces éteintes. » Il reconnaît d’ailleurs lui-même que, même en admettant le croisement de ces nombreuses espèces, on ne peut expliquer l’existence des formes extrêmes telles que celles des lévriers, des bouledogues, des épagneuls, des blenheim.

Ici Darwin oublie un fait important qu’ont aussi négligé ses devanciers, et dont il faut pourtant tenir compte. Au milieu des populations les plus civilisées, dans les campagnes les plus cultivées, dans les villes les plus populeuses, il existe des chiens errans dont la police ne peut entièrement nous débarrasser. On sait comment ils ont pullulé dans les villes d’Orient, comment en Amérique ils ont enfanté des hordes qui, redevenues entièrement sauvages, ont ajouté une bête féroce de plus à la faune du Nouveau-Monde. Il est impossible d’admettre, à moins de preuves incontestables qui manquent, que les choses se soient passées autrement partout ailleurs. Évidemment, partout où l’homme a conduit le chien, celui-ci aura tendu à enfanter des races marronnes toutes les fois qu’il aura trouvé à vivre loin de son maître. Or l’homme a amené partout le chien avec lui. On ne peut guère en douter en voyant les Polynésiens eux-mêmes le transporter jusqu’à la Nouvelle-Zélande. Par conséquent, dans les pays où les conditions d’existence l’ont permis, il a dû inévitablement se développer des chiens marrons. L’Asie méridionale avec ses jungles et ses vastes espaces à peine habités par des tribus demi-sauvages offrait à ce point de vue les conditions les plus favorables, et c’est une des contrées où le fait paraît s’être produit le plus fréquemment. Quant à l’Amérique du Sud, quelle raison aurait-on pour admettre que ce qui s’est passé avec les chiens des Européens n’a pu se produire avec les chiens des indigènes ? À côté des chiens domestiqués par les Mexicains, les Péruviens, à côté de ceux qui suivaient les tribus de l’Orénoque, de l’Amazone, du Rio de la Plata, nous devons certainement trouver les races marronnes correspondantes.

Or, en recouvrant leur liberté, les animaux reprennent, on le sait, la plupart des caractères propres aux types sauvages ; mais ils n’en conservent pas moins en partie l’empreinte particulière qu’ils avaient reçue de l’homme et qui distinguait leur race domestique. Les observations de MM. Roulin et Martin de Moussy, comparées aux descriptions malheureusement trop rares de quelques voyageurs, ne peuvent laisser de doute à cet égard. Il résulte de là qu’en disséminant le chien sur toute la surface du globe l’homme a semé pour ainsi dire en même temps des races marronnes forcément plus ou moins différentes les unes des autres. Ce sont les descendans d’individus soumis jadis à l’homme qui forment ces bandes de chiens sauvages souvent assez semblables aux races domestiques des mêmes contrées. Pour voir dans ces dernières les filles et non les mères des races ambiguës vivant en liberté, il faut oublier tout ce qui s’est passé en Amérique, ce qui se passe au milieu de nous et jusque dans Paris. Sans doute on ne peut le plus souvent invoquer à l’appui de l’opinion que je défends d’autre argument que l’analogie ; mais tout au moins m’est-il permis de dire qu’elle milite tout entière en ma faveur.

Voici pourtant un exemple bien propre à montrer comment on a pris pour une espèce sauvage une simple race de chiens marrons et abandonnés probablement depuis assez peu de temps. La plupart des naturalistes ont fait du chien des îles Malouines (îles Falkland) une espèce distincte sous le nom de canis antarcticus[33]. Ils répètent que cet animal a été trouvé là par le commodore Byron, le premier Européen qui, selon eux, aurait visité ces îles. Il y a là d’abord une erreur historique. Byron ne fit que toucher aux Malouines en janvier 1765. Or l’année précédente, en janvier aussi, Bougainville avait conduit dans ces îles une colonie d’Acadiens, et y avait séjourné pendant quelque temps. Il s’y trouvait de nouveau au moment de la visite de Byron. C’est ce dont on peut se convaincre en consultant les deux récits de voyage écrits par ces célèbres navigateurs. Tous deux parlent du chien qu’ils ont vu dans ces îles et à peu près dans les mêmes termes quant aux caractères extérieurs ; mais Bougainville a pu être plus précis. « Cet animal, dit-il, est de la taille d’un chien ordinaire, dont il a l’aboiement, mais faible. » Ce dernier détail est décisif, aucune espèce sauvage n’aboie, et, pour pouvoir le faire, il fallait que le canis antarcticus, descendu d’un chien domestique, n’eût pas même eu le temps à cette époque d’oublier son langage appris. Du reste Bougainville, sans même s’occuper de la question zoologique, nous apprend fort bien comment cet animal a dû arriver dans cet archipel isolé, lorsqu’il rappelle que sir Richard Hawkins, en longeant les côtes, avait vu des feux à terre, et en avait conclu que ces îles étaient habitées.

Les faits précédens, les conséquences qui en découlent, me semblent répondre pleinement à la seule objection nouvelle opposée par Darwin à l’opinion qu’a soutenue Frédéric Cuvier lui-même. Si les pigeons proviennent tous d’une seule souche sauvage, il en est incontestablement de même du chien[34]. À plus forte raison peut-on en dire autant des autres espèces auxquelles le savant anglais accorde une origine multiple. En somme, elles ne sont pas bien nombreuses, pas plus que celles dont l’origine unique est hors de doute. Au point de vue morphologique, elles ne présentent rien qui dépasse ni même qui égale ce que nous montrent les pigeons, et leurs races sont aussi moins nombreuses ; au point de vue physiologique, nous retrouvons chez elles cette facilité de croisement que Darwin invoque en parlant des races colombines ; la chèvre, le bœuf, le porc, ont donné des races marronnes sur divers points du globe, et le dernier surtout, en se rapprochant du sanglier, en acquérant aussi des caractères en harmonie avec le climat, a néanmoins conservé des traces irrécusables de son ancienne servitude. Bien plus, l’histoire récente de quelques-unes de ces espèces nous apprend comment ont pris naissance chez d’autres ces races anormales, dont la multiplicité spécifique des origines est incapable de rendre compte, au dire de Darwin lui-même. En voyant l’ancon reproduire chez le mouton les jambes et le corps du basset, en retrouvant dans le bœuf gnato les caractères extérieurs et ostéologiques du bouledogue, nous comprenons aisément ce qui a dû se passer chez le chien[35]. Pour qui se place à notre point de vue, l’induction, partant de faits précis, permet donc de résoudre des questions reconnues inabordables par l’hypothèse que je combats.

En résumé, tout nous ramène à voir l’expression de la vérité dans le langage ordinaire et accepté par nos contradicteurs eux-mêmes, langage qui comprend sous une même dénomination spécifique les races canines, bovines, ovines, porcines, de même que nous n’avons qu’un seul nom pour désigner l’ensemble des races de pigeons. Il faut ou bien renoncer à chercher dans nos races animales domestiques des exemples d’hybridation, ou bien admettre autant d’espèces que l’on compte de formes héréditaires bien tranchées ; mais, si l’on se place à ce point de vue exclusivement morphologique pour le chien, le porc, le cheval, on ne peut agir autrement pour le lapin, l’âne, l’oie, le canard, le pigeon. On est conduit à séparer en espèces distinctes des êtres dont la filiation est bien connue et qui descendent incontestablement d’une espèce unique sauvage vivant encore à côté de nous. Il me semble difficile que cette dernière conséquence soit acceptée par les morphologistes les plus décidés. Pourtant elle ressort irrésistiblement de leurs doctrines dès qu’on les applique aux questions spéciales dont nous possédons le mieux les données essentielles. Je me crois donc autorisé à conclure que ces doctrines ont pour fondement avant tout notre ignorance même, et n’ont de valeur apparente que lorsqu’il s’agit de ce que nous ne connaissons pas.

Telles sont les conclusions générales que je crois pouvoir tirer de tous les faits empruntés au règne animal. Chez les végétaux, l’influence plus facile et plus forte du milieu, la multiplicité correspondante des variétés et des races naturelles ou artificielles, la facilité que la greffe, le marcottage et les autres procédés de reproduction fournissent pour multiplier les plus graves comme les plus légères variations, viennent compliquer singulièrement les phénomènes ; néanmoins, en les étudiant avec attention, l’on est conduit exactement aux mêmes résultats, indépendamment des analogies qu’on peut légitimement établir d’un règne à l’autre en pareille matière. Pour justifier cette conclusion, je ne crains pas d’en appeler à l’ouvrage même de Darwin, bien que l’auteur parfois ne paraisse pas très loin d’adopter la manière de voir opposée. Pas plus que pour les animaux, il ne cite d’exemple bien constaté d’une suite de générations hybrides nées d’espèces sauvages, et les groupes de races cultivées sous le même nom spécifique lui semblent seuls témoigner en faveur des mélanges hybrides. Lui-même s’exprime parfois de manière à montrer qu’il hésite à formuler cette conclusion en présence de la fécondité si complète de toutes ces races entre elles. Il accepte d’ailleurs franchement le résultat des expériences qui ont démontré l’unité spécifique de quelques-uns des groupes où les formes sont le plus multipliées. Il cite sans commentaires le travail du Dr Alefeld, qui, après avoir cultivé une cinquantaine de variétés de pois (pisum sativum), a conclu de ces études qu’ils appartenaient certainement à la même espèce ; il ne fait aucune objection au travail si complet de M. Decaisne[36], qui, après dix ans d’expérimentation ininterrompue, est arrivé à la même conclusion pour les poiriers, dont on connaît plus de six cents variétés ou races[37]. Il aurait pu ajouter que le même expérimentateur, qu’il appelle « un des plus célèbres botanistes de l’Europe, » a ramené à une seule sept formes de plantain extrêmement différentes, toutes fort répandues dans la nature, et que l’on considérait, en apparence avec raison, comme autant d’espèces différentes[38].

Je crois inutile de multiplier ces citations. Ce qui précède suffit pour montrer combien est grande chez les végétaux la variabilité des types spécifiques, et par conséquent combien il est facile de se laisser égarer ici lorsqu’on s’en tient aux considérations tirées de la forme seule. Il est évident qu’on est exposé à chaque instant à prendre pour des hybridations vraies de simples métissages[39]. Toutefois, parmi les exemples empruntés par Darwin au règne végétal, il en est un de vraiment fondé, et qui montre bien deux espèces parfaitement distinctes ayant produit de vrais hybrides qui sont restés régulièrement féconds pendant une suite déjà considérable de générations. Ce fait, unique jusqu’à ce jour, mérite d’autant plus de nous arrêter.

La patrie originelle du blé, de cette céréale dont nous ne comprenons guère en Europe qu’on puisse se passer pour vivre, n’est pas encore connue avec certitude[40]. De là sans doute est née la pensée qu’il pouvait bien n’être que le résultat de la transformation d’un ægilops, plante qui, quoique bien plus petite que nos diverses races de froment, leur ressemble beaucoup. Cette opinion est populaire en Syrie, où les Arabes désignent l’ægilops ovata sous le nom de père du blé. Elle fut soutenue vers 1820 par un professeur de Bordeaux, nommé Latapie, qui disait avoir confirmé par des expériences les observations qu’il avait faites en Sicile. C’est dans cette île, pensait-il, que la transformation s’était opérée ou bien avait été reconnue pour la première fois, et il expliquait ainsi la fable de Triptolème. Bory de Saint-Vincent accueillit assez favorablement cette idée, qui concordait si bien avec ses théories. Cependant elle était tombée dans l’oubli quand les recherches de M. Esprit Fabre, d’Agde, publiées en 1853, vinrent lui donner une importance inattendue. M. Fabre avait trouvé au bord d’un champ de blé la plante décrite par Requien sous un nom qui indiquait ses caractères intermédiaires entre ceux des ægilops et du froment[41] ; mais il l’avait vue sortir d’un épi de véritable ægilops ovata, enterré par accident. Il crut à un commencement de transformation, et se mit à l’œuvre pour continuer une expérience si heureusement commencée. Pendant douze années consécutives, il cultiva les graines de son ægilops triticoïdès, et finit par obtenir des plantes donnant un blé parfaitement comparable à celui de certaines variétés de froment. Alors seulement il publia les résultats de ses recherches, qu’avait suivies et contrôlées un célèbre botaniste de Montpellier, Dunal.

Les faits observés par M. Fabre étaient incontestables ; les conséquences qu’il en tirait semblaient être à l’abri de toute objection. La transformation de ægilops ovata en froment sembla un moment un fait acquis à la science, et pourtant il n’en était rien. Quelques particularités dans les phénomènes de cette prétendue métamorphose avaient éveillé l’attention de M. Godron, alors professeur à Montpellier. Ce botaniste éminent crut y reconnaître les caractères d’une hybridation plutôt que ceux d’une transformation graduelle. À son tour il expérimenta, et, croisant d’abord ægilops ovata avec le froment, il obtint l’ægilops triticoides ; puis, fécondant de nouveau cet hybride avec du pollen de froment, il obtint un quarteron fort semblable au blé ægilops de M. Fabre[42]. Ces expériences, répétées par plusieurs botanistes en France, en Allemagne, donnèrent partout les mêmes résultats[43]. La question changeait ainsi de nature, sans perdre pour cela de son intérêt. Le premier expérimentateur avait constaté la fécondité de son blé artificiel ; le second avait à s’assurer si elle se retrouvait dans son hybride. M. Godron poursuivit donc son expérience. Il continua d’élever des plantes provenant de semences obtenues par M. Fabre et par lui-même. Aujourd’hui encore il cultive les descendans des unes et des autres, et obtient tous les ans une récolte plus ou moins abondante. La forme intermédiaire de l’hybride s’est maintenue jusqu’ici dans les cultures de M. Godron. Il n’a pas observé de retour vers l’une ou l’autre des espèces parentes, comme cela a eu lieu à Montpellier et chez M. Fabre. Toutefois ce résultat n’a été obtenu qu’à l’aide de soins continus et minutieux, et les expériences de M. Godron ont bien montré qu’abandonné à l’action des seules conditions naturelles, même sur un sol préparé comme on le fait pour le blé, l’ægilops speltæformis disparaîtrait bien probablement dès la première année, et ne pourrait en aucun cas continuer à se propager. Cette race hybride, exception unique jusqu’à ce jour, ne dure donc que par l’intervention active de l’homme, et à ce titre nous aurons à l’examiner de nouveau plus tard. Il suffit ici de constater qu’il existe sous ce rapport une différence absolue entre elle et les nombreuses races animales métisses journellement obtenues, et dont on connaît l’origine. La différence n’est pas moindre quand il s’agit de ces nombreuses races de végétaux cultivés qui se reproduisent par graines et qui constituent l’immense majorité de nos légumes. Pour admettre que ceux-ci doivent leur existence à un ancien croisement d’espèces, il faut encore conclure en dépit des seules analogies qui permettent de jeter du jour sur ce que nous ne connaissons pas.

J’ai dû insister sur la manière dont Darwin a traité la question du croisement des espèces. On peut être beaucoup plus bref lorsqu’il s’agit du croisement des races. Ici nos opinions sont semblables, et il ne peut guère en être autrement, car les faits journaliers parlent trop haut. J’ai reproduit plus haut textuellement sa déclaration au sujet du croisement entre races domestiques animales. Il ne connaît pas un seul exemple de stérilité dans cette sorte de métissage. Il constate au contraire que la fertilité se ranime ou s’accroît souvent en pareil cas. Son langage est moins précis quand il s’agit des végétaux, et par momens il semble admettre l’infécondité de certains métissages. Pourtant, après avoir discuté quelques rares exemples, il se borne à dire : « Ces faits relatifs aux plantes montrent que dans quelques cas certaines variétés (races) ont eu leurs pouvoirs sexuels modifiés, en ce sens qu’elles se croisent entre elles moins facilement et donnent moins de graines que les autres variétés des mêmes espèces. » Certes c’est là une conclusion que personne n’aura la pensée de contester. On reconnaît à tout moment des différences de fécondité de race à race lorsqu’on unit des individus appartenant tous deux à l’une d’elles. Que des faits analogues existent dans leur croisement réciproque, il n’y a certainement là rien qui soit en désaccord avec la distinction de la race et des espèces même les plus voisines. Le savant anglais parait voir dans les cas d’amoindrissement de la fécondité une sorte d’acheminement vers un isolement plus complet ; mais comment interpréterait-il les cas contraires, ceux où la fécondité grandit sous l’influence du métissage, et qui sont de beaucoup les plus nombreux ? Sans doute il y a du plus et du moins dans les phénomènes de cet ordre comme dans tous. Cependant, du minimum de fécondité continue constaté entre races aux faits qui caractérisent l’hybridation, il existe toujours une distance énorme et dont le lecteur peut juger aisément.

Ainsi, en matière de croisement, quand il s’agit des races, accord complet de toutes les opinions ; accord encore à propos des espèces lorsqu’il s’agit des cas spéciaux dont on possède toutes les données, désaccord là seulement où ces données manquent ; voilà en résumé ce que constate l’ouvrage même de Darwin, ouvrage qui est sans contredit l’effort le plus sérieux qui ait été fait jusqu’à ce jour pour abaisser les barrières qui séparent la race de l’espèce. Nous retrouvons donc encore ici l’appel à l’inconnu employé pour combattre les analogies empruntées à une foule de faits positifs. À lui seul, ce contraste me semble fait pour confirmer les convictions de ceux qui croient à la distinction fondamentale de l’espèce et de la race, qui voient dans la différence des phénomènes de l’hybridation et du métissage un moyen de distinguer ces deux choses. Est-ce à dire que ce critérium efface toutes les difficultés ? Non, certes. Avec M. Decaisne, je n’hésite point à reconnaître que, lorsqu’il s’agira de ramener un nombre indéterminé de formes différentes à un seul et premier type spécifique, « il y aura toujours des cas douteux, même après l’épreuve du croisement fertile dans toute la série des générations possibles[44] ; » des cas inverses se présenteront sans doute aussi. Est-ce une raison pour repousser la règle générale qui ressort d’une écrasante majorité de faits indiscutables ? À ce compte, je ne sais trop quel principe pourrait être conservé dans n’importe quelle science. L’attraction elle-même n’a pas résolu toutes les difficultés de la mécanique sidérale, si simple pourtant dans ses immuables lois. A-t-elle été mise en doute pour cela ? Vouloir être plus exigeant quand il s’agit des phénomènes si complexes du monde organisé serait méconnaître la nature des choses. Il ne faut pourtant pas exagérer la portée de ces difficultés et y voir un motif pour confondre ce qui est en réalité très distinct. Les lacunes de notre savoir actuel ne sauraient autoriser l’adoption d’hypothèses en contradiction avec les faits acquis. J’ai cherché à montrer l’ensemble de ceux que la science a enregistrés. Je ne crois pas possible d’aller chercher ailleurs les bases d’une discussion sérieuse, qu’il s’agisse du présent ou du passé. Pas plus dans le monde organisé que dans le monde inorganique, les lois générales n’ont pu changer depuis les temps paléontologiques, quelque lointains qu’ils soient par rapport à nous et à notre courte existence. En réalité, ces époques, même en leur accordant toute la durée que leur attribue Darwin, sont à peine des jours dans les années de l’univers.


A. de Quatrefages.
  1. Voyez la Revue du 1er mars.
  2. Histoire naturelle générale des règnes organiques, t. III, chap. xi, 7.
  3. Isidore Geoffroy.
  4. Voyez, dans les livraisons de la Revue du 15 décembre 1860 au 15 avril 1861, la série intitulée Unité de l’espèce humaine.
  5. Pour Vogt, l’espèce est « la réunion de tous les individus qui tirent leur origine des mêmes patrons et qui redeviennent, par eux-mêmes ou par leurs descendans, semblables à leurs premiers ancêtres. » (Lehrbuch der Geologie, Isidore Geoffroy.)
  6. Ces diverses expressions sont celles qu’a employées M. Lespès dans son beau mémoire sur le termite lucifuge (Annales des sciences naturelles, 1856)
  7. De la variation des animaux et des plantes, t II, chap. xix, et Mémoire sur l’hétéromorphisme des fleurs (Annales des sciences naturelles. — Botanique, 4° série, t. XIX).
  8. Revue des Deux Mondes, 15 décembre 1860.
  9. La variété est « un individu ou un ensemble d’individus appartenant à la même génération sexuelle qui se distingue des autres représentans de la même espèce par un ou plusieurs caractères exceptionnels » (Revue des Deux Mondes, 15 décembre 1860.)
  10. Recherches sur les Ossemens fossiles, t. Ier.
  11. Histoire naturelle des Mammifères ; sur un mulet de macaque.
  12. Dictionnaire universel d’Histoire naturelle, article Propagation.
  13. Les expériences d’Isidore Geoffroy ont porté sur les races les plus diverses des espèces chien, chèvre, porc, poule, et surtout sur les races ovines.
  14. Mémoire sur les caractères du genre Cucurbita (Annales des sciences naturelles, — Botanique, 4e série, t. VI). — Les observations de M. Naudin ont porté sur plus de 1,200 individus en une seule année.
  15. C’est là chez les hybrides un fait général, dont le mulet offre un exemple chez les animaux. Les organes et les fonctions de la vie individuelle semblent gagner en activité et en énergie ce que perdent les organes et les fonctions de propagation de l’espèce. C’est un cas très remarquable d’application de la loi du balancement organique et physiologique.
  16. Les chabins ont trois huitièmes de sang de bouc et cinq huitièmes de sang de brebis. Au Pérou, on renverse le rôle des espèces, et l’on croise le bélier avec la chèvre, tout en conservant la proportion des deux sangs. Les léporides ont trois huitièmes de sang de lapin et cinq huitièmes de sang de lièvre.
  17. La toison des chabins présente un poil à la fois long et souple, ce qui fait employer la peau tannée de ces hybrides à une foule d’usages.
  18. Bulletin de la Société zoologique d’acclimatation, séance du 28 décembre 1860.
  19. Histoire naturelle générale des règnes organiques, t. III, chap. x, 14. — Ce volume porte la date de 1862, mais on sait que l’impression n’en fut terminée qu’après la mort de l’auteur, qui n’a même pu l’achever. Les retards inévitables en pareils cas expliquent la date inscrite sur le titre ; mais Isidore Geoffroy nous apprend lui-même qu’il écrivait le passage cité en 1859, qu’il empruntait les faits qui semblaient motiver sa prévision au mémoire encore inédit de M. Broca.
  20. Note sur les lapins-lièvres, par M. Jean Reynaud (Bulletin de la Société d’acclimatation, séance du 12 décembre 1862).
  21. Cette expérience culinaire, répétée à Paris sur un des léporides que M. Roux faisait vendre au marché, donna lieu à la même appréciation.
  22. E. Faivre. La variabilité des espèces et ses limites, chap. VIII.
  23. Bulletin des séances de la Société impériale et centrale d’agriculture de France, mars 1868.
  24. Isidore Geoffroy cite les deux vers suivans empruntés à Eugenius, auteur du VIIe siècle, qui a écrit une très curieuse pièce de vers : De ambigenis.

    Titirus ex ovibus oritur hircoque parente,
    Musmonem capra verveco semine gignit.


    (Histoire naturelle générale des règnes organiques, t. III, ch. x, 5.)
  25. De la variation des animaux et des plantes, t. 1er, chap. VIII, le Paon.
  26. Je n’ai guère parlé ici que des formes intérieures ou extérieures. Quand il s’agit de comparer l’espèce et la race, cet ordre de caractères est ordinairement seul pris en considération ; mais on sait que chez les animaux et les végétaux des modifications fonctionnelles devenues héréditaires caractérisent fort bien certaines races, et qu’il en est de même chez les animaux pour les modifications de l’instinct, des habitudes, etc.
  27. Nouvelles recherches sur l’hybridité dam les végétaux, § VIII (Annales des sciences naturelles, 4e série, t. XIX).
  28. Ici, et dans plusieurs autres passages de son livre, Darwin admet la doctrine de Pallas, et pense que la domestication a pour résultat de faciliter les croisemens et d’en accroître la fécondité.
  29. À la première exposition des races canines faite à Paris par le Jardin d’acclimatation, on avait réuni 180 races parfaitement distinctes, et cependant toutes les races européennes n’y étaient pas représentées à beaucoup près, et les races exotiques manquaient presque toutes.
  30. Recherches sur les caractères ostéologiques du chien (Annales du Muséum d’histoire naturelle, t. XVIII, 1811) ; Dictionnaire des Sciences naturelles, article Chien, 1817.
  31. Isidore Geoffroy, Histoire naturelle des règnes organiques.
  32. Deux chiens de la rivière Mackensie, amenés en Angleterre, restèrent muets comme leurs ancêtres ; mais leur fils apprit à aboyer. Les descendans des chiens abandonnés dans l’île de Juan Fernandez avaient oublié l’aboiement au bout d’une trentaine de générations. Ils le reprirent peu à peu en compagnie de chiens restés domestiques. Les chiens amenés sur certains points de la côte d’Afrique perdent de même la faculté d’aboyer.
  33. Le canis antarcticus paraît ressembler beaucoup au chien aguara, race marronne issue d’un chien domestique de l’Amérique du Sud, et qu’il ne faut pas confondre avec l’aguara proprement dit. Ces ressemblances mêmes trahissent son origine. Il est du reste surprenant que les naturalistes aient accepté si facilement l’existence sur le stérile et petit archipel des Malouines d’un mammifère de cette taille lui appartenant exclusivement. Il y avait là une exception aux faits généraux de la géographie zoologique qui aurait pu éveiller leur attention d’une manière toute spéciale.
  34. Dans la Revue même, j’ai montré après Güldenstaedt, Pallas, Tilesius, Ehrenberg, Hemprich, Isidore Geoffroy, que le chien n’est autre chose que le chacal domestique (Unité de l’espèce humaine). J’ai apporté depuis quelques preuves nouvelles à l’appui de cette opinion, en faisant connaître les faits qu’ont bien voulu me communiquer diverses personnes, entre autres MM. Lartet, Dufour, etc.
  35. La race ancon ou race loutre de moutons a pris naissance dans le Massachusetts en 1791. Le bœuf gnato (bœuf camard) apparaît d’une manière erratique dans nos troupeaux d’Europe (Nathusius cité par Darwin). M. Dareste a récemment étudié un jeune veau né aux environs de Lille et qui présentait tous les caractères du gnato de la Plata. (Rapport sur un veau monstrueux ; Archives du comice agricole de l’arrondissement de Lille, 1867). Cette race s’est constituée et assise au milieu des troupeaux des Indiens à demi sauvages au sud de la Plata. À l’époque où M. Lacordaire visita ces régions, elle parait avoir été assez répandue, et quelques personnes, oubliant l’origine tout européenne du bétail américain, la croyaient indigène. Elle existe aussi au Mexique, comme nous l’apprend une communication faite à l’Académie des Sciences par M. Sanson dans la séance du 8 mars 1869.
  36. De la variabilité dans l’espèce du poirier ; résultat d’expériences faites au Muséum de 1853 à 1862 inclusivement. (Comptes-rendus de l’Académie des Sciences, séance du 6 juillet 1863.)
  37. Godron, De l’espèce et des races dans les êtres organisés.
  38. Je tiens le chiffre de M. Decaisne lui-même, qui s’est borné à indiquer, dans le compte-rendu d’une séance de la société qu’il présidait alors, le résultat général de ses recherches. Il a reconnu dans le genre plantago, si nombreux pour quelques botanistes, trois espèces majeures seulement. Les autres ne sont que des races ou des variétés. (Bulletin de la Société de botanique de France, séance du 20 avril 1860.)
  39. Cette observation me semble surtout applicable aux expériences de sir W. Herbert, rapportées par Darwin. (De l’Origine des espèces, chap. VIII, 2.) D’après cet expérimentateur, il existerait certains genres de plantes chez lesquels la fécondation serait aisée et fertile en croisant des especes différentes, tandis que les plantes fécondées avec leur propre pollen resteraient infécondes. Ces faits me semblent rappeler ceux que Darwin admet lui-même pour le croisement des races ou ceux qu’il a fait connaître sur les plantes polymorphes bien plutôt qu’aucun de ceux que tous les naturalistes rattachent à l’hybridation.
  40. Quelques voyageurs, Olivier, André Michaux, plus récemment Aucher Éloy, ont cru reconnaître le froment sauvage dans une graminée de Perse.
  41. Ægilops triticoides.
  42. M. Godron a donné à cet hybride quarteron le nom d’Æægilops speltæformis.
  43. M. Godron fit ses premières hybridations à Montpellier l’année même où parut le mémoire de M. Fabre. Il les a répétées à Nancy en 1857.
  44. De la Variabilité dans l’espèce du poirier.