Ornithologie du Canada, 1ère partie/LES PICS OU PIQUE-BOIS.

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Atelier typographique de J. T. Brousseau (p. 103-104).

LES PICS OU PIQUE-BOIS.


Les Pics, habitants naturels des grandes forêts, sont beaucoup plus nombreux dans l’Amérique septentrionale qu’en Europe. Pour cinq espèces que Vieillot comptait en France, on en compte maintenant vingt-neuf en Amérique. On en a remarqué neuf à dix sortes en Canada. Symboles du travail et de la persévérance, la nature leur a donné des instruments appropriés à leurs besoins. Des pieds courts, des ongles forts et arqués pour grimper et se cramponner aux arbres ; un bec dur, quarré et taillé en ciseau à sa pointe pour creuser et fendre l’écorce ; une queue composée de plumes élastiques, fortes et à barbes roides et dures pour se solider et servir de point d’appui ; une langue pointue, longue, visqueuse et susceptible d’être dardée hors du bec par un mécanisme tout spécial, pour retirer les insectes des trous ; tels sont les moyens ingénieux que la nature leur a fournis pour bien exercer leur laborieuse industrie. Les Pics ont un merveilleux instinct pour découvrir les insectes dans le cœur des arbres cariés ou morts. Ils se cramponnent d’abord au pied de l’arbre, posent le ventre sur le tronc et prêtent l’oreille pour s’assurer s’il contient des insectes rongeurs ; ils montent ensuite peu à peu, s’arrêtent un instant pour écouter, et continuent ainsi jusqu’à ce qu’ils entendent le bruit que fait la larve ; lorsqu’ils sont assurés de l’endroit, des coups de becs redoublés leur ont bientôt livré leur proie.

Ils ont encore une autre manière de chasser qu’ils emploient d’ordinaire sur un arbre vert : après l’avoir frappé violemment, ils se transportent aussitôt sur le côté opposé pour saisir l’insecte caché dans l’écorce, que le bruit réveille et met en mouvement ; enfin ces oiseaux défians et craintifs se dérobent à la vue du chasseur en tournant autour du tronc ou d’une grosse branche, et en se tenant toujours sur la face opposée.

Tous les oiseaux de ce genre vivent de larves et d’insectes, mais il en est qui joignent à ces aliments les baies et les fruits tendres : un poirier sauvage avoisinant notre résidence était, en août dernier, un point d’attraction pour un Pic qui conjointement avec une troupe de Récollets,[1] véritables Gargantuas, l’eut bientôt dégarni de tout son fruit.

Quelques-uns à l’ouest de la province se tiennent en famille, d’autres par troupes : nous les avons généralement rencontrés isolément ou par paires. Il en est qui ne grimpent pas, mais se tiennent aussi souvent à terre que sur les arbres, tels que le Pic doré, connu dans nos campagnes maintenant, comme au temps où écrivait le vieux Gouverneur des Trois-Rivières, sous le nom de Pivert ou Pivart. Les arbres vermoulus sont ce que ces oiseaux préfèrent pour y percer le trou qui doit receler leur progéniture : ils l’arrondissent avec leurs becs et lui donnent souvent une grande profondeur. Les Pics ont un vol onduleux et gracieux. Leur nid se compose d’herbe, de mousse et de divers autres matériaux réunis sans art. Les petits naissent couverts d’un léger duvet, et ne quittent leur berceau que quand leurs doigts et leurs ongles ont assez de force pour leur faire gagner l’entrée de leur antre, et que leurs ailes ont assez de longueur pour leur donner les moyens de suivre leurs parents. Le grand maître de la tribu, le Pic au bec d’ivoire, nous regrettons de le dire, nous ne l’avons pas ; mais en revanche, nous avons le Pic noir à huppe rouge.


  1. Jaseur du Cèdre.