Ornithologie du Canada, 1ère partie/La Bécasse

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Atelier typographique de J. T. Brousseau (p. 347-351).

LA BÉCASSE.[1]
(Woodcock.)


La Bécasse arrive dans le Haut-Canada à la fin de mars, et dans le Bas, vers le milieu d’avril. Ses habitudes sont tellement nocturnes, qu’elle peut exister dans une localité sans que sa présence soit soupçonnée, excepté par des chasseurs familiers avec la topographie des lieux. Pendant une grande partie du jour, elle se réfugiera dans des savanes ombragées et n’en sortira pour chercher sa nourriture que la nuit, au point du jour ou bien après le coucher du soleil. Elle vient nicher en Canada, le printemps ;[2] l’automne venu, elle se retire dans le Sud des États de la République voisine. Le nid est placé à terre, dans un endroit retiré de la forêt, très souvent au pied d’un buisson ou d’un arbre : quelques feuilles desséchées, quelques herbes en font tous les frais : la femelle y pond quatre à cinq œufs d’un pouce et demi de longueur, d’un pouce au plus de diamètre et s’effilant tout à coup au petit bout. Ces œufs sont brun clair avec des taches plus foncées au gros bout, mêlées d’autres taches d’un pourpre pâle. Pendant ses excursions nocturnes, aussi bien que le matin et le soir, la Bécasse s’élèvera par un vol spiral à une très grande hauteur dans les airs, faisant entendre de temps à autre sa note quac ; lorsqu’elle est parvenue bien haut, elle court des bordées çà et là d’une manière irrégulière, en bourdonnant, puis elle redescend se poser à terre avec la même rapidité qu’elle était montée.

Son cri, quand elle est sur le sol, semble lui être pénible à émettre : elle incline en ces occasions la tête vers la terre et hoche la queue fréquemment ; ces allures ont lieu le printemps et paraissent être le cri d’appel du mâle. La Bécasse passe son temps à retourner les feuilles ou le sol pour y chercher les larves et les vermisseaux qui s’y cachent ; sa chair est fort recherchée.

La Bécasse d’Amérique a les habitudes de la Bécasse d’Europe, mais sa taille est bien moindre et son plumage est différent ; le mâle de l’espèce d’Amérique pèse de cinq à six onces tandis que le mâle de son congénère d’Europe, pèse douze onces. En Angleterre les Bécasses arrivent en octobre et en novembre et y hivernent ; en mars, elles gagnent le nord du continent européen pour la ponte, tandis que l’espèce d’Amérique hiverne dans le sud de notre continent, arrive ici en mars et avril, se répand dans tout le Canada et y couve ; puis à l’approche des froids, elle se met en route pour le Sud. L’une espèce émigre de la zone torride à la zone tempérée, l’autre de la zone tempérée à la zone arctique. Les deux oiseaux ayant un même nom, diffèrent non-seulement par leur taille et leur livrée, mais encore par les climats qu’ils habitent. Ceci démontre combien peu fondée est l’opinion exprimée par des naturalistes américains que la Bécasse d’Amérique passe de ce continent au vieux monde et vice versa.

Quel est le terme des migrations de la Bécasse dans la partie nord de l’Amérique ? c’est ce qui n’est pas encore connu. Il n’appert pas que cet oiseau se montre dans le voisinage de la Baie d’Hudson ; il ne paraît pas non plus qu’il existe dans l’extrême nord de l’Europe : il est donc probable que ses migrations ne s’étendent pas à une bien haute latitude ; on peut poser en principe général que les Bécasses qui émigrent aux régions arctiques dans les deux continents sont communes à chaque continent. Aucun oiseau n’a, plus que la Bécasse, la passion des voyages, ce qui la force de se munir de ces fortes provisions de graisse qui donne tant de prix à sa chair. La Bécasse se rencontre quelquefois dans les clairières au sein des forêts, où elle retourne les feuilles pour en retirer les vers, etc. ; en cela, elle diffère de la Bécassine qui ne fréquente que très rarement les bois. La tête de la Bécasse a une structure toute particulière : l’œil est à une grande distance du bec, ce qui lui donne la faculté d’observer ses ennemis de bien loin ; son vol n’est pas rapide. Faites-la lever dans les bois, elle rasera la cime des buissons et se posera par derrière ces mêmes buissons, puis elle s’éloignera à pied, une distance de quelques mètres. La différence entre la taille du mâle et celle de la femelle a fait croire qu’il y avait deux espèces de Bécasses en Amérique.

Audubon trace un magnifique tableau de la sollicitude de la femelle pour ses jeunes et des ingénieuses ruses dont elle se sert pour attirer sur elle, l’attention de celui qui veut s’emparer de ses petits : en ceci elle ressemble fort à la perdrix, mais les jeunes Bécasses n’ont pas, il s’en faut de beaucoup l’agilité des perdreaux : ce sont de faciles victimes que des enfants cruels dérobent à la tendresse de leurs bons parents.

La migration des Bécasses ne se fait pas par troupe, mais une à une la nuit au clair de la lune, et avec une telle rapidité que l’on peut dire qu’elles sont toutes à la file, quoique à une certaine distance les unes des autres. Cette particularité a été remarquée, par le même naturaliste sur les rives du Mississippi et de l’Ohio, le soir : presque à chaque instant à commencer du milieu du mois de mars jusqu’au milieu du mois d’avril, la Bécasse passe avec la rapidité d’un trait. Il les a vues émigrer de la même manière au Nouveau Brunswick. La chasse à la Bécasse est fort laborieuse, mais fort intéressante : le Bois Bijou, sur les limites de la cité de Québec, la côte à Bonhomme à Charlesbourg, à venir jusqu’à ces années dernières étaient réputés fort giboyeux. Après de longues sècheresses, il serait inutile de battre les hauteurs en quête de Bécasses : il faut alors avec un bon chien d’arrêt, explorer les terrains marécageux et bas ; après des jours de pluie, ces oiseaux gagneront le versant des collines et les clairières dans les forêts. C’est là qu’on les rencontre aux beaux jours d’automne, recherchant les rayons du soleil quand il commence à faire froid.

Plus tard dans la saison, le chasseur remarque quelques Bécasses retardataires, sur le bord des ruisseaux ombragés ou des sources chaudes dans les bois ; mais à l’instar des Bécassines, les mouvements des Bécasses sont incertains et dépendent des saisons et de la température.

« La Bécasse de France est un oiseau éminemment domesticable et sociable, dit Toussenel » ; nous n’avons encore pu constater sur ce point le degré de réussite des tentatives qui ont été faites en Canada.

« On a vu des bécasses fatiguées s’abattre en vols nombreux sur le pont des navires ; on cite nombre de ces pauvres voyageurs, qui, deux fois par an, se cassent la tête aux cages de nos phares maritimes de la France. »

La Bécasse mâle a le bec brun couleur de chair, noir à sa base ; la mandibule supérieure se termine en une petite protubérance, qui se projette à peu près un dixième de pouce au delà de la mandibule inférieure ; le front, la ligne au-dessus de l’œil et toutes les parties inférieures, d’un rouge fauve ; les côtés du cou, tirant sur le cendré ; une légère bande de brun foncé, se fait remarquer entre l’œil et le bec ; le sommet de la tête à partir du devant de l’œil en allant en arrière, noir, traversé par trois bandes étroites de brun blanchâtre ; les joues sont marquées d’une barre noire, variée de brun clair ; les franges du dos et des scapulaires d’un blanc bleuâtre pâle ; le dos et les scapulaires, d’un noir foncé, chaque plume marbrée de brun clair et de rouille clair, avec de nombreuses lignes noires traversant en zigzags les parties plus claires.

Les jeunes d’un brun foncé ; la queue noire, chaque plume frangée à l’extérieur avec de petites taches d’un brun pâle, mêlé de blanc et de jaune ; la doublure de l’aile est couleur de rouille clair ; les pieds et les jambes, rouge pâle, couleur de chair ; l’œil, noir et plein, placé bien haut sur le derrière de la tête ; poids, cinq onces et demie, quelquefois six onces.

Longueur totale, 11 pouces ; envergure, 16 pouces.


  1. No. 522. — Philohela minor. — Baird.
    Microptera americana.Audubon.
  2. Les Bécasses couvent dans toute l’étendue du Bas et du Haut-Canada ; on a trouvé leurs nids même à un mille de Québec, à Holland Farm sur le chemin St.-Louis, près de l’Hôpital-Général, à la Pointe aux Lièvres, et dans les champs le long des rives du St. Laurent.