Ornithologie du Canada, 1ère partie/La Bécassine

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Atelier typographique de J. T. Brousseau (p. 351-354).

LA BÉCASSINE.[1]
(Wilson’s Snipe.)


La Bécassine, si hautement prisée des chasseurs et des bons vivants est très abondante en cette province pendant les mois d’août, de septembre et même en octobre. On cite des endroits des Bécassines ont été vues à l’ouest de la province, aussi tard que le commencement de janvier, mais c’était là des cas isolés.

Cet oiseau niche en Canada, dans les endroits marécageux sur les hauteurs où il n’est pas exposé à être molesté par l’homme : un trou dans la mousse, tapissé de quelques herbes, voilà le nid qui bientôt contiendra quatre œufs d’un jaune olive, abondamment tachetés de brun clair ou foncé ; ces taches augmentent en étendue à mesure qu’elles approchent du gros bout où elles forment un cercle ; les œufs sont toujours disposés de manière à ce que les petits bouts se touchent tous. Les jeunes comme ceux de la Bécasse quittent le nid, dès qu’ils sont éclos ; ils recherchent d’abord les insectes et plus tard, quand leur bec est fort, ils l’enfoncent comme les vieux un demi-pouce dans le sol, pour en extraire des vermisseaux et de petites racines d’herbes. Les Bécassines sont fort nombreuses sur toutes les battures marécageuses du St.-Laurent ou dans les champs que l’eau du fleuve recouvre à chaque grande mer.[2] Elles sont très singulières dans leurs habitudes : le chasseur qui remettrait au lendemain, une chasse qu’il projette dans un endroit où il a vu nombre de ces oiseaux la veille, n’en trouvera peut-être pas un seul le lendemain dans la même localité. Sont-elles alarmées, elles s’élèvent en zigzags, sonnent leur cri Wau-aik, font quelques évolutions dans les airs et reviennent se poser presqu’à l’endroit d’où elles sont parties.

Audubon a découvert les nids des Bécassines dans la Nouvelle Écosse, dans l’État du Maine et dans les régions montagneuses de l’Union américaine. La chair de la Bécassine est aussi renommée que celle de la Bécasse : on sait que nos Sybarites laissent à la Bécassine et à la Bécasse, pour farce, leurs intestins avec leur contenu, et qu’ils les font rôtir tout rondes ; pourtant, il n’est pas rare d’extraire des viscères de Bécassines mortes, de gros vers de terre, des sangsues ; comestibles peu propres, on l’avouera, à l’homme. Il y a une forte ressemblance entre la Bécassine européenne et celle d’Amérique : l’œil perçant de Wilson signala d’abord en quoi elle différait et les naturalistes, par reconnaissance, donnèrent son nom à la Bécassine d’Amérique. La Bécassine d’Amérique est plus petite d’un pouce que celle d’Europe ; elle a seize plumes dans la queue et la Bécassine européenne n’en a que quatorze ; le cri des deux est fort différent ; ce fait remarqué par Audubon avait échappé à l’attention de Wilson ; d’un autre côté Frank Forrester[3] s’insurge contre l’opinion d’Audubon et affirme que ces deux oiseaux ont un cri semblable. Voilà un problème à résoudre, pour le sport du Canada. On a noté chez les Bécasses et chez les Bécassines un trait fort singulier qui ne se produit qu’à la saison des œufs. Le chasseur qui fréquente, au point du jour, les humides prairies en quête de Bécasses, remarque que des couples de ces oiseaux montent en spirale vers le ciel, frappant l’air de leurs ailes à coups redoublés :[4] parvenus à une centaine de pieds de hauteur, ils s’étreignent soudainement en frappant leurs ailes l’une contre l’autre avec une grande vitesse, se laissent choir vers la terre en faisant entendre un faible gazouillement ou plutôt un bourdonnement, que l’on croit être causé par l’action de leurs ailes dans leur descente rapide ; il ne paraît pas que cette manœuvre singulière ait lieu en d’autre saison que le printemps.[5]

Le principal attrait que possède la chasse à la Bécassine, c’est l’exercice musculaire qu’elle entraîne et le savoir-faire prodigieux qu’elle requiert pour que le chasseur puisse atteindre l’oiseau dans ses girations infinies et sa course tortueuse, lorsqu’il se lève de terre. Pour prétendre au titre de chasseur de Bécassine, il faut avoir un tempérament robuste, à l’épreuve du froid et de l’humidité ; un œil vif, une main sûre ; il faut en outre participer un peu à la nature de l’épagneul : ne faire aucun cas de la boue et de l’eau : Audax omnia perpeti telle doit être la devise du chasseur de la Bécassine. Nous ne mentionnerons pas les endroits de chasse les plus en renom en Canada ; nos chasseurs les connaissent trop bien, pour les infortunées Bécassines que septembre voit immoler chaque année, en holocaustes nombreuses : on emploie les chiens couchants et les chiens d’arrêt pour cette chasse.

La Bécassine de Wilson porte une livrée brune ; le sommet de la tête est noir, marqué d’une ligne d’un brun pâle ; une autre ligne d’une couleur encore plus foncée surmonte les yeux ; le cou et le haut de la gorge, d’un brun pâle varié de blanc et de noirâtre ; le menton est pâle ; le dos d’un noir de velours lustré ; les scapulaires noires, marbrées de taches couleur de rouille, et abondamment terminées à leur extrémité de blanc ; les ailes, foncées ; toutes les pennes ainsi que celles des couvertures, frangées de blanc ; la queue, arrondie, d’un noir foncé, se terminant par une bande d’une teinte de rouille vif, traversée d’une ligne noire, ondoyante et frangée de blanc ; le ventre est d’un blanc pur ; les côtés, barrés d’une couleur foncée ; les pieds et les jambes, d’un vert pâle cendré ; le bec, brun, flûté, long d’à peu près deux pouces et demi.

Longueur du mâle, 11 ; envergure, 17.

La femelle a un plumage plus obscur : le blanc sur son dos est moins pur et le noir moins foncé.


  1. No. 523. — Gallinago Wilsonii. — Baird.
    Scolopax Wilsonii.Audubon.
  2. On appelle grande mer ces hautes marées qui ont lieu semi-mensuellement, à partir de la ville de Trois-Rivières en descendant vers le golfe.
  3. Nom de plume de Hy. Wm. Herbert, de New-York, sportsman distingué — mort tragiquement ces années dernières.
  4. Un chasseur digne de foi affirme que les mâles seuls montent ainsi au haut des airs.
  5. Nous sommes redevables des particularités suivantes à un chasseur de vieille roche :
    « La Bécassine, au printemps fait entendre lorsqu’elle est posée un sifflement soutenu et fort aigu ; c’est la note d’appel du mâle, avant la saison des œufs. Je l’ai entendue, maintes et maintes fois à Sorel en 1856 et 1857. J’ai fait lever des Bécassines souvent dans les bois dans des terrains humides et couverts d’arbres. Les Bécassines viennent prendre leur nourriture généralement la nuit, dans les endroits où l’on trouve les Bécassines pendant le jour.
    « Après de fortes gelées en Octobre, au premier clair de lune, les Bécassines quittent le Canada en corps, pendant la nuit pour le Sud de l’Union Américaine. J’ai tué des Bécassines à Sorel, même en novembre ; un chasseur que je connais en a tué à Sorel en mars. » — (W. H. Kerr, de Québec.)