Ornithologie du Canada, 1ère partie/La Chasse à l’Oiseau

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Atelier typographique de J. T. Brousseau (p. 62-68).

LA CHASSE À L’OISEAU.


« L’art de la Fauconnerie, qui a été rapporté de l’Orient par les Croisés et que l’invention des armes à feu a fait tomber en désuétude, n’est rien moins qu’oublié dans certaines villes de l’Angleterre et de l’Allemagne. Il y a en Belgique, près de Namur, un village nommé Falken-Hauzer, dont les habitants ont pour unique industrie l’éducation du Faucon. Ils vont chercher ces oiseaux dans le Hanovre, revenant les dresser dans leur village, et les vendent ensuite dans le nord de l’Europe, à l’aide de correspondances qu’ils y entretiennent avec soin. Lorsqu’ils ont placé un Faucon dressé, ils restent chez l’acheteur jusqu’à ce que le Faucon soit habitué à obéir à la voix de son nouveau maître.

« Réduire l’animal sauvage à abdiquer l’exercice de sa volonté et à perdre toute confiance en ses propres ressources ; lui faire voir dans l’homme l’arbitre suprême de son repos et de son bien-être ; en un mot, l’assujettir par la crainte et le fixer par l’espérance, tel est le but que se propose le fauconnier ; l’art d’apprivoiser les animaux en général est basé sur les mêmes principes.

« Il faut d’abord, pour dresser le Faucon, le faire consentir à demeurer immobile à la même place et privé de la lumière du jour ; un supplice de soixante-douze heures suffit pour cela. Pendant tout ce temps, le fauconnier porte continuellement sur le poing l’oiseau armé d’entraves nommées jets : ce sont de menues courroies, terminées par des sonnettes, qui servent à lier ses jambes. Dans cette position, on l’empêche soigneusement de dormir, et, s’il se révolte, on lui plonge la tête dans l’eau. Au tourment de l’insomnie est ajouté celui de la faim ; et bientôt l’animal vaincu par l’inanition et la lassitude, se laisse coiffer d’un chaperon. Lorsque, étant décoiffé, il saisit la viande qu’on a soin de lui présenter de temps en temps, et qu’ensuite il se laisse docilement remettre le chaperon, on juge qu’il a renoncé à sa liberté et qu’il accepte pour maître celui de qui il tient la nourriture et le sommeil. C’est alors que pour augmenter sa dépendance, on augmente ses besoins : pour cela on stimule artificiellement son appétit en lui nettoyant l’estomac, avec des pelotes de filasse retenues par un fil, qu’on lui fait avaler et qu’on retire ensuite. Cette opération, nommée en terme de vénerie cure, produit une faim dévorante, que l’on satisfait après l’avoir excité ; et le bien-être qui en résulte, attache l’oiseau à celui même qui l’a tourmenté.

« Lorsque cette première leçon (qu’il faut quelquefois réitérer) a réussi, on porte l’oiseau sur le gazon dans un jardin : là, on lui enlève son chaperon, et le fauconnier lui présente un morceau de viande : s’il saute de lui-même sur le poing pour s’en repaître, son éducation est déjà fort avancée et l’on s’occupe de lui faire connaître le leurre. Le leurre est un morceau de cuir garni d’ailes et de pieds d’oiseau, c’est une effigie de proie sur laquelle est attaché un morceau de viande ; il est destiné à réclamer l’oiseau, c’est-à-dire à le faire revenir, lorsqu’il sera élevé dans les airs. Il est important que le Faucon soit, non seulement accoutumé, mais affriandé à ce leurre, qui doit toujours être la récompense de sa docilité : ainsi, après l’avoir dompté par la faim, on consolide sa servitude par la gourmandise ; mais le leurre ne suffirait pas sans la voix du fauconnier. Lorsque l’oiseau obéit au réclame dans un jardin, on le porte en pleine campagne, on l’attache à une filière ou ficelle de soixante pieds de longueur, on le découvre, et, en l’appelant à quelques pas de distance, on lui montre le leurre ; s’il fond dessus, on lui donne de la viande ; le lendemain on la lui montre d’un peu plus loin, et quand il fond sur son leurre de toute la longueur de la filière, il est complètement assuré.

« Alors, pour achever l’éducation du Faucon, il faut lui faire connaître et manier le gibier spécial auquel il est destiné ; on en conserve de privés pour cet usage : cela s’appelle donner l’escap. On attache d’abord la victime à un piquet, et on lâche dessus le Faucon, retenu par sa filière. Quand il connaît le vif (s’élance dessus), on le met hors de filière et on le lance sur une proie libre, à laquelle on a préalablement cousu les paupières pour l’empêcher de se défendre. Enfin quand on est bien assuré de son obéissance, on le fait voler pour bon : c’est-à-dire on le laisse libre.

« La chasse à l’Oiseau, dont la noblesse d’autrefois faisait ses délices, avait moins souvent pour but de procurer au chasseur une proie comestible, que de lui offrir un spectacle récréatif : le vol du Faisan, de la Perdrix, du Canard sauvage, était, disait-on, plaisir de gentilhomme ; mais ce qu’on nommait plaisir de prince, c’était le vol du Milan, du Héron, de la Corneille et de la Pie, véritable gibier de luxe, sans aucune valeur culinaire. Le vol du Milan était le plus rare de tous. La première difficulté à vaincre était de le faire descendre des hautes régions de l’atmosphère, où le Faucon lui-même n’aurait pu l’atteindre ; pour cela on prenait un Grand Hibou ou Duc ; on affublait ce Duc d’une queue de Renard pour le rendre plus remarquable, et on le laissait ainsi, dans une prairie, voltiger à fleur de terre. Bientôt le Milan, planant dans la nue pour guetter une proie, distinguait de sa vue perçante un objet bizarre, s’agitant sur le sol ; il descendait pour l’examiner de plus près ; aussitôt on lançait sur lui un Faucon qui, dès l’abord s’élevait au-dessus du Milan, pour fondre sur lui verticalement ; alors commençait un combat, ou plutôt des évolutions de l’intérêt le plus varié ; le Milan, fin voilier, fuyait devant le Faucon en s’élevant, s’abaissant, croisant brusquement sa route, et prenant, à angle aigu, les directions les plus imprévues ; le Faucon non moins agile que lui, mais plus courageux, et en outre stimulé par la faim, le poursuivait avec ardeur dans ces mille évolutions : il le saisissait enfin et l’apportait à son maître.

« Le vol du Héron et de la Grue était non moins amusant pour le spectateur, et plus dangereux pour le Faucon : l’oiseau poursuivi se laissait plus facilement atteindre, mais il se défendait avec plus de courage, et l’assaillant recevait quelquefois de sa victime des blessures auxquelles il ne survivait pas longtemps. On employait même le Faucon, et surtout le Gerfaut, à la chasse du Lièvre ; on faisait d’abord partir celui-ci au moyen d’un limier : puis le Faucon, lancé à l’avance, et volant au-dessus de la plaine, apercevait le Lièvre et tombait sur lui.

« Mais de tous les vols, le plus amusant, le plus riche en incidents, le plus commode à observer, le plus facile, sinon le plus noble, était le vol de la Corneille : on se servait, comme pour le Milan, d’un Duc, afin de l’attirer, puis on lançait sur elle deux Faucons. L’oiseau poursuivi s’élevait d’abord au plus haut des airs, les Faucons parvenaient bientôt à prendre le dessus ; alors la Corneille, désespérant de leur échapper par le vol, descendait avec une vitesse incroyable, et se jetait entre les branches d’un arbre : les Faucons ne l’y suivaient pas et se contentaient de planer au-dessus. Mais les fauconniers venaient sous l’arbre où s’était réfugiée la Corneille, et, par leurs cris, la forçaient de déserter son asile. Elle tentait encore toutes les ressources de la vitesse et de la ruse, mais le plus souvent elle demeurait au pouvoir de ses ennemis.

« Le vol de la Pie est aussi vif que celui de la Corneille, mais le Faucon n’attaque pas en partant du poing ; ordinairement on le jette à mont parce qu’on attaque la Pie lorsqu’elle est dans un arbre. Souvent elle est prise au moment du passage ; mais quand le Faucon l’a manquée, on a beaucoup de peine à la faire partir de l’arbre qui lui a servi de refuge : sa frayeur est telle, qu’elle se laisse prendre par le chasseur, plutôt que de s’exposer à la terrible descente du Faucon.

« Lorsqu’il s’agit de la chasse de la Perdrix ou du Canard sauvage, on emploie la même manœuvre. On lance le Faucon dans les airs avant que le gibier soit levé ; et lorsque le Rapace plane, le fauconnier, aidé d’un chien, fait partir la Perdrix, sur laquelle l’oiseau descend. Pour le Canard, on lance dans les airs jusqu’à trois Faucons, puis on fait lever le Canard : la terreur que lui inspirent les Faucons le fait gagner l’eau — alors des chiens se jettent à la nage pour lui faire reprendre son vol.

« Ce n’est pas seulement en Europe que l’on cultivait la fauconnerie ; elle florissait dans toute l’antiquité et florit encore aujourd’hui chez les peuples de l’Asie et de l’Afrique septentrionale. Les Persans et les habitants du Mogol poussent même plus loin que les Européens l’éducation du Faucon : ils le dressent à voler sur toutes sortes de proie, et pour cela ils prennent des Grues et d’autres Oiseaux, qu’ils laissent aller, après leur avoir cousu les yeux : aussitôt ils font voler le Faucon qui les prend fort aisément. Il y a des Faucons pour la chasse du Daim et de la Gazelle, qu’ils instruisent, dit Thevenot, d’une manière très-ingénieuse. Ils ont des Gazelles empaillées, sur le nez desquelles ils donnent toujours à manger à ces Faucons et non ailleurs. Après qu’ils les ont ainsi élevés, ils les mènent à la campagne, et lorsqu’ils ont découvert une Gazelle, ils lâchent deux de ces oiseaux, dont l’un va fondre sur le nez de la Gazelle, et s’y cramponne avec ses griffes. La Gazelle s’arrête et se secoue pour s’en délivrer ; l’oiseau bat des ailes pour se tenir accroché, ce qui empêche encore la Gazelle de bien courir, et même de voir devant elle ; enfin, lorsqu’avec bien de la peine elle s’en est défaite, l’autre Faucon, qui est en l’air, prend la place de celui qui est en bas, lequel se retire pour succéder à son compagnon lorsqu’il sera tombé ; et de cette sorte, ils retardent tellement la course de la Gazelle, que les chiens ont le temps de l’attraper. Il y a d’autant plus de plaisir à ces chasses que le pays est plat et découvert. Ce même procédé, rapporte un autre voyageur célèbre, s’applique à la chasse au Sanglier.[1] »

On emploie en France le Hobereau, ou Épervier, à la chasse des Alouettes et autres gibiers[2] : pourquoi nos amateurs canadiens n’essaieraient-ils pas d’après la méthode que nous venons d’indiquer,[3] de dresser pour la chasse de la Perdrix, du Canard Sauvage et du petit gibier de mer, le Faucon pèlerin, le Gerfaut d’Islande, l’Autour, l’Épervier et l’Émerillon canadiens ? On sait avec quel succès et avec quel éclat le vicomte d’Eglington, longtemps vice-roi de l’Irlande, a ressuscité, ces années dernières les chasses, les joutes et les tournois du moyen âge. Est-ce que la principale objection à cette tentative serait sa nouveauté en nos climats ? Pourquoi bannir de ce pays, où abonde le gibier, un plaisir attrayant et facile ? Est-ce que la vie de château est disparue de nos bords ? Est-ce que dans chaque paroisse que côtoye notre majestueux fleuve, il n’existe pas au moins un vieux manoir dont le respecté seigneur, pendant la belle saison, va chercher dans les plaisirs de la chasse une distraction aux lettres, à la politique ou à la vie champêtre ?

Le millionnaire de Montréal, Harrison Stevens, qui a, dit-on, offert £20.000 pour fêter dignement le vice-roi présomptif de l’Amérique britannique, que juillet doit nous amener avec ses zéphirs, aurait-il oublié, dans son programme des « Plaisirs de Prince » qu’il réserve à ce royal visiteur, d’organiser une chasse canadienne où le Daim, le Chevreuil, le Renard et le Faucon canadiens joueraient leur rôle ?

Nous ne pousserons pas plus loin ces détails de vénerie que nos aïeux et surtout nos aïeules eussent lu avec un vif intérêt : le vol au Faucon était en effet la chasse favorite des Dames.


  1. La presque totalité de ces détails ont été puisés chez un savant contemporain, auquel nous sommes redevables de plusieurs élégantes traductions et d’extraits des ornithologistes américains.
  2. Le succès des Chinois à s’emparer, au moyen d’Aigles-pêcheurs dressés à ce manége du poisson dans la mer, a fort intéressé tous les voyageurs qui en ont été témoins.
  3. « Le petit faucon du Chili (cernicula) par exemple, aime à demeurer chez son maître. Il va tout seul à la chasse, et, fidèle, revient chaque soir rapporter ce qu’il a pris et le manger en famille. Il a besoin d’être loué du père, flatté de la dame, caressé surtout des enfants. »
    « L’Oiseau. »