Ornithologie du Canada, 1ère partie/La Perdrix ordinaire — Coq de Bruyère à fraise

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Atelier typographique de J. T. Brousseau (p. 307-311).

LA PERDRIX ORDINAIRE OU COQ DE BRUYÈRE À FRAISE.[1]
(Ruffed Grouse.)


Cet oiseau, connu en Canada et dans les États Est de la République voisine, sous le nom de Perdrix, est certainement après le Dindon sauvage, le plat le plus savoureux que les forêts du Nouveau-Monde peuvent procurer au roi de la création ; sa distribution géographique s’étend du Maryland au sud, et jusqu’aux rives du Saskatchewan au nord.

La perdrix habite les déclivités des collines, et pendant la saison des œufs, les clairières où le feu a passé ; elle se nourrit de graines, de fruits de toutes espèces ; en hiver, lorsque la nature revêt son blanc manteau, la perdrix recherche les bourgeons de plaines, de merisier et autres arbres. La femelle se construit dans le mois de mai un nid de feuilles et de branches sèches, près d’un tronc d’arbre coupé ou sous l’ombre d’un arbrisseau touffu, sur le sol et là le vent a accumulé les feuilles tombées ; elle y dépose de cinq à douze œufs, d’un jaunâtre sale et uniforme. Elle oublie de les recouvrir quand elle quitte le nid, et les corneilles et autres brigands de cette espèce se les approprient pendant son absence. Si l’attaque a lieu en sa présence,[2] la femelle ne manque ni de courage, ni de force pour la repousser et souvent avec succès ; elle emploie son bec et ses ailes à la manière de la poule qui défend ses poussins.

Les Perdreaux sont prêts à suivre leur mère dès qu’ils ont quitté la coquille : âgés de six à sept jours, ils ont la force de voler quelques toises. Leur indulgente maman les conduit à la recherche de leur nourriture, les reçoit sous ses ailes pendant la nuit et fait preuve d’une sollicitude et d’une affection remarquables ; à la première apparence du danger, employant mille artifices pour distraire l’attention de ses perdreaux sur elle-même : à cette fin, elle simulera d’être blessée ; elle boitera, elle se traînera avec peine et de cette manière, elle assure très souvent leur salut. De leur côté les Perdreaux se blottiront sur le sol, et à la première note d’alarme de leur mère, se couvriront d’une feuille, dit-on, s’il s’en trouve à leur portée et se cacheront si effectivement, qu’il faut poser la main dessus pour les faire remuer. À cette époque, les mâles commencent à se séparer des femelles, font bande à part ; mais à l’approche des froids, la famille entière se réunit de nouveau. Pendant l’été, les Perdrix, aiment à se rouler dans le sable des grands chemins ; c’est un bain qu’il faut aussi leur procurer en captivité. Quand le chasseur ou son chien les fait lever de terre, elles s’envolent en faisant entendre un bruit d’ailes très fort, mais lorsqu’elles ne sont pas alarmées, elles prennent leur vol sans faire de bruit. Elles iront se poser à une distance de trois cents pieds du lieu d’où elles sont parties, ou bien lorsqu’on les surprend au haut d’une colline, elles se précipiteront vers le bas, tourneront à droite ou à gauche : et ce sera peut-être la seule fois que le chasseur les verra ce jour-là.

Les forêts au printemps retentissent du bruit d’appel (drumming) des mâles : un naturaliste européen, décrit comme suit, les faits et gestes du Coq de Bruyère, quand il somme la présence de ses bayadères.

«[3]Aussitôt que le Coq de Bruyère a ressenti les premières atteintes du mal qui le tourmente, il commence par chercher dans le canton qu’il habite un local et surtout une tribune convenablement disposée pour l’exercice de la parade printanière. Cette tribune est généralement un tronc d’arbre renversé et facilement arpentable de l’une à l’autre de ses extrémités. Une fois en possession de son théâtre, notre héros ne tarde pas à en annoncer l’ouverture. Pour ce faire, il se hisse sur la flèche la plus aiguë du plus haut sapin de la montagne, et adresse de là son appel passionné à toutes les poules des alentours. Cette réclame éloquente, que j’aurais beaucoup de peine à écrire en langue musicale, débute par un coup de tamtam assez semblable au gloussement du dindon. Cette note détonnante est immédiatement suivie d’un feu de file d’autres notes grinçantes, stridentes et criardes, douces au tympan comme les gémissements d’une scie qu’on écorche. Après quoi le chanteur s’arrête, pour reprendre haleine d’abord et ensuite pour juger de l’effet de ce premier morceau, et puis il recommence. La durée de chaque séance est d’une heure environ. Celle du matin ouvre avant le lever du soleil ; celle du soir se continue un peu après que l’astre est couché. Le même coup de tamtam qui avait annoncé le commencement des exercices en annonce la clôture.

« Pendant qu’il exécute sa cavatine, l’artiste est tellement absorbé par son art et tellement enivré du propre bruit de sa voix, qu’il en oublie l’univers et jusqu’à la méchanceté de l’homme, qui profite du tapage et de son émotion pour s’approcher de lui traîtreusement et l’occire. »

Une tradition religieusement transmise de père en fils parmi les Canadiens, va à dire, que lorsque le chasseur tire d’abord sur la perdrix qui est perchée sur la plus basse branche d’un arbre, il peut se rendre maître de toute la bande, s’il a soin de commencer par la plus basse ; cette tradition est combattue par Audubon. « Cela a pu avoir eu lieu, dit-il, lorsque la maigreur ou la faim les rendaient inactives, mais jamais autrement. » Quand une perdrix se pose sur un arbre, après avoir été alarmée, elle ne bougera pas, se dressera sur ses pieds : c’est le moment de l’approcher. Audubon remarque que lorsqu’il y a une épaisse couche de neige dans la forêt, la perdrix se précipitera sur la neige, s’enfoncera dedans et se montrera à sept à huit pieds de l’endroit où elle avait disparu : de cette sorte, les perdrix évitent le chasseur : néanmoins quelquefois, elles ont été capturées lorsqu’elles étaient sous la neige.

La Perdrix à fraise (ruffed) a le bec couleur de corne ; l’œil, rougeâtre couleur de noisette ; au-dessus est un espace sans plume, écarlate ; une espèce d’aigrette orne son chef ; le cou est varié de noir, de rouge, de brun, de blanc et de brun pâle ; les côtés du cou sont garnis d’une touffe de grandes plumes noires, au nombre de vingt-neuf ou de trente qu’elle érige de temps à autre ; le haut du corps couleur de rouille clair, marqué de taches ovales d’un jaune blanc, et d’olive ; la queue est arrondie et dépasse les bouts des ailes de cinq pouces ; elle est d’un roussâtre brun, barrée et nuancée de noir et terminée d’une large bande de noir, entourée de deux étroites bandes de bleuâtre-blanc ; une bande jaunâtre part de la mandibule supérieure à l’œil et le dépasse ; la poitrine et les parties inférieures du cou, d’un brun jaunâtre clair ; les plumes du bas de la fraise sont de même couleur, barrées de roussâtre-brun ; celles du haut, noires à reflets bleus. Une touffe de plumes d’un châtain clair, sous les ailes. Le reste des parties inférieures, d’un jaunâtre-blanc avec des taches transversales de roux et les couvertures de dessous la queue, tachetées de brun.

La femelle a des teintes plus pâles ; la fraise et la tête sont d’un noir moins foncé : elle est moins belle.

Longueur totale du mâle, 18 ; envergure, 23.[4]

Le plus grand nombre des Perdrix exposées en vente sur nos marchés ont été prises au collet et non tirées au fusil. La Perdrix du Canada diffère de celle d’Europe en ce qu’elle n’est pas susceptible d’être apprivoisée comme elle : les jeunes pris au nid sont toujours farouches et intraitables.


  1. No. 465. — Bonosa umbellus. — Baird.
    Tetrao umbellus.Audubon.
  2. Le Maout.
  3. Toussenel.
  4. Canadian Naturalist.