Ornithologie du Canada, 1ère partie/Le Dindon Sauvage

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Atelier typographique de J. T. Brousseau (p. 304-307).

LE DINDON SAUVAGE.[1]
(Wild Turkey.)


Oviedo est le premier qui (1525) ait parlé des Dindons sauvages, souche de l’espèce domestique. Ces oiseaux furent introduits en Espagne vers l’année 1552, par les missionnaires, et dix-huit ans après, aux noces de Charles IX, on servit les premiers dindons, qui aient été mangés en France. Les Jésuites en engraissaient un grand nombre à leur ferme près de Bourges. Brillat-Savarin n’oublie pas de faire hommage à ces pères de ce qu’il appelle le plus beau cadeau que le nouveau monde ait fait à l’ancien. Il considère l’introduction des Dindons, en France, au nombre des bénédictions que les Jésuites répandirent sur ce royaume.[2]

Ces oiseaux abondent, surtout dans les immenses prairies qui bordent l’Ohio, le Mississippi et le Missouri, ainsi que dans une partie de l’ouest du Canada, tel que Saint-Clair Flats et autres endroits avoisinants. Le comté d’Essex et Lambton, celui de Kent,[3] (Haut-Canada) sont à peu près les seuls où l’on trouve les Dindons sauvages. Nous n’avons pas appris si notre royal visiteur, le Prince de Galles, dans son expédition aux prairies de l’Ouest en septembre dernier, fut assez heureux pour ajouter un Dindon sauvage à sa gibecière gonflée de Cailles, de Coqs de Bruyère (pinnated grouse), etc. Dans ces vastes clairières, à l’ouest de la province, les Dindons sauvages ont coutume de cheminer à pied, et d’émigrer d’une contrée à une autre, suivant qu’ils trouvent en plus grande abondance les baies et les graines d’herbes dont ils se nourrissent ; les mâles voyagent par bandes de dix à cent individus ; les femelles s’avancent séparément avec leurs petits ou réunies avec d’autres familles ; elles évitent avec soin les mâles, qui atteignent leurs jeunes et souvent les tuent, et cependant tous suivent la même direction. Lorsqu’ils arrivent sur le bord d’une rivière, ils se portent sur le point le plus élevé de la rive, y restent un ou deux jours en délibération, puis montent sur les arbres, et, à un signal donné par le chef de la troupe, ils prennent leur vol vers la rive opposée. Les vieux y parviennent sans peine, lors même que la rivière a un tiers de lieue de largeur, mais les petits tombent dans l’eau et achèvent la traversée à la nage. À la fin de l’hiver, les femelles se séparent de leurs familles devenues adultes et s’occupent de la ponte et de l’incubation. Elles déposent dans un nid construit à terre avec quelques feuilles desséchées, dix à quinze œufs, qu’elles ont à défendre contre les corbeaux, les chats sauvages et même contre les Dindons. Il arrive souvent que plusieurs femelles se réunissent pour couver et élever leurs petits en commun. Nos Dindons domestiques sont moins gros que les Dindons sauvages ; leur plumage est d’ordinaire noir, tandis que, dans l’état de nature, il est d’un brun verdâtre, glacé de teintes cuivrées magnifiques. La chair du Dindon sauvage est préférable même à celle du Dindon domestique : c’est un plat de roi.

Les chasseurs se servent de divers modes pour s’emparer de cet oiseau au printemps ; ils imitent, au moyen d’un pipeau fait avec l’os de l’aile d’un Dindon, le cri de la femelle ; le mâle accourt de loin et les chasseurs, de leur retraite, tirent dessus. En imitant le cri du hibou barré, on découvre également les perchoirs du Dindon qui ne manque jamais de glousser dès qu’il entend le cri de son impitoyable ennemi. Les Dindons sauvages succombent aussi aux embûches que l’homme leur tend la nuit ; on se place dans le voisinage du perchoir que la bande s’est choisi depuis longtemps et on tire sur eux au clair de la lune.

On construit aussi des enclos avec des troncs d’arbres et une toiture en dessus ; on place une traînée de maïs dans la forêt, qui conduit à l’enclos ; les Dindons l’ont bientôt découverte et la bande entière arrive peu à peu à l’enclos ; une fois en dedans, le chasseur les surprend et ces oiseaux n’ont pas même la sagacité de fuir par où ils ont pénétré dans l’enclos : ils sont bientôt mis à mort. La beauté, peut-être l’utilité du Dindon sauvage, avait frappé Franklin : il exprima souvent un regret, que le Dindon sauvage n’eût pas été préféré à l’Aigle à tête blanche, comme blason national de la Grande République : « L’Aigle à tête blanche, dit-il, est un brigand, lâche, paresseux et cruel, c’est un vrai chevalier d’Industrie ; trop indolent pour chasser lui-même, il arrache aux autres oiseaux, la proie qu’avec peine ils se sont procurée ; de plus, il est indigène à l’Amérique ; il est doué de courage, et malgré ses allures fantastiques, il ne reculerait même pas devant un grenadier en uniforme qui oserait envahir la basse-cour. » Le Dindon sauvage réduit en captivité, s’apprivoise avec un peu de soin.[4] Ces oiseaux pèsent ordinairement vingt livres : on en a vu atteindre le poids de quarante.

Le Dindon sauvage de Honduras est plus petit que l’espèce que nous venons de décrire ; c’est un fort bel oiseau au plumage brillant ; il fut d’abord décrit par Cuvier.

Nous ne donnerons pas une description plus détaillée du Dindon sauvage, qui ressemble beaucoup au Dindon domestique, mais qui lui est supérieur en beauté et en taille.

Le mâle lorsqu’il a atteint toute sa grosseur mesure quatre pieds du haut du bec à l’extrémité de la queue.

Longueur totale, 49, envergure, 68 pouces.

La colonisation de la Province a graduellement refoulé le Dindon sauvage, aux confins ouest du Canada.

Un vieux Gouverneur de Trois-Rivières écrivait en 1663 :

« Pour le Coq d’Inde sauvage, il ne s’en trouve point à Québec, ni à Trois-Rivières, ni à Montréal ; mais dans le pays des Iroquois, et dans le pays où demeuraient autrefois les Hurons, il y en a des quantités, et dont la chair est bien plus délicate que des Coqs d’Inde domestiques. »


  1. No. 455. — Meleagris gallopavo. — Baird.
    Meleagris gallopavo.Audubon.
  2. Toussenel prétend tout le contraire : « C’est à tort, dit-il, qu’on attribue l’honneur de l’importation aux jésuites ; car cette importation est contemporaine de la fondation de l’ordre, et les Anglais possédaient déjà le Dindon en 1524, époque les révérends Pères n’avaient pas encore eu le temps de conquérir des royaumes en Amérique. »
  3. Il serait à désirer que la Législature étendît aux Dindons sauvages, la même protection qu’elle accorde aux Caribous, aux Canards, à la Bécassine et autres gibiers. Espérons que les honorables députés pour ces comtés n’oublieront pas leurs constituants, nous ne voulons pas dire les Dindons sauvages de ce comté, mais les électeurs, nous pourrions dire les bons vivants du Haut-Canada entier, et quelques-uns du Bas, qui ne pardonneront jamais à un député quelconque si ce mets savoureux venait, faute d’être protégé, à disparaître. — (Note de l’auteur.)
  4. Thomas Maloue, du Département des Mesureurs de bois, à Québec, avait de fort beaux Dindons sauvages, l’année dernière, à sa résidence Faubourg St. Roch de Québec.