Ornithologie du Canada, 1ère partie/Le Faucon Pélerin

La bibliothèque libre.


Atelier typographique de J. T. Brousseau (p. 46-50).

LE FAUCON PÈLERIN.[1]
(Duck Hawk.)


Le Faucon Pèlerin, ainsi que le Gerfaut d’Islande, se rencontre de temps à autre dans cette Province[2]. Ce Faucon est une fort belle espèce ; nous allons emprunter au continuateur de l’œuvre de Geoffroy St. Hilaire, Le Maout, la description qu’il en donne. « Les moustaches sont larges, longues et noires ainsi que les joues ; les pieds robustes et jaunes, sont vêtus seulement dans leurs tiers supérieurs ; le doigt médian est sensiblement plus long que le tarse ; la queue ne dépasse pas le bout des ailes ; le plumage des parties supérieures est brun, à raies transversales plus foncées ; la gorge et le cou sont blancs ; la poitrine blanc roussâtre tirant sur le rose, marqué de petites stries longitudinales noires ; les parties inférieures sont rayées en travers de brun noir sur un fond cendré, les raies sont plus larges aux flancs et au ventre ; les rémiges sont d’un brun nuancé de cendré noirâtre, terminées par un liséré cendré clair ; la queue est d’un cendré bleuâtre, marqué de bandes transversales terminées de cendré blanchâtre. »

Dimensions du mâle, 16 × 30.
de la femelle, 19 × 36.

Le plumage du Faucon Pèlerin varie non seulement suivant l’âge et le sexe, mais encore suivant les saisons et les climats ; cet oiseau habite tout l’hémisphère nord du globe, et y niche dans les rochers les plus escarpés — le jeune Faucon pris en septembre, âgé de trois mois était celui que les fauconniers dressaient comme le plus susceptible d’éducation. Le vol du Faucon est d’une rapidité que l’œil a peine à suivre. Il s’élève au-dessus de sa proie, et fond perpendiculairement sur elle, tombant des nues ; les Poules sont sa nourriture ordinaire. On l’appelle Épervier à Poules aux États-Unis et Mangeur de Poules à la Louisiane et au Canada. Mais il mérite d’autres titres. « Voyez, dit l’ornithologiste Audubon, ces deux pirates déjeunant à la fourchette : le mâle dépèce une Sarcelle, et la femelle un Canard ; ils semblent, dans un tête-à-tête amical, se féliciter de leur bonne aubaine, et disserter sur la saveur du mets friand qu’ils ont conquis : on les prendrait pour des épicuriens ; ce ne sont que des gloutons, et leur voracité n’est égalée que par leur audace ; ils enlèvent sur l’eau les Canards, les Sarcelles, les Oies, et les transportent sur le rivage ; il faut que le fleuve soit bien large pour que le ravisseur fatigué lâche sa proie : alors, il en cherche une autre plus près de terre, et quand il l’a saisie, triomphant, il l’emporte en lieu sûr pour la dévorer. J’ai vu un Faucon venir à trente pas de mon fusil, se jeter sur une Sarcelle que je venais d’abattre. Il n’est pas moins avide de Pigeons que de Canards : il court se jeter au milieu de leurs bandes qui voyagent dans les hautes régions de l’air et qui, pour échapper à sa griffe, exécutent les plus habiles évolutions ; il ose même quelquefois les attaquer dans le domicile que l’homme leur a préparé. J’en ai surveillé un, pendant plusieurs jours, qui avait conçu une telle affection pour mes Pigeons qu’il se permettait d’entrer dans le colombier par une porte et en sortait par l’autre avec une victime ; voyant la terreur et le désordre que ses invasions causaient parmi mes Pigeons, et craignant que ceux-ci n’émigrassent, je mis à mort le voleur.

« Quand le Faucon est en quête, il se perche souvent sur les branches les plus élevées d’un arbre, dans le voisinage des terres marécageuses : on voit sa tête se remuer par saccades périodiques, comme pour mesurer les distances qui le séparent de sa proie ; il épie une Bécasse depuis quelques instants : tout à coup il se précipite sur elle avec un bruit terrible, l’étreint de ses serres acérées, et va la dévorer dans quelque bois voisin.

« Il plume adroitement, avec son bec, sa proie qu’il tient entre ses pattes ; aussitôt qu’une partie est plumée, il la déchire en lambeaux, dont il se repaît avidement ; s’il voit s’approcher un ennemi, il s’enfuit avec son butin, et va le cacher dans l’intérieur de la forêt. C’est surtout en rase campagne qu’il montre de la défiance. »

Malgré la justesse de son coup d’œil, la rapidité de son vol et l’habileté de ses manœuvres, le Faucon Pèlerin ne réussit pas toujours à s’emparer de sa proie : Baumann a vu un Pigeon, poursuivi par un Faucon, se précipiter dans un étang, plonger, sortir de l’eau sain et sauf et échapper ainsi aux serres de son ennemi. Quelquefois même ce rapace est vaincu par des oiseaux moins puissants que lui, dans lesquels il attaque des rivaux ou une proie : M. Gerard a vu un Corbeau tuer un Faucon d’un coup de bec qui lui fendit le crâne.

Le Faucon, à défaut d’autre pâture, se nourrit d’alouettes, de pleuviers, et de corbigeaux, sans refuser dans les temps de disette, le poisson mort. La hardiesse est la note caractéristique du Faucon : on le voit poursuivre sa proie sous le fusil du chasseur, et souvent payer de sa vie cette insolente agression. Voici un fait intéressant rapporté par un naturaliste français, M. Gerbe.

« Il y a quelques années, un faucon pèlerin était venu s’établir, en septembre, sur les tours de la cathédrale de Paris. Pendant plus d’un mois qu’il y demeura, il faisait tous les jours capture de quelques-uns de ces pigeons que l’on voit voltiger çà et là au dessus des maisons. Lorsqu’il apercevait une bande de ces oiseaux, il quittait son observatoire, rasant les toits ou gagnant le haut des airs, puis fondant sur la bande, et s’attachant à un seul individu qu’il poursuivait avec une audace inouïe, quelquefois à travers les rues des quartiers les plus populeux. Rarement il retournait à son poste sans emporter dans ses serres une proie, qu’il dépeçait tranquillement, et sans paraître affecté des cris que poussaient contre lui les enfants. Il chassait le plus habilement le soir, entre quatre et cinq heures, quelquefois dans la matinée ; tout le reste de la journée il se tenait tranquille. Les amateurs, aux dépens de qui vivait ce faucon, finirent par ne plus laisser sortir leurs pigeons, ce qui, probablement, contribua à l’éloigner d’un lieu où la vie était pour lui si facile. »

Ces oiseaux jouissent d’une étonnante longévité ; on prit, il y a une cinquantaine d’années, au Cap de Bonne-Espérance, un Faucon portant un collier d’or sur lequel était gravé qu’en 1610 cet oiseau appartenait au roi d’Angleterre, Jacques I : il avait par conséquent cent quatre-vingts ans et plus, et conservait encore beaucoup de vigueur.[3]


  1. No. 5. — Falco anatum. — Baird.
    Falco peregrinus. — Audubon.
    M. John Strang, amateur de Québec, possède dans sa collection un fort beau Faucon Pèlerin tué à Charlesbourg.
  2. Hand Book of Toronto, compilé en 1855.
  3. « Le Faucon, l’Autour, le Tiercelet, (du Canada) sont absolument les mêmes qu’en France ; mais nous avons une seconde espèce de Faucons, qui ne vivent que de la pêche. » Charlevoix : Voyage en Amérique. — « Cette seconde espèce de Faucons qui ne vivent que de la pêche » — c’est sans doute le Pandion Carolinensis : l’Aigle pêcheur décrit ci-après. (Note de l’auteur.)