Ornithologie du Canada, 1ère partie/Les Hirondelles
LES HIRONDELLES.
Hirondelle[1]
Si fidèle,
Dis-moi l’hiver, où vas-tu ?
« Dans Athènes
« Chez Antoine,
« Pourquoi t’en informes-tu ? »
Le Canada peut réclamer six sur les huit espèces d’Hirondelles qui se rencontrent en Amérique.
« Le vol rapide et infatigable de ces oiseaux, leurs cris joyeux, leur régime insectivore, utile à l’homme ; leur sociabilité, leurs émigrations périodiques, leur attachement au pays natal, leur retour, annonçant celui de la belle saison, la structure merveilleuse de leur nid, et mille autres détails de mœurs, ont attiré sur ces oiseaux la curiosité, l’intérêt, la bienveillance des peuples anciens et modernes, et fourni à plus d’un poëte d’heureuses inspirations. Voici la brillante description du vol de l’Hirondelle, par Monbeillard, digne collaborateur et souvent rival heureux de Buffon ! « Le vol est son état naturel, je dirais presque, son état nécessaire ; elle mange en volant, elle boit en volant, se baigne en volant, et, quelquefois, donne à manger à ses petits en volant. Sa marche est peut-être moins rapide que celle du Faucon, mais elle est plus facile et plus libre ; l’un se précipite avec effort ; l’autre coule dans l’air avec aisance : elle sent que l’air est son domaine ; elle en parcourt toutes les dimensions, et dans tous les sens, comme pour en jouir dans tous les détails, et le plaisir de cette jouissance se marque par de petits cris de gaîté. Tantôt elle donne la chasse aux insectes voltigeants, et suit avec une agilité souple leur trace oblique et tortueuse, ou bien quitte l’un pour courir à l’autre, et happe en passant un troisième ; tantôt elle rase légèrement la surface de la terre et des eaux, pour saisir ceux que la pluie ou la fraîcheur y rassemble ; tantôt elle échappe elle-même à l’impétuosité de l’Oiseau de Proie par la flexibilité preste de ses mouvements : toujours maîtresse de son vol, dans sa plus grande vitesse, elle en change à tout instant la direction ; elle semble décrire, au milieu des airs, un dédale mobile et fugitif, dont les routes se croisent, s’entrelacent, se fuient, se rapprochent, se heurtent, se roulent, montent, descendent, se perdent et reparaissent pour se croiser, se rebrouiller encore en mille manières, et dont le plan, trop compliqué pour être représenté aux yeux par l’art du dessin, peut à peine être indiqué à l’imagination par le pinceau de la parole. »
« Les Hirondelles vivent d’insectes ailés, qu’elles happent en volant ; mais, comme ces insectes ont le vol plus ou moins élevé, selon qu’il fait plus ou moins chaud, il arrive que le froid ou la pluie les rabat près de terre, et les empêche même de faire usage de leurs ailes. Ces oiseaux rasent la terre, et cherchent ces insectes sur les tiges des plantes, sur l’herbe des prairies, et jusque sur le pavé de nos rues ; ils rasent aussi les eaux, et s’y plongent quelquefois à demi, en poursuivant les insectes aquatiques, et, dans les grandes disettes, ils vont disputer aux araignées leur proie jusqu’au milieu de leurs toiles, et finissent par les dévorer elles-mêmes. On trouve dans leur estomac des débris de mouches, de Cigales, de Scarabées, de Papillons et même de petites pierres, ce qui prouve qu’ils ne prennent pas toujours les insectes en volant, et qu’ils les saisissent quelquefois étant posés. »
On pense, dans tous les pays, que les Hirondelles sont amies de l’Homme, ou du moins qu’elles recherchent les lieux habités par lui, et paraissent se complaire dans sa société. Il serait plus juste de voir en elles des commensales intéressées, poursuivant les insectes qui abondent partout où beaucoup d’animaux sont rassemblées, et fréquentant le littoral de nos fleuves parce qu’elles y trouvent un rafraîchissement et une pâture. Quoiqu’il en soit, leur utilité n’est pas douteuse : elles purgent l’air de myriades d’insectes nuisibles ou importuns, et leur vigilance à signaler l’approche des oiseaux rapaces est une sauvegarde pour les Gallinacés domestiques. Aussi sont-elles respectées et même protégées dans beaucoup de contrées de l’Europe ; et, dans le Nouveau-Monde, l’homme les invite à venir habiter près de lui, en perçant exprès pour elles, autour de sa maison, des trous qui leur offrent un asile assuré.
La sociabilité de ces oiseaux donne lieu à des observations du plus haut intérêt. Dès qu’un ennemi menace l’un d’eux ou ses petits, l’Hirondelle pousse des cris aigus, et aussitôt arrivent toutes les Hirondelles du voisinage, qui harcèlent de concert l’animal dont on redoute l’attaque. On a vu des Hirondelles se réunir en bandes nombreuses devant un de leurs nids, dont venait de s’emparer un Moineau, en murer l’ouverture avec du mortier, et condamner ainsi l’usurpateur au supplice d’Ugolin. Des exemples de ce fait ont été constatés en France, en Allemagne (et en Canada). Monbeillard les a révoqués en doute ; mais, tout récemment, il s’est renouvelé sous les yeux d’un observateur véridique. « Portant mes regards, dit M. de Tarragon, sur un groupe de nids d’Hirondelles de Fenêtres, placés dans l’angle d’une corniche, j’aperçus un Moineau Friquet, qui, quelques jours auparavant s’était installé, à force ouverte, dans un de ces nids, et revenait paisiblement à son gîte pour y couver ses œufs ; à peine l’imprudent usurpateur est-il rentré dans sa demeure qu’une Hirondelle qui avait son nid près de là, pousse le cri d’alarme : à ce cri, une multitude innombrable de ses pareilles s’assemblent, et, comme d’habitude passe et repasse en volant près de l’ouverture du nid, comme pour s’assurer qu’il était réellement envahi. De son côté, le Moineau, tranquille possesseur, sinon légitime propriétaire du nid, y avait pondu et ne se doutait guère que ses anciens rivaux dussent venger une vieille injure. La femelle (car le mâle était allé chercher sa subsistance), la femelle, dis-je, dont l’incubation était déjà fort avancée, couvait paisiblement ses œufs. Les Hirondelles, assurées de la présence de leur ennemi, poussèrent simultanément leur cri de guerre, et disparurent en un instant. Je les vis s’abattre près d’un bourbier, situé à cent pas plus loin, où j’avais l’habitude de les observer, lorsqu’elles amassaient de la terre humide, pour la dégorger ensuite et l’appliquer, enduite de leur salive visqueuse, contre les parois d’un mur ou dans l’angle d’une fenêtre ; mais, cette fois, une seule becquetée suffit, et se précipitant toutes à la fois, et comme d’un commun accord, vers le repaire du bandit, elles en eurent, en deux secondes, bouché l’ouverture d’une masse de terre. Après cet exploit, elles volèrent, poussant des cris aigus et continuels, comme pour célébrer leur victoire, et, quelques minutes après, il n’en paraissait plus aucune autour du tombeau dans lequel elles venaient d’enfermer vivant le téméraire Moineau. J’attendis quatre ou cinq jours pour que la terre eût le temps de sécher et qu’il me fût possible d’enlever le nid sans le briser. J’y trouvai l’oiseau mort sur ses œufs ; l’orifice du nid était obstrué par une masse de terre ayant à peu près le volume et la forme d’un œuf de Poule. »
Le même fait s’est reproduit dans la ville de Trois-Rivières : nous le tenons d’une personne dont la véracité est hors de toute atteinte.
Des naturalistes ont prêté à l’Hirondelle des habitudes qui certes ne furent jamais les siennes. Gilbert White[2] a consacré plusieurs chapitres de ses intéressantes lettres à prouver que les Hirondelles pendant l’hiver se réfugient dans des arbres creux ou dans de vieilles tours en ruines pour y séjourner jusqu’au retour de la belle saison, dans une somnolente léthargie. D’autres ont prétendu qu’elles s’enfoncent sous l’eau des lacs, pendant les rigueurs de l’hiver : il n’a fallu qu’un peu de sens commun pour faire évanouir ce conte ridicule.