Ornithologie du Canada, 1ère partie/Observations préliminaires

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Atelier typographique de J. T. Brousseau (p. 7-12).

ORNITHOLOGIE
DU
CANADA.




Si le spectacle de l’inépuisable variété de la nature dans le règne animal ; si l’agréable mêlé à l’utile dans ses combinaisons les plus enchanteresses ; si la contemplation de ce qui à la fois flatte la vue, charme l’ouïe, captive les sens, a été l’objet des études constantes de plusieurs des grands écrivains de l’ancien monde, le nouveau a également vu s’élever au sein de ces vastes forêts, près de ses cataractes retentissantes, des voix éloquentes qui ont célébré d’une manière non moins digne les merveilles des bois et des champs. Au front de la vieille Europe se groupent comme une auréole les noms des Lacépède, des Buffon, des Linnée, des Cuvier ; phares resplendissants de la pensée, destinés à guider dans les sciences naturelles les pas des générations à venir. L’Amérique a aussi, dans cette même carrière, ses privilégiés de l’intelligence, ses Wilson, ses Bonaparte[1], ses Agassiz, ses Audubon.

Avant d’entrer en matière, signalons une circonstance propre à augmenter pour nous, arrière-neveux de la France, nos sympathies pour l’étude de l’histoire naturelle ; c’est que, bien que la famille anglo-saxonne répandue sur les deux rives de l’Atlantique ait donné naissance aux Pennant, aux White, aux Wilson, aux Baird, aux Cassin, aux Lawrence et aux Brewer, hommes fort distingués d’ailleurs, néanmoins dans cette matière, les intelligences mères, telles que Cuvier, Buffon, Bonaparte, Agassiz, et même Audubon, appartiennent à cette antique race gauloise. Nommer ces flambeaux de l’esprit humain, c’est, ce semble, assez démontrer l’importance et la portée de l’histoire naturelle comme étude. Cette science est d’ailleurs si vaste, que chaque branche mériterait d’être traitée séparément.

Pour le quart d’heure, nous nous en tiendrons au département qui a le plus d’attrait pour la généralité des lecteurs, l’ornithologie ; ce département, nous le restreindrons encore à l’ornithologie de cette partie de l’Amérique qui nous est la plus chère, le Canada ; champ entièrement vierge où de nombreux épis n’attendent que le moissonneur.

« L’ornithologie des États-Unis, a dit avec raison Wilson, dévoile à nos regards les couleurs les plus séduisantes dans la chaîne des êtres, depuis l’oiseau-mouche aux ailes de trois pouces de long, où l’or, l’azur et la pourpre se disputent l’empire, jusqu’au condor au sombre plumage, avec une envergure de seize pieds, qui séjourne dans nos régions boréales ; elle nous fait connaître des milliers de chantres ailés qui, pour la variété, la mélodie et la douceur du ramage, n’ont de rivaux dans aucune autre partie du globe ; elle nous dévoile leur migration incessante, de la zone torride à la zone tempérée, du nord au sud, et vice versa, à la recherche de climats, d’aliments et de saisons convenables ; elle nous montre une si étonnante diversité d’allures, de formes, de facultés si uniformément héréditaires dans chaque espèce et si bien adaptées à ses besoins, que nous sommes saisis d’étonnement et d’admiration à la vue de la puissance, de la sagesse et de la bienfaisance du Créateur. Une étude si propre à redoubler nos jouissances à si peu de frais et à nous conduire, par un sentier émaillé de fleurs, à la contemplation et à l’adoration du grand principe, du Père et du Conservateur de tous les êtres, ne peut donc être ni oiseuse, ni inutile : au contraire elle est digne de l’homme et agréable à la Divinité. »

Ces nobles paroles font autant d’honneur à sa tête qu’à son cœur. Voilà la science sur laquelle nous désirerions voir se porter l’attention de tant de sains et vigoureux esprits qui, chaque jour, acquièrent un nouveau développement : c’est dans ce but que nous examinerons ce qui se passe sur les autres points de notre continent.

Parmi les villes de l’Union où l’histoire naturelle a pris un essor rapide, citons surtout Boston, l’Athènes de l’Amérique, Charleston, Philadelphie, la Corinthe du Nouveau Monde[2], et la capitale fédérale, Washington, avec ses musées, son capitole et son Smithsonian Institution, fondé en 1846 par la libéralité d’un particulier. Cette fondation a singulièrement prospéré ; le talent et le capital qu’on y emploie chaque année à reculer les bornes de l’esprit humain, dans les sciences naturelles, placeront cette association sous peu, si elle n’y est déjà, au premier rang des sociétés scientifiques de l’Amérique. L’Histoire Naturelle paraît y être une des études de prédilection. Le Smithsonian Institution envoie chaque été d’infatigables missionnaires aux cimes des montagnes Rocheuses, aux prairies de l’Ouest, aux savanes du Sud, au Canada et jusqu’aux régions glaciales du pôle, à la recherche d’animaux et d’oiseaux inconnus ; ces nobles enthousiastes de la science (inspirés par l’ardeur qui poussa l’infatigable Pierre Chasseur[3] à passer deux étés dans les montagnes du Canada, pour y attraper le grand papillon de nuit), le fusil à la main, traversent fleuves et rivières, tantôt sur un frêle canot, tantôt à la nage, comme Wilson et Audubon l’ont souvent fait, et reviennent chargés de dépouilles opimes.

Nulle expédition militaire n’est organisée, nulle exploration scientifique n’est mise sur pied par le gouvernement fédéral, sans recevoir des ordres formels de conserver et de faire transporter au Smithsonian Institution, aux frais de l’État, oiseaux, animaux, minéraux et autres objets, pour y être examinés et classifiés par les savants professeurs Henry, Baird et autres. Les procédés de ce corps se publient annuellement aux dépens du gouvernement.

Malgré les découvertes de Wilson, de Bonaparte, son continuateur, et du regretté Audubon, dont la noble figure est encore fraîche dans le souvenir de bon nombre d’entre nous, pendant son séjour à Québec, malgré, disons-nous, les travaux extraordinaires de cet homme de génie qui semblait avoir dit le dernier mot sur cette science, le Smithsonian Institution a su ajouter 200 nouvelles espèces à celles mentionnées par Audubon, comme suit :

Oiseaux de l’Amér. du N. classifiés par Wilson en 1814, 283
Oiseaux de l’Amér. du N. classifiés par Bonaparte en 1838, 471
Oiseaux de l’Amér. du N. classifiés par Audubon en 1844, 506
Oiseaux de l’Amér. du N. classifiés par Smith. Inst. en 1858, 716

N’est-il pas étrange que des villes européennes telles que Londres et Édimbourg,[4] aient des cabinets complets de l’ornithologie d’Amérique, et que la métropole des Canadas-Unis n’ait pas même les commencements d’un musée d’histoire naturelle ? Non-seulement nous n’avons pas où placer ces hôtes des forêts, décrits par Wilson, Bonaparte et Audubon, mais l’ornithologie de notre propre pays nous est entièrement inconnue — et dire qu’il est si facile de se procurer en Canada les oiseaux les plus rares et les plus recherchés aux États-Unis. Parmi les Oiseaux de Proie, n’avons-nous pas l’Aigle majestueux de Washington, aussi bien que l’Aigle royal, le Duc de Virginie, le superbe Hibou blanc du Nord, surnommé à bon droit le roi des hiboux. N’avons-nous pas encore le Jaseur de Bohême, le Jaseur du Cèdre, le Roi des Oiseaux (le Tangara Vermillon), le Tangara écarlate, le magnifique Canard branchu, le Cygne au blanc plumage, le fier Dindon sauvage et mille autres. Quoi de plus facile, avec les taxidermistes fixés parmi nous, que de commencer, sous la direction d’une personne entendue, une collection de l’histoire naturelle du pays dans toutes ses branches.

Nous ne saurions conclure sans témoigner notre reconnaissance au Parlement canadien d’avoir ajouté à la bibliothèque législative, le bel ouvrage de Gould, sur les oiseaux d’Australie et le superbe ouvrage illustré d’Audubon, « Les oiseaux de l’Amérique, » au prix de $2000 pour deux exemplaires ; nous devons également faire une mention honorable de l’Honble G. W. Allan, de Moss Park (Toronto), et de M. McElraith, de Hamilton, pour avoir chacun doté leur ville natale d’une excellente collection comprenant au delà de 600 espèces ; ceci démontre que l’étude qui fit les délices de Linnée, de Buffon, de Cuvier, d’Audubon et de mille autres, possède au Canada, comme ailleurs, quelques sectateurs zélés.

En terminant, s’il nous est permis de formuler un vœu, osons espérer qu’avant peu les amis de la science en cette ville sauront élever un sanctuaire où le Canada ira présenter ses hommages à cette partie de la création qui manifeste d’une manière si sensible les merveilles du Tout-Puissant, et qu’à l’instar de la capitale de l’Union-Américaine, la métropole de l’Amérique britannique aura, elle aussi, son musée d’histoire naturelle.

  1. Fils de Lucien Bonaparte et Prince de Musignano.
  2. L’académie des sciences naturelles de cette ville contient la plus riche collection d’Histoire Naturelle de l’Amérique.
  3. Mort en 1842.
  4. Un jeune compatriote M. J. Maxham, de Québec, élève de médecine de l’Université d’Édimbourg, nous écrit qu’il passe une partie de ses loisirs au musée de l’Université, lequel contient une superbe collection d’Oiseaux du Canada, qu’il n’avait pas remarqués à Québec. Ainsi si vous désirez acquérir des connaissances sur la Faune du Canada, allez à Édimbourg !!!