Ossian (Lacaussade)/Avertisement

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L’éditeur
Traduction par Auguste Lacaussade.
Delloye (p. v-x).

AVERTISSEMENT.

En traduisant les poèmes d’Ossian notre intention a été d’en donner une version plutôt fidèle qu’élégante ; tous nos efforts ont tendu à faire de notre travail la copie littérale du texte. Pour arriver à ce but nous nous sommes vus souvent dans l’obligation de heurter notre langue, et, quelquefois même, d’en blesser les susceptibilités grammaticales. Quoique nous soyons presque toujours restés dans l’esprit de la syntaxe, nous n’avons cependant point reculé devant les inversions auxquelles notre prose se prête si peu, afin de suivre jusque dans le mouvement le style de l’original. Ainsi : — Redoutable est ton bras dans la bataille, ô puissant fils de Comhal ! — Désolée est la demeure de Moïna ! le silence est dans la maison de ses pères !

Pour rendre les épithètes doubles de l’anglais, nous avons osé dire : — La fille aux seins blancs de la neige. — La vierge aux blanches mains de la tristesse. — Le fils aux yeux bleus de Sémo.

Ces rébellions aux exigences de la langue, ces fautes, si l’on veut, volontaires de notre part, deviennent pourtant obligées à quiconque veut rester dans une scrupuleuse exactitude. La tâche du traducteur est une tâche de patience et de courageuse abnégation : son amour-propre littéraire doit se taire devant les volontés impérieuses et quelquefois bizarres de l’auteur qu’il traduit ; il n’a plus de forme à lui ; sa manière est celle de l’original ; il calque et ne dessine pas ; son rôle, avant tout, est de s’effacer complètement. S’il cède à des habitudes de style et à des répugnances de goût, il amplifie, il paraphrase, il dénature. Craindre ainsi de reproduire un poète dans toute la vérité de sa forme originelle, c’est lui faire perdre de sa grâce ou de sa force, le priver de sa physionomie, c’est presque vouloir mieux faire que le modèle, et telle n’a pu être notre prétention.

Dans le texte, un mot énergique relève ; dans la version, une périphrase, même heureuse, énerve : aussi n’en avons-nous usé qu’à la dernière extrémité. L’ellipse est fréquente dans Ossian, sa phrase est souvent brève, à la manière de la Bible, et, parfois, d’une concision intraduisible. C’est alors seulement que nous nous sommes contentés de l’à peu près, pour nous en tenir simplement au sens.

L’une des plus grandes difficultés que nous ayons rencontrées dans le cours de notre travail est cette mesure continue qui fait le charme des poésies du barde, et qu’on ne saurait mieux comparer qu’au bruit monotone et prolongé des vagues. Sa diction est pleine et balancée, et l’on dirait que le poète a emprunté son harmonie aux falaises de son pays.

Cette harmonie est un des caractères distinctifs de l’Homère écossais. Pour la conserver, nous avons tantôt eu recours à des explétives ; tantôt nous avons mis au pluriel des mots qui se trouvent au singulier dans la version anglaise. Les chutes plurielles ou singulières d’un substantif et d’un verbe produisent à la fin d’une ligne des effets harmoniques que nous n’avons pas cru devoir négliger ; il nous est aussi arrivé de sacrifier le nombre à l’énergie, le rythme au pittoresque des images et de la diction.

Une œuvre peut être poétique de trois manières : par la pensée, par le sentiment, par l’image. L’image et le sentiment dominent dans la poésie ossianique comme dans celle de tous les peuples jeunes : l’idée s’y élève parfois à une très-grande hauteur ; mais, nulle part, il faut le dire, nous n’avons rencontré un plus grand nombre d’expressions heureuses et de locutions trouvées. Une pensée faible ou ordinaire y grandit sous l’ampleur de la forme. C’est aussi par là que cette poésie pèche par moments : l’expression s’y montre ambitieuse et exagérée ; mais ce n’est point ici le lieu d’examiner les qualités et les défauts de style du poète calédonien.

Letourneur a donné, avant nous, une traduction des poésies d’Ossian : il aimait l’art et le sentait vivement ; mais nous croyons néanmoins devoir lui reprocher d’avoir trop francisé cette muse âpre et inculte du nord, et d’avoir trop sacrifié au goût de son époque la beauté native du texte et son éclat sauvage.

Il ne nous a pas paru nécessaire d’entrer dans des détails sur l’origine, les mœurs et la mythologie du peuple calédonien. Quant aux faits indispensables à l’intelligence de ces poèmes, on les trouvera dans des notes, pour la plupart traduites de Macpherson, et qui nous paraissent éclairer suffisamment les passages qu’elles accompagnent. Cependant on ne doit pas oublier qu’Ossian, fils de Fingal et père d’Oscar, est l’ami de Gaul, le frère de Ryno et de Fillan, et le beau-père de cette Malvina qu’il invoque sans cesse dans ses chants. Souvent aussi il interrompt brusquement sa narration pour s’adresser à ses héros, comme père ou comme fils, comme frère ou comme ami ; ce lyrique dédain des transitions semble jeter quelque confusion dans le récit, et demande, de la part du lecteur, une attention suivie.

Décembre 1841.