Ossian (Lacaussade)/De l’authenticité des poèmes d’Ossian

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Delloye (p. i-xli).




DE L’AUTHENTICITÉ


DES POÈMES D’OSSIAN.


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James Macpherson est-il l’auteur des poésies d’Ossian, ou n’est-il simplement que le traducteur, l’habile et poétique compilateur des chants d’un barde du troisième siècle ?[1]

C’est une de ces questions oiseuses à force d’être complexes, embrouillées, insolubles ; et vis à-vis lesquelles, pour ne pas compromettre son jugement, on doit rester dans les réserves du doute. Dès leur apparition les poèmes d’Ossian ont suscité des querelles très-vives : l’authenticité en a été attaquée et défendue avec chaleur ; elle a donné lieu à des dissertations bien savantes, bien longues, qui n’ont servi qu’à compliquer la question au lieu de l’éclaircir. Une fois engagés dans ce labyrinthe de difficultés où Macpherson semble avoir, à dessein, égaré la vérité, critiques et dissertateurs n’ont pu en sortir, faute d’un nouveau fil d’Ariane, fil que Macpherson pourrait seul avoir et qu’il a emporté avec lui dans la tombe. En effet, il a gardé le secret de ce problème littéraire avec une persévérance qu’on ne saurait qualifier et qu’il est encore plus difficile d’expliquer. Tout, dans la conduite qu’il a tenue à cet égard, décèle de la contrainte, une hésitation coupable, quelque chose de double, d’ambigu qui irrite la curiosité, la blesse dans ses justes investigations et tend à ne faire voir en lui qu’un adroit exploitateur de gloire et de fortune[2], intéressé à entourer la question d’un nuage de mystère.

Interpellé par le docteur Johnson avec une violence qu’on ne saurait approuver, trailé d’imposteur, de faussaire, de brigand (ruffian), il se renferme dans un silence superbe qui pourrait fort bien tenir de la ruse autant que de l’orgueil ; orgueil absurde et déplacé surtout devant un fait qui intéressait à un si haut point et les lettres et la gloire poétique de l’Écosse. Ou s’il se défend, c’est en termes ambigus et hautains, sans s’appuyer de preuves textuelles, sans donner au moins un rapport explicite concernant les circonstances et les personnes qui lui ont fourni les originaux de sa traduction. Aux défis formels de la critique, il ne répond, il faut bien le dire, que par quelques paroles insignifiantes et torturées, véritables paroles d’oracle, les voici : « Ceux qui ont douté de ma véracité ont fait un compliment à mon génie et, quand cette allégation serait vraie, mon abnégation aurait dû expier ma faute. Je puis le dire sans vanité, je crois pouvoir écrire de la poésie passable et je certifie à mes antagonistes que je ne traduirais pas ce que je ne pourrais imiter. »[3]

Il s’agissait bien ici de poésie passable, de génie et d’abnégation ! C’était tourner la difficulté et non l’aborder franchement. Il s’agissait tout simplement de preuves à l’appui d’une authenticité controversée ; preuves faciles à donner, ce nous semble, puisque les sources[4] où le traducteur avait puisé, n’étaient point encore taries et qu’il était alors en son pouvoir, en y ayant recours, de fermer immédiatement la bouche à l’incrédulité. Mais il ne l’a point fait et, chose remarquable, il n’a pas même indiqué ces sources[5] ;

refusant par là à ceux qui s’intéressaient à la solution de ce problème, les moyens les plus sûrs d’y arriver. Disons le donc, les soins pris ou négligés par Macpherson font que cette question ne peut être désormais déflnitivement tranchée. Quoi qu’on fasse, avec les documents actuels, l’opinion qu’on s’en formera ne peut reposer que sur des raisons laissant toujours quelque chose à désirer. Que ce soit orgueil ou astuce, dédain des soupçons de la critique ou désir secret de passer pour l’auteur des chants ossianiques, Macpherson, si son intention a été d’envelopper ce sujet d’un flou le continuel, a, ce nous semble, complètement réussi.

Aussi, nous garderons-nous d’affirmation ou de négation absolue : certaine réserve dans certaine circonstance ne peut que témoigner du respect de la vérité. Walter-Scott lui-même observe à ce sujet qu’il serait aussi insensé de tout croire que de tout nier. Nous nous rangeons à l’avis de cet illustre antiquaire, si apte à prononcer en matière d’authenticité, et, laissant au lecteur le soin

d’asseoir son jugement sur les données historiques, nous nous bornerons à lui offrir des faits un récit succinct qui, sans influencer son opinion, expliquera du moins nos réserves sur cette célèbre contestation.

Vers 1759, l’auteur inconnu d’un poème, (le Montagnard) publié sans succès, Macpherson[6] était précepteur dans l’opulente maison du comte de Graham. Il y fit la connaissance de M. Home, littérateur écossais, et lui traduisit quelques passages de vieux chants populaires que, dans son enfance, il avait entendus dans les montagnes. Encouragé par lui, il en publia l’année suivante un premier volume sous le titre de : « Fragments de poésie ancienne, recueillis dans les montagnes d’Écosse et traduits de la langue erse ou gallique. »

Cette traduction eut un immense succès ; le poète de l’élégie dans un cimetière de campagne, le célèbre Gray en fit un très-grand éloge ; et c’est sans doute à ces chants du père des bardes qu’il dut l’une de ses plus heureuses inspirations : son ode sur le massacre des bardes du pays de Galles[7]. Le public littéraire de l’Écosse, surtout celui des hautes terres, accueillit ces premiers fragments avec un tel enthousiasme, que des souscriptions furent ouvertes pour faciliter au jeune compilateur d’Ossian les moyens d’entreprendre un voyage dans le nord de l’Écosse et aux îles Hébrides. Macpherson abandonna sa place de précepteur, parcourut les villages et les montagnes, tantôt écoutant la voix de la tradition, tantôt interrogeant les souvenirs des anciens du pays, recueillant de chaumière en chaumière et de vallée en vallée les débris épars d’une poésie qui s’en allait.

Pendant cette romantique excursion à travers le passé, il entretint une correspondance suivie avec ses amis d’Édimbourg et les mit au courant des poétiques moissons qu’il faisait sur sa route.[8] De retour au bout de quelques mois il mit en ordre les fragments manuscrits qu’il s’était procurés, transcrivit les ballades et autres compositions chantées qu’il avait pu recueillir et en entreprit la traduction sous les yeux de plusieurs personnes en état d’entendre le gaélic, et qui suivaient sur le texte la version anglaise qu’il en donnait.[9]

Le poème de Fingal et quelques autres chants parurent en 1761 ; Témora et le reste en 1762[10]. Ces nouvelles publications furent reçues avec le même empressement ; mais des doutes sur l’existence d’Ossian commencèrent dès lors à s’élever non-seulement en Angleterre, mais dans la patrie même du barde. C’est en vain que le docteur Blair, à une dissertation imprimée l’année même de la publication de ces poèmes (1762) joignit de nombreux témoignages[11] en faveur de

Macpherson ; ces doutes allèrent en augmentant surtout en Angleterre.

Il existait alors entre ce royaume et l’Écosse une jalousie nationale qui s’étendait de la politique à la littérature, et entre l’Écosse des hautes terres et l’Écosse des basses terres, ces mesquines rivalités qui ne cessent d’affliger un pays que lorsque les progrès de la civilisation ont réuni les esprits et les intérêts dans une intelligente unité. Macpherson, cependant, enrichi par sa traduction, était parti pour Pensacola, comme secrétaire du gouverneur de la Floride orientale. Il visita les Antilles, quelques provinces de l’Amérique septentrionale, et revint en Angleterre en 1766. En 1771 il donna son introduction à l’histoire de la Grande-Bretagne et de l’Irlande, ouvrage qui lui valut le reproche d’avoir mis l’imagination à la place des faits, à propos de l’origine celtique des premiers habitants des Îles

Britanniques. Deux ans après parut sa traduction de l’Iliade : cette tentative littéraire fut des plus malheureuses. Enhardi par son premier succès, Macpherson avait imaginé de traduire Homère dans cette prose nombreuse qui lui avait si bien réussi pour le poète écossais[12] ; mais cette nouvelle entreprise fut généralement mal reçue : la gloire du compilateur d’Ossian ne put défendre le traducteur d’Homère des plus amères critiques[13]. C’est aussi de cette année (1775) que datent les humiliations sans nombre qu’il eut à essuyer de la part de Malcolm-Laing et de Johnson. Ce dernier, le plus grand savant et le plus âpre critique de son époque, ennemi déclaré de tout ce qui n’était pas anglais, nourrissait d’injustes préventions contre l’Écosse et l’lrlande. Cette aveugle partialité a dû influer sur son jugement, et il est permis de croire que l’origine écossaise d’Ossian et de son éditeur n’a pas peu contribué à la violence dont il fit preuve dans sa querelle avec Macpherson. Cependant il avait fait un voyage dans le nord

de l’Écosse et aux îles Hébrides, et en avait profité pour faire des recherches sur Ossian. À son retour, il attaqua Macpherson comme faussaire : il imprima que non-seulement il ne croyait pas à l’existence d’anciens manuscrits, mais qu’il soupçonnait l’auteur de cette prétendue version d’avoir fait traduire quelques fragments de son travail en langue gallique[14] afin de colorer son œuvre de toutes les apparences d’une compilation véritable. Macpherson, furieux, adressa au docteur une lettre pleine de menaces. La réponse ne se fit pas attendre et nous la transcrivons pour donner au lecteur une idée de l’animosité des parties dans ce scandale littéraire :

Monsieur James Macpherson,

« J’ai reçu votre folle et impudente lettre. Je ferai de mon mieux pour repousser toute violence tentée contre moi ; et, ce que je ne pourrai faire moi-même, la loi le fera pour moi. J’espère n’être jamais détourné de dévoiler une fourberie par les menaces d’un brigand.

Quelle rétractation voudriez-vous de moi ? J’ai cru votre livre une imposture ; je le crois encore une imposture. À l’appui de cette opinion, j’ai donné au public des raisons que je vous mets au défi de réfuter. Je méprise votre rage. Vos talents, depuis la publication de votre Homère, ne paraissent pas fort redoutables ; et ce que j’entends dire de votre caractère me porte à tenir compte, non de ce que vous direz, mais de ce que vous prouverez. Vous pouvez imprimer cette lettre, si vous voulez. »

De son côté, Malcolm-Laing, savant écossais, mais écossais des basses terres, rival par conséquent de toute gloire écossaise des hautes terres, avait fait paraître une dissertation contre l’authenticité d’Ossian. Il passa en revue tous les ouvrages en prose et en vers de Macpherson, et retrouva dans sa traduction une grande partie des images de son poème le Montagnard ; entrant plus avant dans l’œuvre du traducteur, avec une patience toute de critique et de critique érudit qui pis est, il la dépeça jusqu’à la trame pour y surprendre les fils d’une composition artificielle et dévoiler les idées et les expressions empruntées, selon lui, aux auteurs anglais, aux classiques grecs et latins et surtout aux poètes sacrés. [15]

Macpherson, ainsi acculé par ses adversaires, soit qu’il suivit en cela les conseils de ses amis, soit qu’il ne pût ou ne daigna point répondre, se retrancha dans un silence complet. Ce silence, il le garda obstinément jusqu’à la mort ; mais la lutte se continua après lui. Toute la haute Écosse était intéressée dans cette question où l’on mettait en doute l’existence de son Homère. Elle avait une académie, la société highlandaise, dont les travaux ont pour objet spécial les antiquités écossaises.


                                                                                                                                         
Cantique des Cantiques.
Dar-thula, poème.
   Levez-vous, ô ma bien aimée, mon unique beauté, levez-vous, et venez ! Car l’hiver est passé et les pluies se sont enfin dissipées. Les fleurs sortent de la terre : la voix de la tourterelle s’est fait entendre. Le figuier commence à donner ses premières figues, et la vigne ses fleurs qui répandent une douce odeur. Levez-vous, ô ma bien aimée, mon unique beauté, levez-vous, et venez ! Éveille-toi, Dar-thula ! Éveille-toi, ô la première des femmes ! Le vent du printemps est dehors ; les fleurs secouent leurs têtes sur les vertes collines et les arbres balancent leurs feuilles naissantes etc.
IIe Livre des Rois.
v. 25
Ossian, bataille de Lora.
   Comment les puissants sont-ils tombés dans le combat ? comment Jonathas a-t-il été tué sur vos montagnes ?    Erragon, roi des vaisseaux, ô chef de la lointaine Sora, Comment es-tu tombé sur nos montagnes ? Comment le puissant est-il tombé ?

   Les filles d’Israël s’assemblaient une fois l’année pour pleurer la fille de Jephté de Galaad, pendant quatre jours.    Les filles de Morven la pleuraient (Lorma) tout un jour dans l’année, au retour des sombres vents d’automne.

IIe Livre des Rois.
v. 22
Ossian bataille de Lora.
   Jamais la flèche de Jonathas n’est retournée en arrière ; elle a toujours été teinte du sang des tués, de la graisse des puissants, et l’épée de Saül n’a jamais été tirée en vain.    Mais il est couvert du sang des ennemis, ò sœur de Galmar ! Sa lance et son arc, sans être teints de sang, ne sont jamais revenus de la bataille des puissants.

v. 23
Ossian, mort de Cuthullin.
   Ils étaient plus vites que les aigles et plus forts que les lions.    Ta force était semblable à la force des torrents, et ta vitesse pareille à celle des ailes de l’aigle.

</ref></noinclude> Cette académie se chargea d’instruire elle-même cet étrange procès et nomma à cet effet une commission qui dut se transporter dans le pays, et se livrer aux plus scrupuleuses recherches pour retrouver les textes ossianiques. La commission refit le voyage de Macpherson : elle parcourut les villages et les montagnes, se fit chanter ou réciter les compositions bardiques dans la langue originelle, entendit des ministres puritains, des vieillards, des paysans, etc., en un mot, s’acquitta de sa mission avec toute la minutie, tout l’appareil des formes légales, comme s’il se fût agi d’une enquête judiciaire. La société, munie des pièces du procès, publia en 1805, le résultat de ses travaux : les commissaires, avec plusieurs autres lambeaux poétiques, avaient retrouvé la description d’un char, d’un combat, d’un bouclier et quinze cents vers environ presque entièrement semblables à la version anglaise du poème de Fingal[16]. Cependant la société termine son rapport par les conclusions suivantes :

1o Il est hors de doute que la poésie ossianique a existé, qu’elle était généralement répandue en Écosse, qu’elle avait un caractère touchant et sublime.

2o Dans les fragments de poèmes que la commission a pu se procurer, elle a retrouvé la substance et quelquefois même l’expression littérale des poèmes traduits par Macpherson, mais aucun poème identique par le titre et par le sujet. Elle est portée à croire que cet écrivain avait pour habitude de remplir les lacunes par des passages qui ne se trouvaient point dans le texte, de lier des fragments épars, d’élaguer des phrases, d’adoucir quelques incidents, de changer enfin ce qui lui paraissait trop simple ou trop rude pour des oreilles modernes. La commission ne peut toutefois déterminer jusqu’à quel point il a usé de cette liberté.

« Voilà, dit M. Villemain, voilà un aveu qui, sorti de la bouche de juges éclairés, consciencieux, et cependant animés d’une sorte de partialité patriotique, a sans doute une grande force contre l’authenticité des poèmes d’Ossian. Aussi, l’amour-propre écossais qui, suivant Johnson, est un des plus grands amours-propres nationaux qui existent dans le monde, l’amour-propre écossais fut très-mécontent de cette conclusion ; et quelque temps après on assura que des manuscrits légués par Macpherson renfermaient le véritable texte des poésies d’Ossian, et qu’on allait enfin le voir paraître[17]. »

En effet, la société écossaise de Londres le publia en 1807. C’est une magnifique édition du texte gallic[18], avec une traduction littérale latine en regard, par Macfarlane, et une nouvelle dissertation dans laquelle sir John Sinclair répond à toutes les objections qui ont été soulevées contre l’existence du barde, et qui peuvent être réduites à ces cinq chefs principaux :

1o Les mœurs décrites dans les poésies d’Ossian sont trop raffinées pour une société qu’on suppose barbare.

2o La constante imitation des saintes écritures et des auteurs classiques prouve suffisamment que ces poésies sont d’une fabrication moderne.

3o  Dans une poésie aussi antique il est singulier qu’on ne rencontre aucune trace de culte religieux, aucun détail de rite et de cérémonies, mais seulement un vague respect pour l’ombre des aïeux, une sorte de déisme purifié, substitué au culte grossier d’une époque barbare.

4o  Les prétendus manuscrits qui nt servi de base au travail de Macpherson, n’ont jamais existé, car on ne peut recueillir de manuscrits dans un pays où on n’écrivait pas, et où il serait impossible de rencontrer quelques lignes d’ancienne écriture ; si le compilateur avait eu en sa possession des pièces originales, il les aurait publiées lorsqu’il en a été si vivement mis au défi par ses antagonistes.

5o  Enfin, le texte gallic publié par la société de Londres ayant été imprimé sur une copie presque en entier écrite de la main de Macpherson et n’ayant paru que près d’un demi-siècle après sa traduction, il peut fort bien se faire que ce texte ne soit que le produit d’un lent travail du traducteur lui-même, destiné à défendre un mensonge qu’il avait soutenu toute sa vie.

Nous allons répondre successivement à ces objections :

1o  On sait que les Romains, à tort ou à raison, représentaient comme barbares les peuples avec lesquels ils étaient en guerre et qu’ils entretenaient contre eux les plus hostiles préjugés ; mais les historiens et les bardes de l’Écosse et de l’Irlande s’accordent à représenter les tribus de ces pays comme nourrissant les sentiments les plus purs et les plus exaltés. Tacite lui-même ne parle-t-il pas de l’espèce de culte des Germains pour les femmes ? Ne raconte-t-il pas que les hommes du Nord voyaient en elles quelque chose de saint et de sacré ? Il n’est plus étonnant dès lors que ce religieux respect passant de leurs mœurs dans les chants de leurs bardes, leur poésie ne se soit élevée à un caractère de pureté chevaleresque qui peut surprendre chez les peuples qu’on est habitué à regarder comme barbares, mais qui n’en est pas moins naturelle à leurs mœurs et conforme à l’histoire.

2o  Nous l’avons déjà dit plus haut, Macpherson est seul responsable des plagiats dont on accuse Ossian. Nous avons comparé sa traduction du premier chant de Fingal avec la version littérale anglaise que M. Thomas Ross en a faite sur le texte même, et nous n’avons point rencontré dans celle-ci les idées et les expressions qui, dans celle du premier, ont légitimé l’accusation d’emprunts. Il résulte de cet examen comparatif que Macpherson ne s’est point contenté d’ajouter au texte, mais qu’il a omis des passages remarquables, de belles expressions qui se retrouvent dans la traduction de Thomas Ross, et qu’en demeurant moins près que celui-ci de l’original, il n’a pas donné, quant à l’ensemble, une juste idée de la nerveuse simplicité du poète calédonien, et lui a fait un tort que ne rachètent pas toujours les beautés de sa diction et l’harmonie de ses périodes.

3o  Il est singulier, il faut l’avouer, qu’on ne rencontre aucune trace de religion dans les chants d’Ossian, car les compositions des autres peuples se rattachent toutes fortement à leurs croyances mythologiques. Il serait sans doute plus conforme à l’histoire des anciens chefs du Nord, de voir auprès d’eux, dans le camp et à la salle des coupes, le prêtre avec le barde, car ce dernier n’était lui-même qu’une sorte de prêtre d’un rang inférieur ; mais qu’on se rappelle la guerre d’extermination que Trenmor[19], bisaïeul de Fingal, fit aux Druides qui voulaient le renverser de la magistrature suprême ; qu’on se rappelle leur destruction, le discrédit et l’oubli où tombèrent après eux leurs cérémonies religieuses ; et l’on comprendra que Fingal, intéressé à leur perte, ait partagé contre eux la haine et le mépris publics ; qu’Ossian son fils n’ait point cherché à les relever dans l’esprit du peuple, en rappelant dans ses poèmes les rites d’un ordre ennemi de sa race et de son hérédité au pouvoir. Le silence du barde avait encore d’autres motifs qu’on s’explique difficilement quand on est étranger aux mœurs guerrières des anciens poètes écossais. Ils portaient jusqu’à l’extravagance le point d’honneur martial. Un secours dans un combat, de quelque côté qu’il vint, portait atteinte à la réputation d’un héros ; et les bardes lui refusaient la gloire du triomphe pour la transmettre à celui

qui l’avait aidé. De là vient sans doute que l’aveugle de la Calédonie n’a point fait, comme le poète grec, intervenir les Dieux en faveur de ses guerriers. Les héros d’Ossian sont de la taille des héros d’Homère : comme l’audacieux Ajax, défiant le Dieu des flots, Fingal affronte et combat dans la nuit le redoutable Esprit de Loda. Loin d’implorer le secours d’un être surnaturel, le roi de Morven se serait plutôt écrié avec l’intrépide fils de Télamon :

Ô Dieu ! rends-moi le jour et combats contre moi !

D’ailleurs, ceux qui ont écrit en langue celtique, parlent rarement de religion dans leur poésie profane ; et quand la religion fait le thème principal de leurs chants, ils ne mêlent jamais les actions des héros à leurs compositions sacrées. Cette coutume seule, antérieure à la chute des Druides, expliquerait suffisamment le silence de l’auteur sur la religion de son temps.

Conclure du silence d’Ossian que ce barde vivait au milieu de tribus étrangères à toute idée religieuse serait trahir une complète ignorance de l’histoire de l’homme. Le cœur humain, à défaut de croyances, se nourrit de superstitions. Quel peuple, si barbare qu’il soit, ne s’est point élevé à quelque faible notion d’un être supérieur ? On s’explique l’indifférence d’Ossian par celle de son temps, car l’œuvre d’un grand poète est le miroir fidèle des connaissances de son siècle et des mœurs de ses contemporains. Ossian chantait à l’une de ces époques de tiédeur religieuse où, à un culte qui s’éteint, succède un culte qui vient de naître[20]. Le jour du Christianisme ne s’était point encore levé sur les peuples du Nord. Ils ne croyaient plus au pouvoir mystique des Druides, mais ils ne croyaient point encore dans cette foi nouvelle dont l’aube blanchissait à peine le front impérial de la Rome de Dioclétien.

4o  S’il est impossible que Macpherson ait pu recueillir des manuscrits dans un pays où l’on n’écrivait pas, il n’est pas impossible qu’il ait écrit, sous la dictée des chanteurs ou des récitateurs qu’il a rencontrés, les poèmes dont il a donné la traduction : ce n’est qu’ainsi que nous entendons ajouter foi à l’existence de ces manuscrits. La déclaration de la société highlandaise est formelle : elle a retrouvé des lambeaux poétiques contenant souvent la substance, quelquefois même l’expression littérale des poèmes traduits par Macpherson. Il est incontestable, d’après son rapport, qu’il a existé une poésie ossianique et

qu’il n’en reste des traces dans les montagnes de l’Écosse. La tradition y parle sans cesse de l’aveugle Ossian ; Ossian dall ; elle se souvient de Fingal et des exploits de ses guerriers ; elle compare encore les jeunes épousées à la belle Agandecca la fille de la neige.

On ne peut nier que la langue gallique, encore parlée dans quelques parties de l’Irlande et de l’Écosse, n’ait possédé une sorte de littérature populaire, conservée aux 15e et 16e siècles, puisque Buchanan lui-même en fait mention :

Carmina autem non inculta fundunt, quæ rhapsodi proceribus, aut vulgo audiendi cupido recitant, aut ad musicos organorum modos canunt.

Peut-on supposer qu’un juge tel que Buchanan, d’une érudition si vaste, d’un goût si éclairé, si nourri des lettres grecques et latines, peut-on supposer qu’un tel juge eût loué les chants (carmina non inculta) des anciens bardes écossais, s’il ne les eût trouvés dignes de ses éloges ? Si des poèmes existaient de son temps, si la mémoire du peuple les avait retenus, s’ils étaient récités par les rhapsodes du 16e siècle, nous ne voyons pas d’impossibilité à ce que la tradition les ait conservés cent cinquante ou deux cents ans de plus.

Le docteur Smith, de son côté, nous offre quelques preuves à l’appui de cette poésie traditionnelle. Il avait, lui aussi, recueilli des chants gallics et les avait traduits ; il produisit en 1780, quatorze poèmes parmi lesquels onze sont attribués à Ossian. Pour le sujet et pour la forme, ils offrent une telle ressemblance avec ceux qu’a donnés Macpherson, qu’il est difficile de ne pas admettre que les deux traducteurs aient travaillé sur un même fonds primitif. Cependant le docteur Smith avoue avec bonne foi qu’il a usé dans son travail d’une grande liberté. Que Macpherson ait ou non procédé de la même manière, c’est une déclaration qu’il n’a jamais faite et à laquelle d’ailleurs se refusait la vanité connue de son caractère. C’est là peut-être la véritable cause de son mauvais vouloir à publier le texte d’Ossian, car nous ne pouvons accepter comme tels, les empêchements cités par ses défenseurs : ses longs voyages outre-mer et les frais considérables que cette édition devait nécessairement entraîner. Dès 1766 notre voyageur était de retour en Angleterre et le temps ne lui avait pas manqué depuis pour donner plusieurs ouvrages de longue haleine ; mais tantôt pour un motif, tantôt pour un autre, il a toujours retardé l’impression de ces textes. Cependant, au dire de J. Sinclair, il lui eût été facile d’en faire paraître un très-grand nombre dont la version latine était achevée depuis longtemps[21].

Quant aux frais de cette publication, l’objection était déjà levée en 1784 (douze ans avant sa mort). Il lui avait été remis, à cet effet, une somme de vingt-cinq mille francs provenant d’une souscription faite dans les Indes. On le voit, la conduite de Macpherson, en différant l’heure de sa justification littéraire, tendait à laisser planer des doutes sur l’authenticité d’Ossian, et ne peut guère s’expliquer que d’une manière : il savait qu’il ne pouvait être raisonnablement regardé comme faussaire dans une question où il avait pour lui tant d’honorables témoignages ; mais il savait aussi qu’en mettant au jour les matériaux de son travail c’était dévoiler son infidélité au texte et se reconnaître lui-même l’interprète inexact des chants qu’il avait donnés comme entièrement originaux. Ces considérations ont pu le retenir ; mais à ces motifs de pure vanité de traducteur, il serait peut-être juste d’en joindre un dernier plus puissant et plus coupable, le désir de laisser la question dans un mystère flatteur pour son orgueil, s’il est vrai, comme quelques-uns l’ont pensé, que Macpherson n’eût pas été fâché de passer pour l’auteur des poésies qu’il avait ressuscitées de l’oubli et qui avaient mérité l’admiration de toute l’Europe.[22]

5o  Quant à la dernière objection, tendant à infirmer comme preuve de l’authenticité, le texte gallic lui-même, il n’appartenait qu’aux scholiastes les plus versés dans la connaissance de cet idiome d’y répondre. Eh bien ! tous les savants qui jusqu’ici ont parcouru l’original, assurent que la langue dans laquelle sont écrits les poèmes d’Ossian, est de la plus haute antiquité. Ils affirment qu’il serait aussi difficile à un lettré moderne de faire passer ses compositions grecques ou latines pour celles d’Homère ou de Virgile, qu’il eût été difficile à Macpherson et à tout autre d’écrire des poésies galliques qu’on n’eût pu tout d’abord reconnaître des chants composés à une époque aussi reculée[23].

Maintenant, et en se rappelant ce que nous avons dit plus haut du caractère vaniteux de Macpherson, peut-on croire qu’il ait pu avoir l’idée de s’imposer la pénible tâche de convertir en vers celtiques un grand nombre de poèmes originairement composés par lui-même en prose anglaise, composition dont il avait le désir secret d’être considéré comme l’auteur et non le traducteur ? Peut-on croire qu’il eût ainsi détruit de ses propres mains l’objet de ses vœux et de son ambition, en invalidant le seul titre sur lequel il put fonder sa prétention à l’originalité ?[24]

Un dernier fait que J. Sinclair rapporte dans tous ses détails tendrait à satisfaire la curiosité la plus susceptible : Sir John avait appris qu’un évêque catholique d’Édimbourg, M. Cameron, avait eu connaissance d’un ancien manuscrit gallic qui se trouvait avant la révolution française au collége écossais de Douai. Il lui écrivit le priant avec instances de lui donner à ce sujet des renseignements précis. L’évêque le satisfit pleinement dans des lettres qui existent encore et se trouvent annexées à d’autres pièces justificatives. Il résulte de l’examen de ces nouveaux documents :

1o  Que le révérend John Farquharson a recueilli dans la haute Écosse vers 1745 un grand nombre de poèmes gallics auxquels il avait lui-même donné le nom de : Poèmes d’Ossian, et qu’il affirmait n’être point inférieurs à ceux d’Homère et de Virgile.

2o  Que ces manuscrits restèrent en sa possession au collége écossais de Douai, ensuite à celui de Dinan depuis 1760 ou 65 jusqu’en 1775, année de son retour en Écosse.

3o  Que, se rendant de Dinan en Écosse, il alla passer quelques jours à Douai auprès de ses compatriotes et leur laissa son manuscrit.

4o  Qu’en 1766 ou 67, M. Glendoning de Parton lui ayant envoyé la traduction des poésies ossianiques de Macpherson, il les compara avec celles de sa collection et revit de cette manière tout le poème de Fingal et de Témora et quelques-uns des autres.

5o  Enfin, que M. Farquharson reprochait souvent à la version de Macpherson de faire perdre à l’original une partie de sa force et de sa beauté.

Il n’y a donc point dans l’histoire, dit John Sinclair, de fait plus avéré que celui de l’existence du manuscrit ossianique de Douai, antérieurement à la traduction de Macpherson, ni rien qui prouve mieux que les poèmes qu’il a donnés pour authentiques le sont en effet.

Maintenant que nous venons de faire passer sous les yeux du lecteur les principales pièces[25] de cet étrange procès, si nous étions requis de donner notre sentiment à ce sujet, nous dirions sans hésiter que nous croyons à un fonds riche et primitif dont les inspirations se retrouvent partout dans la version de Macpherson ; mais déterminer d’une manière précise ce que le travail moderne doit au thème antique, dire quels matériaux ont remplacé les lacunes de la tradition, reconnaître en un mot les broderies poétiques sur le canevas original ; c’est là une tache devant laquelle nous nous récusons, tout en avouant que nous inclinons un peu, avec Walter-Scott, à voir dans Macpherson plutôt un poétique compilateur qu’un traducteur fidèle. L’œuvre ossianique est pour nous quelque chose de semblable à ces antiques édifices que les années ont entamés dans leurs parties les plus vulnérables, mais qu’elles ont respectés dans leurs vastes proportions, et dont les magnifiques débris, chargés de lierre et de vétusté, dominent encore le passé.

Les limites voulues d’une notice ne nous permettent pas d’entrer dans de plus grands détails : le lecteur trouvera peut-être que nous n’avons point suffisamment éclairé son jugement ; peut-être aussi trouvera-t-il que nous n’avons pas épargné à sa patience une aride nomenclature ; dans ce dernier cas notre excuse serait l’importance même du sujet. Quelle plus curieuse étude en effet que celle de l’origine d’une poésie qui a si puissamment agi sur toute l’Europe, qui a éveillé de si vivaces admirations dans tous les rangs de la société moderne ? Toutes les littératures du dernier siècle se souviennent de cette muse mélancolique qui, venue du nord, a laissé partout des traces de son passage. Goethe et Napoléon étaient des admirateurs enthousiastes d’Ossian : l’un en faisait le compagnon de ses victoires ; l’autre l’ami, le confident, le consolateur de son malheureux Werther. À des régions moins élevées, le barde calédonien compte encore une foule d’admirateurs non moins passionnés. Cesarotti, le célèbre traducteur d’Homère, le met en vers italiens et va jusqu’à le préférer au chantre de l’Odyssée. Dans des temps plus rapprochés, Byron lui paie à son tour un tribut d’admiration, en imitant sa forme et sa manière dans un morceau en prose. Anglais et étrangers, poètes et prosateurs, tous à l’envi l’imitent ou le traduisent. Du cabinet du poète et du palais de l’empereur, si cette poésie descend au foyer calme des familles, elle y trouve de si vives sympathies que les mères lui empruntent pour leurs enfants, les noms mélodieux d’Oscar et de Malvina. Celui qui pénètre ainsi dans les masses, qui subjugue à la fois l’artiste et le conquérant, l’homme de peine et l’homme de lettres, celui-là ne peut être qu’un poète de premier ordre, j’ai presque dit un de ces poètes-mères dont parle Chateaubriand, qui alimentent à eux seuls plusieurs siècles de poésie. La muse moderne porte un vague reflet du génie triste et méditatif d’Ossian : sa grande ombre rêveuse domine toute la poésie de notre siècle. C’est la même forme avec ses images hardies, c’est le même esprit, grave et contemplatif. Qu’on étudie avec soin les compositions des plus grands noms de cette époque et, à quelques exceptions près, on verra dans le courant de l’œuvre se dessiner la veine ossianique : on dirait ces larges nappes souterraines qu’on est sûr de rencontrer dans le sein de la terre de quelque point qu’on la sonde.

Comme Homère est le représentant de la poésie aux jours épiques de la Grèce, Ossian est la personnification de l’ancienne poésie du Nord. Les grands poètes ont cela de commun qu’ils absorbent et s’assimilent toute la substance poétique de leurs devanciers et de leurs contemporains. Ils sont comme le résumé des idées et des choses de leurs temps ; l’écho qui doit en perpétuer le souvenir. Il est plus que probable qu’Ossian s’est inspiré des chants de ses prédécesseurs, et que dans les poèmes que l’Écosse nous a légués sous son nom, il est des parties qui, altérées et confondues par la tradition, appartiennent à des émules contemporains ou à des bardes antérieurs que l’éclat de son nom a fini par éclipser entièrement. Il est des jours et des peuples où, tantôt pour une cause, tantôt pour une autre, la poésie, loin d’atteindre à tout son luxe de développement, est comprimée ou méconnue, et peut à peine se soutenir au-dessus de la médiocrité : alors rhapsodes, bardes, trouvères, s’en vont déclamant de froides mélopées dont la tradition daignera tout au plus conserver des fragments. Mais ces fragments, qu’un grand poète se lève et il s’en emparera ! Ce seront ses matériaux pour ériger un monument que l’avenir admirera et nommera d’un grand nom générique.

Ce n’est là qu’une pure hypothèse à propos d’Ossian, mais peut-être n’est-elle pas loin de la vérité. Ne point reconnaître de transition entre un grand homme et ceux qui l’ont précédé, en faire un être à part, isolé, exclusif, un Dieu enfin ! c’est admettre qu’il est des époques de mort et de résurrection pour la poésie : ce qui n’est pas, ce qui ne peut être, car la poésie ne meurt jamais ! Il est des temps où elle se déplace, il est des temps où elle sommeille, mais elle vit toujours, mais elle ne s’éteindra qu’avec l’humanité, car sa vie à elle, c’est le cœur même de l’homme, c’est la création tout entière. Oui ! comme l’électricité dans l’air, la poésie est partout dans la nature et dans l’homme ; toute chose créée contient en soi une parcelle plus ou moins grande de cette émanation céleste : mais qu’il surgisse une tête haute de génie ! et aussitôt toutes les parties éparses de cette poésie universelle s’élèvent, s’amassent se condensent sur cette cime intellectuelle, et le monde se glorifie dans un grand poète de plus.


  1. La plus grande partie de l’Europe était anciennement habitée par les tribus celtiques ; principalement l’Allemagne, la France, l’Espagne, la Grande-Bretagne. Mais on trouve aussi des traces de leur passage dans la Grèce, l’Illyrie et l’Italie. Leur langue, qui se parle encore dans des contrées séparées par des distances immenses, est le seul monument qui nous reste de ces peuples ; elle atteste leur puissance, l’étendue de leurs possessions, mais ne jette aucune lumière sur leur histoire. Méprisant les lettres, comme indignes de l’attention d’une race guerrière, ils n’avaient d’autres moyens de conserver leurs lois, les préceptes de leur religion, les annales historiques de leur pays, que le secours de la mémoire. Dans la nécessité d’apprendre par cœur, ils ont dû chercher à se faciliter ce travail, en renfermant dans la forme des vers les souvenirs qu’ils voulaient perpétuer. Les poètes qui composaient ces vers étaient nommés bardes, c’est-à-dire, en langue celtique, poète, chanteur, musicien ; car ils composaient, chantaient, et s’accompagnaient de la harpe. Outre leurs propres vers les bardes disaient les poèmes des bardes antérieurs à eux. Ces poèmes étaient pour la plupart historiques ; c’était comme le dépôt sacré des souvenirs et des hauts faits de la nation. On les enseignait aux enfants, on les répétait dans les occasions solennelles ; ce qui explique comment ils se sont conservés si longtemps. Les Druides, à qui était confiée l’instruction de la jeunesse, dévouaient vingt années à apprendre ces poésies, dont plusieurs remontaient à la plus haute antiquité. Les bardes eux-mêmes ont été longtemps une classe distincte dans l’ordre religieux des Druides ; leur principale occupation était de composer des chants en l’honneur des guerriers, et de réciter les poèmes de leurs prédécesseurs. Ces poèmes étaient en vers blancs ou prose mesurée ; ils réservaient la rime pour les morceaux lyriques dont ils semaient leurs compositions. Mais dans chaque ligne se trouvaient des syllabes d’un son semblable qu’on prononçait avec une emphase qui devait faciliter la mémoire. Lors de la destruction des Druides ils ne partagèrent pas leur mauvaise fortune. Le vainqueur les épargna, car ce n’était que par eux qu’il pouvait espérer d’être immortalisé. Ils passèrent dans son camp et contribuèrent par leurs chants à établir et à affermir son autorité. Ils servaient aussi de héraults pour annoncer la paix ou la guerre. Le roi et les chefs n’employaient jamais d’autres ambassadeurs et leur personne était sacrée. Entourés d’honneurs ils devinrent aussi puissants que nombreux ; mais ils abusèrent bientôt des priviléges attachés à leur caractère. Ils allèrent peu à peu en diminuant de considération et finirent enfin, comme les Druides, par être généralement méprisés. Les derniers vestiges de cet ordre célèbre disparurent sous le règne d’Édouard Ier qui fit égorger tous les bardes du pays de Galles.
  2. C’est ainsi que le qualifie M. Villemain (Cours de littérature, leçon sur Ossian).
  3. The conduet of Macpherson tended to render the subject of authenticity doubtful and mysterious. At first he seemed to have had no other object in view but to be considered as the mere translator ; but when the reputation of the poems was fully established, he felt no objection to be considered as capable of composing such works himself, or at least of being able to improve them.

    D’abord il (Macpherson) ne semblait avoir d’autre objet en vue que d’être considéré comme simple traducteur ; mais quand la réputation de ces poèmes fut tout-à-fait établie, il ne vit point d’objection à se donner comme capable de composer lui-même de telles œuvres ou au moins de les perfectionner. (J. Sinclair, Dissertation, page xiii.)

  4. Macpherson, dit-on, joignit aux manuscrits qu’il put trouver les ballades et auties poésies qu’il entendit chanter dans les montagnes, par des aveugles, des paysans, de vieilles femmes, etc. Il en recueillit aussi de la bouche même de vieux ministres puritains et de vieux gentilshomme écossais dont plusieurs devaient être encore vivants à l’époque où on lui contesta l’authenticité des poèmes d’Ossian.
  5. No distinct account was obtained from Macpherson of the persons from whom he had collected the poems, that other copies of them might be got from the same individuals.
    (J. Sinclair, Dissertation, pag. xiii.)
  6. Jacques Macpherson, naquit en 1738 dans la paroisse de Kingcusie, en Écosse. Son pèree était un fermier peu riche mais issu d’une des plus anciennes familles du royaume. Après avoir reçu les premiers éléments d’éducation dans les écoles du district de Badenoch, le jeune Macpherson entra en 1752 au collége royal d’Aberdeen. Il s’y montra moins studieux que spirituel : son goût pour la poésie se manifesta par quelques petites pièces de vers dont il amusait ses camarades. En sortant du collége, il se vit réduit à tenir une petite école à Ruthven, dans sa province. Ce fut là qu’à l’âge de vingt ans il publia son premier ouvrage, the Highlander, poème en six chants. Par la suite il sentit si bien la faiblesse de cette composition qu’il en retira tous les exemplaires qui restaient chez le libraire. Il eut, un moment, le désir d’entrer dans l’état ecclésiastique ; mais l’offre d’une place de précepteur dans une maison riche, vint l’en détourner. (Biographie universelle).
  7. Édouard Ier, inquiet sur l’avenir d’une conquête encore mal affermie, souilla sa victoire et son règne par le massacre de ces bardes qui, pleins des hauts faits de leurs aïeux, rappelaient sans cesse aux vaincus l’antique liberté de leurs pères.
  8. « J’ai été assez heureux pour mettre la main sur un joli poème complet et vraiment épique, concernant Fingal. » Lettre de Macpherson à M. Maclagan en date du 16 janvier 1761. Rapport de la société highlandaise, appendice page 155.
  9. Une liste de gentilshommes et d’ecclésiastiques, tous gens respectables et connus, déclarent qu’ils ont assisté Macpherson dans la collection des poèmes d’Ossian ; qu’ils lui ont fourni plusieurs poèmes qu’ils mentionnent ; qu’ils ont suivi les manuscrits dans les deux langues, tandis qu’il était occupé à la traduction ; qu’ils ont été habitués dès l’enfance à entendre répéter ces poèmes ; qu’eux-mêmes ils pouvaient en réciter plusieurs, et qu’ils n’ont jamais eu le moindre soupçon d’une falsification (forgery). Ces faits sont attestés par plusieurs personnes d’un caractère respectable, qui ont autorisé le docteur Blair à livrer leurs noms au public. De plus cinq ecclésiastiques affirment qu’ils ont eu la copie imprimée de la traduction de Macpherson entre les mains, tandis que des individus dont ils mentionnent les noms et la demeure, répétaient dans l’original les poèmes qu’ils ont reçus de la tradition ; et que la traduction et les poèmes se ressemblaient parfaitement à l’exception de quelques variantes ; ce qui peut avoir lieu dans la tradition orale.
    (J. Sinclair, Dissertation, page lxxv.)
  10. Est-il un exemple, dit John Sinclair, d’une telle quantité de poésie belle et originale, composée et publiée dans un si court espace de temps, par un auteur qui jamais avant ni après n’écrivit une seule ligne de poésie passable ? (Dissertation page lxxxvi. En effet, il est difficile d’admettre que Macpherson, dont les œuvres antérieures et postérieures sont d’une valeur poétique presque nulle, ait pu composer dans un temps aussi limité, ces poèmes dont la lecture révèle l’une des plus riches organisations de poète qui ait jamais été.
  11. Ces témoignages sont tels qu’il faudrait croire qu’une foule d’honnêtes gens d’un esprit éclairé et d’un caractère grave, eussent renoncé à leurs lumières et à leur probité, ainsi que le docteur Blair lui-même, pour soutenir sans aucun intérêt un mensonge grossier. Disons de plus avec le docteur Blair qu’il faudrait supposer que Macpherson eût joui d’un crédit assez grand pour rendre tous les habitants des montagnes et des îles d’Ecosse complices de son imposture ; sans cela, ajoute-t-il, mille roix se seraient élevées pour lui dire : « Ce ne sont point là les poèmes de nos bardes, ces poèmes que nous entendons répéter chaque jour. »
  12. La liberté dont Macpherson a fait preuve dans son Iliade anglaise, qui est un véritable contre-sens de goût, ne donnerait-elle pas la mesure de sa fidélité envers l’Homère du nord ?
  13. Le nom de Macpherson se trouve tellement lié à celui d’Ossian, que nous croyons faire plaisir au lecteur en lui offrant quelques autres détails biographiques sur la vie de ce célèbre traducteur. Il publia une histoire de la Grande-Bretagne, depuis la restauration jusqu’à l’avènement de la maison de Hanovre. Le parti Whig s’éleva contre cet ouvrage, comme trop favorable aux Stuart. L’auteur ne répondit à ses attaques que par deux volumes de Pièces justificatives, parmi lesquelles se trouvent des extraits d’une vie de Jacques II, écrite par lui-même. Après tant d’orages, des jours de bonheur commencèrent à luire pour le littérateur écossais. La querelle des colonies américaines avec la métropole, avait fait naître plusieurs pamphlets politiques très-hardis. Le gouvernement voulut y faire répondre par une plume exercée ; et il jeta les yeux sur Macpherson. Celui-ci écrivit plusieurs ouvrages si forts de style et de pensées, qu’on les attribua d’abord à Gibbon. Il fut largement récompensé par le ministère ; mais bientôt un emploi plus lucratif encore s’offrit à lui. Le nabab d’Arcate cherchait, à Londres, un agent qui sût défendre ses intérêts auprès de la compagnie des Indes. Macpherson s’acquitta de cette fonction avec tant déclat et de succès, qu’il attira les regards au moment des élections parlementaires. Il fut nommé, en 1780, député de Camelford ; mais il garda, dans la chambre des communes, un silence qui surprit généralement. Il fut réélu, néanmoins, en 1784 et 1790. Il avait acquis dans l’intervalle, la terre de Betz, dans son pays natal ; et cliangeant ce nom en celui de Belleville, il y fit bâtir un vaste et superbe château. Ce fut dans cette délicieuse retraite qu’il espéra trouver le rétablissement de sa santé qui dépérissait avant l’âge. Mais il ne fit que languir, et mourut le 17 février 1796, dans les sentiments d’une grande piété. Son corps, d’après ses dernières volontés, fut transporté d’Écosse à Londres, et inhumé dans l’abbaye de Westminster, (Biographie universelle).
  14. Macpherson a donné tout le septième chant de Témora dans la langue gallique, à la suite de sa traduction, édition in-4o de Londres. 1763.
  15. Nous sommes loin de partager l’opinion de Malcolm-Laing qui ne veut voir dans Ossian qu’un immense et éternel plagiat. Cependant, tout en laissant au critique la responsabilité de ses jugements sévères jusqu’à l’injustice, nous nous devons d’observer au lecteur, à qui un examen attentif de ces poèmes révélerait plus d’une réminiscence, que dans le cours de notre travail nous avons rencontré de nombreuses imitations des auteurs étrangers ; imitations qui, après tout, reposent moins dans l’idée que dans la forme, moins dans le fonds même que dans le profil de l’œuvre. Ainsi, qui ne reconnaîtrait la marche du style des prophètes dans cet admirable passage du poème de Carthon : « J’ai vu les murs de Balclutha, mais ils étaient désolés. La flamme avait retenti dans les salles, et la voix du peuple ne s’y fait plus entendre. Le torrent de Clutha était détourné de son cours par la chute des murailles. Le chardon y balançait sa tête solitaire ; et la mousse sifflait à la brise. Le renard se montrait aux fenêtres et l’herbe épaisse des murs ondoyait sur sa tête. Désolée est la demeure de Moïna, le silence est dans la maison de ses pères ! etc.

    La comparaison de quelques morceaux d’Ossian avec certains passages des classiques grecs et latins nous fournirait de nouvelles preuves de réminiscences, mais nous nous contenterons de deux ou trois exemples où l’imitation relève visiblement de l’inspiration biblique. Ces rapprochements d’ailleurs ne nous écartent pas de la question qui nous occupe. Ce seraient autant d’arguments contre l’authenticité d’Ossian s’il n’était point étranger à des imitations qui appartiennent en propre à Macpherson, mais qui ne se retrouvent nulle part dans le texte gallic publié en 1807 par la socité écossaise de Londres. Cette circonstance atténue singulièrement les inductions que Malcolm-Laing a tirées de semblables parallèles contre l’existence du poète écossais.

                                                                                                                                             
    Cantique des Cantiques.
    Dar-thula, poème.
       Levez-vous, ô ma bien aimée, mon unique beauté, levez-vous, et venez ! Car l’hiver est passé et les pluies se sont enfin dissipées. Les fleurs sortent de la terre : la voix de la tourterelle s’est fait entendre. Le figuier commence à donner ses premières figues, et la vigne ses fleurs qui répandent une douce odeur. Levez-vous, ô ma bien aimée, mon unique beauté, levez-vous, et venez ! Éveille-toi, Dar-thula ! Éveille-toi, ô la première des femmes ! Le vent du printemps est dehors ; les fleurs secouent leurs têtes sur les vertes collines et les arbres balancent leurs feuilles naissantes etc.
    IIe Livre des Rois.
    v. 25
    Ossian, bataille de Lora.
       Comment les puissants sont-ils tombés dans le combat ? comment Jonathas a-t-il été tué sur vos montagnes ?    Erragon, roi des vaisseaux, ô chef de la lointaine Sora, Comment es-tu tombé sur nos montagnes ? Comment le puissant est-il tombé ?

       Les filles d’Israël s’assemblaient une fois l’année pour pleurer la fille de Jephté de Galaad, pendant quatre jours.    Les filles de Morven la pleuraient (Lorma) tout un jour dans l’année, au retour des sombres vents d’automne.

    IIe Livre des Rois.
    v. 22
    Ossian bataille de Lora.
       Jamais la flèche de Jonathas n’est retournée en arrière ; elle a toujours été teinte du sang des tués, de la graisse des puissants, et l’épée de Saül n’a jamais été tirée en vain.    Mais il est couvert du sang des ennemis, ò sœur de Galmar ! Sa lance et son arc, sans être teints de sang, ne sont jamais revenus de la bataille des puissants.

    v. 23
    Ossian, mort de Cuthullin.
       Ils étaient plus vites que les aigles et plus forts que les lions.    Ta force était semblable à la force des torrents, et ta vitesse pareille à celle des ailes de l’aigle.
  16. About fifteen hundred verses, in words almost the same with the poem of Fingal were transmitted to the highland society. Voyez le rapport de cette société, appendice no 15. Quelle plus forte preuve en faveur de l’authenticité peut-on désirer ? dit J. Sinclair ; n’est-il pas avéré par là qu’une grande partie du poème de Fingal existait dans la tradition orale (diss. p.  LXXV) ? Ailleurs il ajoute, à propos de Johnson qui prétend n’avoir pas trouvé six lignes d’ancienne écriture dans tout son voyage au nord de l’Écosse : « Les préjugés les plus aveugles pourraient seuls porter un homme de sens et de probité ordinaires à publier des assertions aussi peu fondées. Quoique bon nombre de manuscrits gallics soient perdus, il en existe encore plusieurs, et si le docteur Johnson, dans son voyage, avait manifesté le moindre désir à ce sujet, au lieu de six lignes, il aurait trouvé beaucoup de personnes en état de lui réciter six cents lignes de poésie gallique (Diss. p. IV).
  17. Villemain, Cours de littérature.
  18. Cette édition ne donne point le texte de onze poèmes. Il paraît, par un extrait du journal de John Mackenzie, que Macpherson emporta avec lui en Amérique, les originaux gallics d’Ossian ; de sorte que quelques-uns des plus petits poèmes, en partie ou en totalité, ont été égarés. Depuis ils n’ont jamais été retrouvés (Dissert. p. XCI).
  19. La forme du gouvernement chez les Celtes était un mélange d’aristocratie et de monarchie, comme dans tous les pays où les Druides jouissaient de l’autorité suprême. Leur magie et leur divination, leur prétendu commerce avec le ciel joint à leurs connaissances étendues, leur avaient gagné une très-haute réputation parmi le peuple. Ils en profitèrent pour s’emparer peu à peu de la direction souveraine de toutes les affaires civiles aussi bien que religieuses. Des chefs étaient nommés pour faire exécuter les lois, mais le pouvoir législatif reposait entièrement entre leurs mains ; c’était par leur ordre que tes tribus, au jour du danger, se réunissaient sous un seul chef. Ce roi temporaire ou Vergobrète était choisi par eux, et il se démettait de ses pouvoirs à la fin de la guerre, comme les dictateurs chez les Romains. Les Druides jouirent longtemps de ce privilége extraordinaire parmi les nations celtiques. C’est dans le deuxième siècle que leur pouvoir commença à décliner chez les Calédoniens. Les traditions concernant Trathal et Cormac, ancêtres de Fingal, sont remplies de particularités relatives à leur chute.

    Les guerres continuelles des Calédoniens contre les Romains, empêchèrent la noblesse d’entrer, comme auparavant, dans l’ordre des Druides. Les préceptes de leur religion n’étant plus connus que d’un petit nombre d’individus, furent négligés et bientôt oubliés par le reste du peuple. Le Vergobrète fut choisi sans leur concours et continué contre leur volonté. Ce pouvoir continuel affermit tellement son autorité parmi les tribus, qu’il put léguer à sa postérité, comme héréditaire, un pouvoir qu’il n’avait reçu que par élection.

    À l’occasion d’une nouvelle guerre contre le roi du monde (nom emphatique que la tradition donne aux empereurs romains), les Druides, revendiquant les droits de leur ordre, voulurent choisir eux-mêmes le chef suprême. Garmal, fils de Tarno, fut député vers Trenmor qui était alors Vergobrète, pour le sommer au nom de tout leur ordre, de se démettre de sa dignité. Le refus de Trenmor alluma une guerre civile qui se termina bientôt par l’extinction totale des Druides. La destruction des prêtres fut suivie d’un mépris général pour leur religion. L’autorité du Vergobrète qui jusque-là n’avait été qu’élective et temporaire, devint perpétuelle et héréditaire et le nom de Vergobrète fut changé en celui de roi.

    (Tiré de Macpherson).
  20. Macpherson pense qu’Ossian vivait à la fin du troisième siècle et au commencement du quatrième et qu’il est demeuré étranger aux dogmes du christianisme. Il est certain que ses poèmes n’en font nulle part mention. La persécution commencée par Dioclétien l’an 303 est l’époque présumable de l’introduction du christianisme dans le nord de la Bretagne. Le caractère doux et humain de Constantius Chlorus qui commandait alors en Angleterre et dans les Gaules, porta les Chrétiens persécutés à y venir chercher un refuge. Quelques-uns d’entre eux, soit par zèle de prosélytisme, soit par crainte des persécuteurs, sortirent du giron de l’empire romain et vinrent s’établir chez les Calédoniens dont les esprits alors devaient être disposés à de nouvelles doctrines, car le culte druidique était depuis longtemps universellement méprisé.

    Ces missionnaires, ou par choix ou pour donner plus de poids aux doctrines qu’ils soutenaient, prirent possession des cellules et des forêts, anciennes demeures des Druides. De cette vie de solitude leur vint le nom de Culdées (Cultores Dei) nom qui, dans la langue du pays, signifiait : personnes retirées.

    C’est avec l’un de ces Culdées qu’Ossian, dans l’âge le plus avancé, eut dit-on, sur le christianisme une discussion qui existe encore et qui dévoile de sa part la plus entière ignorance des dogmes du nouveau culte ; ceci prouve que le Christianisme venait à peine de s’introduire dans la Calédonie ; car, autrement, comment concevoir qu’Ossian, le premier par son rang et ses lumières, eût complètement ignoré une religion connue depuis quelque temps dans son propre pays.

    (Macpherson).
  21. M. Macpherson, still, however declined sending any considerable part of the original to the press. (disser. p. lxxxix).
  22. Some have thought that Macpherson was not averse to be thought the author of poems which had become so much celebrated and admired throughout Europe (J. Sinclair, dissert. p. lxxvii).
  23. Rapport de la Société highlandaise, p. 139.
  24. Lettre de J. Sinclair aux curateurs de la Bibliothèque des avocats d’Édimbourg.
  25. Aux personnes désireuses de plus amples renseignements nous indiquerons les dissertations de Cesarotti, de Blair, de J. Sinclair, de J. Mac Arthur, etc.