Oxtiern, ou les Malheurs du libertinage/Acte 2

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Chez Blaizot, Libraire, rue Satory. (p. 16-38).

ACTE SECOND.


Scène PREMIERE.


OXTIERN, DERBAC.
Oxtiern.

Cette créature est d’une sensibilité…

Derbac.

Bien piquante, n’est-ce pas ? Elles sont délicieuses, les femmes, quand des larmes viennent ajouter à leurs attraits, tout le désordre de la douleur… Tu es, mon pauvre Comte, ce qu’on peut appeler un être bien corrompu…

Oxtiern.

Que veux-tu, mon ami ? c’est à l’école des femmes où j’ai puisé tous les vices dont je les désole aujourd’hui.

Derbac.

Tu l’épouses au moins ?

Oxtiern.

Peux-tu me soupçonner un instant ce ridicule ?

Derbac.

Mais une fois dans ton château, quelle excuse pourras-tu donner à Ernestine pour légitimer ta conduite ? elle ne souffrira pas que tu vives avec elle comme un amant avec sa maîtresse.

Oxtiern.

Oh ! ses intentions, ses desirs, ses volontés, sont les choses du monde qui m’inquiètent le moins ; mon bonheur, ma satisfaction, voilà le but, il est rempli, Derbac ; et dans une semblable aventure, dès que je suis content, tout le monde doit l’être.

Derbac.

Ah ! mon ami… mon cher Comte, si tu me permettais de combattre un moment des principes aussi dangereux !

Oxtiern.

Non, tu me déplairais sans me convaincre… N’oublie jamais, que ta fortune dépend de moi ; que c’est un agent de mes projets que je veux trouver dans ta personne, et non pas un censeur.

Derbac.

Je me flattais, que ne voyant en moi qu’un ami, tu devais desirer mes conseils… Ce que tu combines est affreux.

Oxtiern.

À tes regards, je le conçois bien ; parce que tu es un être subalterne, plein de préjugés gothiques… dans lequel le flambeau de la philosophie n’a pu porter encore ses rayons… Quelques années à mon école, Derbac, et tu ne plaindras plus une femme, pour un si petit malheur.

Derbac.

L’être sensible et doux, qui plus encore pour notre bonheur que pour le sien, sut placer avec autant de délicatesse, toute sa gloire et toute sa félicité, dans sa vertu, a des droits bien certains à notre amour, à notre protection, lorsque des scélérats l’outragent.

Oxtiern.

Ah ! tu moralises, Derbac.

Derbac.

Eh bien soit ; allons, ne nous occupons que de tes dangers ; n’en vois-tu pas pour toi, dans toute cette affaire ?… Le colonel, le fils du colonel… le jeune Herman, si tendrement aimé de cette charmante fille, ne redoutes-tu rien de tous ces gens-là ?

Oxtiern.

Le colonel est vieux, il se battra mal… il ne se battra point… Son fils n’arrivera jamais jusqu’à moi ; je le fais guetter : (bas) il est mort, mon ami, s’il approche de ma terre. (haut.) Pour Herman les fers dans lesquels je le fais gémir, sont de nature à ne pouvoir rompre ; j’ai eu le secret de l’envelopper dans une affaire d’intérêt, dont il ne sortirait pas sans des fonds, qu’il est bien loin de pouvoir se procurer : il me coûte cher… des faux témoins… des juges corrompus ; je lui défie de se tirer de là…

Derbac.

Et les lois, mon ami, les lois ?

Oxtiern.

Je ne les ai jamais vu résister à la puissance de l’or.

Derbac.

Et cet organe intérieur, où toujours la vertu sut réclamer ses droits… Ta conscience enfin ?

Oxtiern.

Tranquille… parfaitement calme.

Derbac.

Mais la cour, mon cher Comte, cette cour dont tu fais à la fois l’ornement et les délices… Si l’on venait à y apprendre le désordre de ta conduite ?

Oxtiern.

C’est tout ce que je crains de cette fille en fureur ; elle m’a menacée, voilà pourquoi je dois m’en assurer. Souviens-toi de donner des ordres pour que tout soit prêt demain à la pointe du jour ; je veux m’éloigner de Stokolm le plutôt possible. Fabrice devient vertueux, et nous sommes encore trop près de la capitale, pour que je n’aie pas à redouter les remords d’un pareil coquin ; je ne connais rien de plus terrible, de plus humiliant, que l’obligation de ménager ces droles-là quand on en a besoin. C’est le devoir du crime ; mais ventrebleu, mon ami, c’est le supplice de l’orgueil ; pour convertir Fabrice, je lui ai lancé mon valet de chambre ; qui le croirait ? Casimir n’est pas aussi ferme que je l’aurais cru ; tu n’as pas d’idée, mon ami, de l’effet des pleurs d’une fille, sur toutes ces ames faibles et pusillanimes.

Derbac.

Heureusement pour l’humanité, qu’il en est bien peu d’aussi pervertie que la tienne !

Oxtiern.

C’est que je l’ai travaillée, mon ami ; j’ai beaucoup vu, beaucoup senti ; si tu savais où l’on arrive à force d’avoir trop éprouvé !

Derbac.

On fait du bruit, chez Ernestine… C’est Amélie ; on te desire, je le parierais… Heureux mortel !

Oxtiern.

Je te l’ai dit, la seule façon de se faire aimer des femmes, c’est de les tourmenter : je n’en connais pas de plus sûres.




Scène II.


Les précédens, AMÉLIE.
Amélie, au Comte.

Mademoiselle Ernestine, Monsieur, va passer dans cet appartement, pour vous parler quelques minuttes, si vos affaires vous le permettent.

Oxtiern.

En ai-je de plus sacrée… que dis-je, de plus chère, que celle d’entretenir ta belle maîtresse ? Amélie, dis-lui que je l’attends avec l’émotion de l’amour… avec l’impatience de l’amant.

Amélie, surprise mêlée de colère.

Vous, Monsieur ?

Oxtiern.

Moi, mes sentimens te surprennent ?

Amélie.

Oh non, non, Monsieur, non, rien ne m’étonne aujourd’hui de vous ; Mademoiselle va venir, je vais lui dire que vous l’attendez.




Scène III.


OXTIERN, DERBAC.
Derbac.

Cette fille te connaît, mon ami, et je lis sur son visage des impressions qui me développent tous les mouvemens de l’âme de sa maîtresse.

Oxtiern.

Comment peut-on trembler des mouvemens de l’âme d’une femme ? Pauvre Derbac, tes frayeurs me font rire… Allons, retire-toi, veille aux apprêts de notre voyage ; souviens-toi que nous ne sommes pas au port, qu’il faut y arriver, et y arriver sûrement.

Derbac.

Je redoute plus que toi les écueils, et je ne vois pas encore cette affaire là comme finie.

Oxtiern.

Va, ne crains rien : (touchant son front) il y a là dedans plus de ruses qu’il n’en faudrait pour mettre l’Europe entière en combustion ; juges d’après cela si je dois être embarrassé, quand il ne s’agit que d’une intrigue.

Derbac, avec véhémence.

Ah ! mon cher Comte… adieu… puisque tu ne veux en moi, ni des reproches, ni des conseils, tu n’y verras peut-être pas long-tems un ami.

(Il sort.)




Scène IV.

Oxtiern, seul.

Tous ces gens-là me font pitié ; un rien les trouble et les refroidit ; je ne vois mon ame à aucun… Continuons de feindre avec Ernestine… Fille angélique… Il y a quelquefois des momens où ce que tu me fis éprouver vient suspendre mes résolutions… des momens où quand il faut que je trahisse, je ne pense plus qu’à t’adorer. Ah ! bannissons cette faiblesse ; Ernestine est trop outragée pour n’être pas à craindre, et je suis perdu si je la sauve.




Scène V.


OXTIERN, ERNESTINE.
Ernestine.

Quoi qu’il m’en coûte de paraître à vos regards, Monsieur, quelqu’humiliée que je sois devant vous, il faut pourtant que je vous demande, après l’action horrible que vous vous êtes permise envers moi, quelles sont les satisfactions que votre probité peut m’offrir.

Oxtiern.

Est-ce ma probité qu’il faut interroger, Ernestine, quand mon cœur est dans vos liens… quand il vous appartient tout entier.

Ernestine.

Vous n’imaginez pas, sans doute, que ce don puisse faire mon bonheur… Comment est-il que vous me le proposiez… Comment après l’avilissement où vous vous êtes plongé, croyez-vous ce cœur féroce, encore digne de moi ?

Oxtiern.

Vos reproches m’accablent, et d’autant plus que je les ai mérités… Ah ! ne punissez pas aussi cruellement les fautes de l’amour !

Ernestine.

De l’amour… Vous ? Oh dieu ! si c’est là ce que l’amour inspire, que jamais mon cœur n’éprouve un mouvement si capable de dégrader l’homme !… Non, Monsieur, ce n’est point là de l’amour ; ce n’est point là le sentiment consolateur, principe de toutes les bonnes actions… ; pourroit-il conseiller des crimes ?

Oxtiern.

Mon égarement fut affreux, j’en conviens ; mais je vous adorais, et j’avais un rival.

Ernestine, fermement.

Monstre, qu’en as-tu fait de ce rival ?

Oxtiern.

Je n’ai point disposé de son sort.

Ernestine, fermement.

Toi seul me l’as ravi, toi seul dois me le rendre.

Oxtiern.

Ma main ne vous en priva point, Ernestine ; les loix prononcèrent, Herman, est enchaîné par elles, je ne puis qu’employer mon crédit pour adoucir la rigueur de ses fers.

Ernestine.

Eh ! c’est toi qui les a forgés ! comment puis-je m’aveugler au point d’oser t’implorer pour les rompre… Va, je ne te demande rien… Moi t’offrir l’occasion d’un acte généreux… Le moyen de me faire oublier tes horreurs… Tu le vois, je m’égare, Oxtiern… Eh bien, que comptes-tu faire de ta victime ?… Parles, où la conduis-tu ?…

Oxtiern.

Je vous offre, Ernestine, et ma main et mon cœur.

Ernestine.

M’enchaîner à mon bourreau… jamais, jamais.

Oxtiern.

Est-il donc des moyens différens ?…

Ernestine.

Oui, sans doute, il en est… Vous ne les soupçonnez pas, Monsieur ? ignorez-vous qu’il me reste un père ?… un frère ; (avec la plus grande fierté) ignorez-vous que je respire ?

Oxtiern.

Tous ces partis cruels ne serviraient à rien, ils coûteraient du sang, et ne rétabliraient pas votre honneur : celui seul que vous accusez de l’avoir ravi, doit vous le rendre ; devenez son épouse, et tout est oublié.

Ernestine, (avec toute l’énergie possible).

Traître, quelle alliance peux-tu former avec moi, quand tu m’as dégradée ; sans cesse entre l’opprobre et l’humiliation, sans cesse au milieu des chagrins et des larmes, cherchant à captiver mon époux dans des nœuds qu’il n’aurait formés que par devoir. Dis, Oxtiern, quels instans de calme et de félicité pourraient naître pour moi sur la terre ? la haine et le désespoir d’un côté, la contrainte et le remords de l’autre ; les flambeaux de l’hymen ne se seraient allumés pour nous qu’à ceux des furies, les serpens seraient nos liens, et la mort notre unique espoir.

Oxtiern, se précipitant aux genoux
d’Ernestine.

Eh bien ! puisque c’est moi qui la mérite seul, frappe, Ernestine, voilà mon cœur ; verse de tes mains ce sang coupable, il ne mérite plus d’animer l’être assez barbare pour t’avoir aussi cruellement méconnue.

Ernestine, avec plus de force encore,
et le repoussant.

Puisse-t-il se répandre sans mouiller la terre ; il y feroit germer des crimes.

Oxtiern.

Qu’exigez-vous donc, Ernestine, et que puis-je faire pour vous prouver mon amour et mon repentir ?

Ernestine, mépris, colère et force.

Ton amour jamais… Ton repentir, j’y croirai si tu brises les fers dont ta scélératesse a couvert mon amant : vas révéler tes complots aux juges, vas recevoir la mort que tes crimes méritent ; ne charges pas plus long-temps la terre d’un poids qui la fatigue ; le soleil est moins pur depuis qu’il éclaire tes jours.

Oxtiern, fierté contenue.

Ernestine ne pense pas, ce me semble, à la situation où elle est ?

Ernestine, noblesse et énergie.

Tu as raison, Oxtiern ; si je m’en occupais, ou je ne vivrais pas, ou tu serais mort.

Oxtiern.

Quand une femme se croit malheureuse, elle devrait un peu plus ménager celui de qui son destin dépend.

Ernestine, fierté.

Cette femme ne dépend que d’elle ; elle ne se doit qu’à elle ; elle seule réglera son sort.

Oxtiern.

Poursuivons notre route, Ernestine ; demain nous arriverons dans une de mes terres ; peut-être là, réussirais-je à vous adoucir et à vous calmer.

Ernestine, comme ci-dessus.

Non, je ne vais pas plus loin ; c’est malgré moi que tu m’as entraînée jusqu’ici : il faut qu’ici je sois vengée, ou que j’y meure.

Oxtiern.

Ces élans d’une ame en délire vous fatiguent, et ne remédient à rien, Ernestine ; j’attendais de vous moins de haine… une résignation plus entière.




Scène VI.


Cette scène doit marcher très rapidement.


Les précédens, AMÉLIE,
CASIMIR.
Chacun prend son maître à part dans un coin du Théâtre.
Casimir, à Oxtiern.

Monsieur ?

Oxtiern.

Que veux-tu, Casimir ?

Amélie, arrivant un peu après.

Mademoiselle ?

Ernestine.

Viens-tu m’apprendre quelques nouveaux revers ?

Casimir, à Oxtiern.

Un officier arrive dans cet auberge.

Amélie, à Ernestine.

Un militaire que je n’ai pu voir, demande vivement à vous parler.

Oxtiern.

Tache de savoir qui ce peut-être ?

Ernestine, à Amélie, avec un mouvement de joie.

C’est mon père ! il aura reçu mon billet, il arrive !

Casimir, à Oxtiern.

Monsieur, ne vous montrez point ; il est très essentiel que vous ne voyiez point cet homme-là ?

Oxtiern, à Ernestine.

Pardon, des soins importans m’appellent ; puis-je me flatter de vous retrouver un peu plus calme ?

Ernestine, noblesse et fermeté.

Oui, oui, comptez sur moi, Monsieur ; vous ne me verrez jamais au-dessous du caractère que vous devez me supposer… Vous m’avez cru méprisable, sans doute, votre conduite au moins me l’a prouvée ; vous conviendrez bientôt, que je méritais votre estime.

Oxtiern, se retirant.

Ah ! vous mériterez toujours mon cœur.




Scène VII.


ERNESTINE, AMÉLIE.
Ernestine, très rapidement.

Vole, Amélie, savoir quel est cet étranger… Ciel ! si c’étoit mon pere !

Amélie, se retirant avec rapidité.

Puisse-t-il venir terminer tous nos maux !




Scène VIII.

Ernestine, seule.

Ô comble du malheur et de l’impudence ! entre Oxtiern et moi, nous offrons le tableau de l’un et de l’autre ! j’ose défier la main du sort, de placer à la fois sur la terre une créature plus à plaindre que moi, une plus impudente que lui… Il me donne sa main, pour dédommagement des maux où sa méchanceté me plonge… J’acheverais de me flétrir en l’acceptant. Non non, Oxtiern, ce n’est pas ta main que je veux, c’est ta mort ; elle seule peut appaiser l’état où ta férocité me réduisit.




Scène IX.


ERNESTINE, le Colonel FALKENHEIM.
Ernestine, (Elle s’élance vers lui, et s’en
éloigne aussitôt avec effroi.

Mon pere… ah mon pere ! je ne suis plus digne de vous !

Le Colonel.

Qu’entens-je ?

Ernestine, dans la douleur.

Pourquoi m’abandonnâtes-vous, mon pere ? funeste voyage… malheureuses circonstances… Le cruel, il a choisi le tems de votre départ… il m’a trompée ; il m’a donné l’espoir du bonheur que vous balanciez à m’accorder ; et profitant de ma faiblesse, il m’a rendue indigne et du jour et de vous.

Le Colonel.

Ciel injuste ! devais-tu ne prolonger mes jours, que pour me rendre témoin d’une telle horreur ! Il faut que le traître périsse… (Il veut sortir).

Ernestine, l’arrêtant.

Non, non, à moi seule appartient la vengeance, c’est à moi seule à m’en charger.

Le Colonel.

Tes projets m’inquietent !

Ernestine, rapidement.

Ne cherchez-point à les dêméler, ils sont justes… fiers comme l’ame que j’ai reçue de vous… Je vous les apprendrai quand il en sera tems… L’avez-vous vu, mon pere ? a-t-il osé se présenter à vous ?

Le Colonel.

Il s’en est bien gardé ; un seul de mes regards l’eut fait rentrer dans le néant.

Ernestine.

Mon billet vous a donc appris ma fuite ?

Le Colonel.

Lui seul a pressé mes démarches.

Ernestine, rapidement.

Ah ! mon pere, pûtes-vous me soupçonner un instant ?

Le Colonel.

Jamais ; mais tu ne laissais point de défenseurs !/p>

Ernestine.

Les malheureux en trouvent-ils ? Oxtiern est riche, il a du crédit, nous étions vertueux et pauvres… Oh oui, mon pere, oh oui, il devait avoir raison… Et le malheureux Herman, en avez-vous appris quelque chose ?

Le Colonel.

On m’a parlé d’une banqueroute, dans laquelle il est envelopé ; cette misérable affaire, m’a-t-on dit, ne peut finir qu’avec beaucoup d’argent, et nous n’en avons point.

Ernestine, à part.

Oxtiern, Oxtiern, voilà donc comme tu te venges d’un rival !

Le Colonel.

Ah ! que n’ai-je consenti à votre hymen ! mes refus cruels sont cause de tout !

Ernestine.

Vous les avez cru justes ; n’est-ce pas tout ce qu’il me faut, pour me faire oublier le mal qu’ils m’ont fait : qui peut mieux que l’auteur de nos jours, juger de ce qui nous convient… Pardon, mon pere ; je vous conjure de vous retirer un instant, je n’ai pas une minute à perdre ; nous partons à la pointe du jour pour le château du Comte, demain je suis peut-être enchaînée pour jamais, si je ne me dégage aujourd’hui… Évitez Oxtiern, ne le voyez point… Fabrice, l’hôte de cette maison, me paraît un homme sûr ; ordonnez-lui de vous soustraire à tous les yeux, et laissez-moi le soin du reste.

Le Colonel, inquiétude.

Fabrice n’était point ici quand je suis arrivé ; on m’a dit qu’il était à Stokolm, qu’une affaire essentielle l’y attirait ; mais qu’on l’attendait avant la fin de la nuit.

Ernestine, troublée.

Fabrice parti… Me serais-je trompée ! à Stokolm, que va-t-il y faire ? Est-ce par ordre du Comte ? il le connaît depuis long-tems !… De quel nouveau lien vais-je être environnée ? tout me surprend ! tout m’effraye !

Le Colonel, noblesse et force.

Rassure-toi, mon Ernestine, ton pere ne t’abandonnera plus ; chère et malheureuse enfant, ou nous triompherons ensemble, ou nous serons annéantis dans les bras l’un de l’autre. Adieu ; qu’Amélie m’avertisse au moindre besoin que tu auras de moi ; et souviens-toi que le petit-fils de l’ami de Charles XII, ne saurait animer qu’un être fait pour soutenir l’honneur et la gloire de sa famille.




Scène X.

Ernestine, seule.

Non, il n’est qu’un seul moyen de me satisfaire, Oxtiern ; c’est mon sang qu’il faut que tu répandes, ou le tien qu’il faut que je verse jusqu’à la dernière goute… Écrivons. (Elle se place près de la table, et lit à mesure qu’elle écrit). Un honnête homme n’outrage point impunément une fille vertueuse ; vous connaissez les lois de l’honneur, accomplissez-les ; l’adversaire que je vous offre est digne de se battre avec vous ; le jardin de cette hôtellerie vous servira de champ, les armes seront vos épées ; rendez-vous ce soir à onze heures à l’endroit que je vous indique ; un jeune homme vêtu de blanc, se présentera devant vous ; attaquez-le fermement, il vous répondra de même ; songez qu’il faut que l’un des deux périsse, Oxtiern, soyez aussi brave que vous avez été vil ; à ce seul prix, Ernestine vous pardonne. Adieu. (Elle cachete son billet, puis elle sonne).




Scène XI.


ERNESTINE, AMÉLIE.
Amélie, précipitamment.

J’accours à vos ordres, Mademoiselle.

Ernestine, rapidement.

Va porter ce billet au Comte… prends garde qu’il ne voye mon père… Attends, je vais me retirer ; tu feras venir le Colonel dans cette chambre et tu le prieras d’y rester, pendant que tu iras porter mon billet ; cette commission, Amélie, est aussi importante que secrette, n’en oublie pas la plus légère circonstance. (Elle sort).




Scène XII.

Amélie, seule.

Ce billet m’inquiete ; l’air dont elle me l’a donné, quelques discours qu’elle m’a tenu tantôt de son frere, je gage qu’elle le fait avertir de se rendre ici, qu’elle va l’opposer au Comte… Prévenons le Colonel… ce sont ses enfans ; je ne me pardonnerais pas de lui avoir caché ce que je soupçonne. Que de malheurs, grand Dieu ! peuvent entraîner les odieuses manœuvres d’un scélérat. (Elle va pour sortir, et rencontre le Colonel).




Scène XIII.


AMÉLIE, LE COLONEL.
Amélie.

Ah ! Monsieur, Mademoiselle votre fille vous supplie de rester un moment dans cette chambre, pendant que je vais porter au comte Oxtiern l’important billet que voici.

Le Colonel.

Que contient ce billet ?

Amélie.

Je l’ignore ; mais il faut que ce qu’il renferme soit très-important ; car Mademoiselle me l’a recommandé d’une manière très-pressante.

Le Colonel.

Et tu n’imagines rien ?

Amélie.

Pardonnez-moi, je crois qu’il s’agit d’un duel, Monsieur votre fils… Mademoiselle votre fille… le Comte Oxtiern…

Le Colonel.

Mon fils ? explique-toi donc, je ne t’entends pas.

Amélie, vivement.

Monsieur, je parierais que Mademoiselle votre fille appelle son frère à la vengeance ; qu’elle l’oppose au comte Oxtiern provoqué au combat par ce billet ; que ces deux hommes vont se battre… Oh ! Monsieur, ne serait-il pas d’autres moyens de punir un tel attentat, sans exposer les jours de votre fils ?

Le Colonel.

Sans doute il en est d’autres… il en est d’autres assurément… N’importe… va remettre ce billet ; exécute ce que t’a prescrit ta maîtresse, et compte sur mes soins pour terminer ces débats comme ils doivent l’être. (La rappelant avec impatience.) Amélie, si mon fils venait… s’il approche de cette maison, qu’il ne parle à personne… qu’on me l’amène sur le champ ; donne sur cela les ordres les plus précis.

Amélie, sortant.

Oui, oui, Monsieur, soyez tranquille ; je sens toute l’importance de cette recommandation.




Scène XIV.

Le Colonel, seul.

Mon fils ne se battra point, c’est à moi seul à laver cet outrage… Ô ma fille, ma fille, ta défense ne regarde que moi… je mesurerai mon courage avec celui de cet homme atroce ; et nous verrons, si cette main exercée au combat… conduite par la plus légitime vengeance, aura pour guide le Dieu qui protège l’honneur ! Allons faire part de ces résolutions au perfide Comte, mais déguisons-les à ma fille… Je veux qu’elle n’apprenne le combat que par mon triomphe… Oui, mon triomphe, il est sûr ; c’est un monstre que je vais punir ; et la providence est trop sage pour laisser écraser la vertu sous les perfides attentats du vice et de la scélératesse.


Fin du second acte.