Pédagogie sportive/II/IV

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Les Éditions G. Crès et Cie (p. 100-105).

Hygiène sportive.

On a calculé que l’homme en état de travail musculaire intense se trouvait par rapport à l’homme au repos, en ce qui concerne la quantité d’air respirable qui lui est nécessaire, comme 1 est à 28. Cet écart représente, si l’on peut ainsi dire, la puissance de la soif d’air qu’éprouve l’athlète. D’où il résulte que la première loi de l’hygiène sportive est une loi d’aération des locaux. Dès qu’il s’agit d’un sport ne pouvant avoir lieu en plein air, nul local ne peut satisfaire pleinement aux conditions désirables s’il demeure clos pendant l’exercice.

La seconde loi est beaucoup moins connue ; en fait, elle est à peine proclamée encore. C’est la loi du dételage. L’homme moderne vit au centre d’une civilisation dont le caractère de plus en plus trépidant l’affaiblit en le surexcitant. Heureusement il trouve dans l’exercice sportif un antidote qui le fortifie et l’apaise en même temps. Mais c’est à condition d’éviter, en s’y livrant, la superposition d’un surmenage à un autre. Or ce second surmenage ne risque point, à moins d’excès toujours faciles à éviter, de se produire musculairement mais bien nerveusement par suite de la hâte fébrile apportée de nos jours dans la pratique de toutes choses et des sports comme du reste[1]. De là cette règle essentielle, bien que peu observée encore[2], de l’intervention du dételage (ou repos animal), complet avant et surtout après l’activité sportive intense : une sorte de matelas d’immobilité à intercaler entre le sport et la vie ordinaire. Quelques instants y suffiront ; encore faut-il que l’homme « sache » dételer. Il y faut l’apprentissage car, chez lui, bien que l’immobilité corporelle s’étende aussitôt au cerveau, il advient qu’au contraire elle entretient ou accroît l’agitation mentale. Le retour à la nature contrariée (aussi sur ce point) par les excès de la vie intellectuelle s’opèrera chez l’individu par volonté et persévérance avec l’aide de l’allongement total, du silence et d’une atmosphère propice. Tout athlète qui s’imposera d’encadrer ainsi sa pratique sportive y trouvera la source d’un merveilleux renouvellement de tout son être et même un adjuvant au perfectionnement technique. Mais, présentement, il y aura quelque mérite ; rien n’est prêt dans les établissements de sport pour le lui faciliter : le « tepidarium » moderne n’a encore été prévu nulle part.

L’hydrothérapie est le complément obligatoire de l’exercice sportif ; elle se présente comme tel sous trois formes : le bain de pleine eau, le tub, la douche. Le bain en baignoire ne vaut rien, il est affaiblissant et un homme y perd son temps ; la douche en pluie vaut cent fois mieux ou bien le tub. Remarquons que le tub, après l’exercice, peut se prendre en plein air : un seau d’eau et une grosse éponge d’écurie avec le gazon pour plancher, constituent le plus parfait confort pour un sportif. La douche se donne en jet ou en pluie ; la première, compliquée comme installation et pour laquelle il faut l’intervention d’un doucheur, a pris un caractère de plus en plus médical ; la seconde, d’installation facile, se répand bien qu’avec une lenteur inexplicable ; à l’heure actuelle, il ne devrait pas y avoir une école, une caserne, une usine qui n’en fussent pourvues. Quant au bain de pleine eau (mer, lac, rivière), il est handicapé par une série de préjugés anciens et fortement enracinés : celui de la saison d’abord, celui de la latitude ensuite et encore celui de la réaction[3]. Il faut citer les « rari nantes » d’Italie, les organisateurs des matchs de la Serpentine à Londres et de la coupe de Noël à Paris, enfin et surtout les Scandinaves parmi les bons ouvriers de la lutte contre ces préjugés. Ils prouvent victorieusement chaque année qu’il n’est point de saison absolue pour le bain de pleine eau de l’homme bien portant non plus que de latitude et que, d’autre part, la réaction dépend de l’organisme dont elle mesure la puissance et non de la température extérieure. — Ceci dit, il convient d’observer que l’hydrothérapie est un agent des services duquel on ne doit jamais abuser. Mettant à part les lavages et les savonnages dont l’athlète principalement ne risque point de faire abus, il lui sera recommandé de résister à la tentation de se procurer plus d’une réaction hydrothérapique par jour. Bien entendu, le bain-douche n’est pas visé par cette prescription mais le tub à l’eau froide ou à l’eau très chaude[4] doit être considéré comme provoquant la dite réaction. Faut-il envisager tous ces soins donnés au corps comme un souci de décadence ? Un écrivain français l’a prétendu il y a une quinzaine d’années : « C’est le propre, disait-il, des générations moribondes de vivre dans une angoisse perpétuelle de la maladie et d’attacher aux soins physiques une importance excessive[5]. » Or les deux termes de cet aphorisme sont contradictoires. Les hommes qui entretiennent jalousement leurs corps sont presque toujours des bien-portants et ils n’ont pas l’angoisse de la maladie ; ils ont la passion de la force et de la santé. Certes une certaine rudesse est nécessaire à l’humanité. Mais la rudesse ignorante des premiers âges et la rudesse intelligente des époques civilisées ne sont point sœurs ; elles ne sont que cousines.

À côté de l’hydrothérapie, il faut placer l’aérothérapie[6], c’est-à-dire le bain d’air. Le bain d’air ne sera jamais mieux pris par le sportif qu’au cours de ses exercices. Mais s’il peut courir, sauter, grimper, lancer, ramer et boxer sans vêtements autres qu’un léger caleçon, l’escrimeur, le cavalier, le cycliste, le patineur restent en dehors de ce bénéfice. Or le bain d’air leur importe comme aux autres non seulement parce qu’il est sain et reposant, parce qu’il oxyde le corps et détend l’esprit mais parce qu’il apporte un concours certain au perfectionnement technique. Tout garçon, tout jeune homme (sinon tout adulte) qui s’entraînent à un sport sans vêtements y progressent plus vite que celui qui s’entraîne vêtu ; est-ce en raison de l’aisance absolue, de la possibilité complète d’extension assurées à leurs mouvements ? La chose n’est pas encore très claire mais le fait est là, que confirment déjà de multiples expériences.

Il ne faut pas confondre l’aérothérapie avec l’héliothérapie ; le bain de soleil proprement dit relève de la médecine ; c’est un remède violent avec lequel on ne doit pas plaisanter et dont les effets peuvent être nocifs ; le bain d’air au contraire, qu’il soit pris dans l’air ensoleillé ou bien dans l’air nocturne, convient (avec quelques précautions d’accoutumance et à condition de n’y point demeurer immobile) à toute personne bien portante et surtout à tout athlète.

On s’étonnera peut-être de ne pas trouver ici de conseil ou de préceptes précis relatifs à l’alimentation. C’est bien une question d’hygiène sportive mais qui a conduit à beaucoup d’errements. D’un côté, on s’est disputé entre « carnivores » et « végétariens ». Vers 1907, une sorte d’épreuve-expérience a eu lieu à Berlin. Un cross-country mit aux prises des concurrents appartenant aux deux catégories. Les végétariens s’enorgueillirent de leur victoire et du fait que parmi les vainqueurs figuraient un homme de 31 ans et un autre de 28. Mais en différentes circonstances la revanche semble avoir été prise. Nous ne voyons aucun intérêt à cette querelle. Il paraît tout simple qu’il y ait des athlètes végétariens et si l’humanité en arrive quelque jour à ne se nourrir que de légumes et de pâtes, il est fort possible qu’elle ne s’en porte pas plus mal. Un second aspect de la question, du point de vue sportif, c’est l’alimentation très spéciale à laquelle, à l’exemple de l’Angleterre, on a cru longtemps nécessaire de soumettre ceux qui s’entraînent, proscrivant pour eux des quantités d’aliments et établissant une sorte d’ascétisme des exagérations duquel les plus fanatiques eux-mêmes sont en train de revenir. Nous pensons que tout cela ne reposait sur rien de probant et que le succès de l’entraînement dépend à cet égard d’une formule beaucoup plus large et beaucoup plus claire qui se résume en deux mots : aucun excès.

  1. Voir dans Essais de Psychologie sportive les chapitres intitulés : La chaise-longue de l’athlète — Savoir dételer — Le sport peut-il enrayer la névrose universelle ?
  2. Bien des Anglais l’ont dès longtemps découverte et appliquée empiriquement sans en tirer de théorie.
  3. Voir la Revue Olympique de septembre 1907.
  4. Voir la Revue Olympique de mars 1914 à propos de l’Hydrothérapie japonaise.
  5. Répondant à cet écrivain, la Revue Olympique (janvier 1906) disait notamment : « Les Grecs jadis, les Anglo-Saxons, les Scandinaves, les Japonais de nos jours comptent parmi les peuples qui ont attaché le plus d’importance aux soins physiques et par contre, nous n’apercevons pas qu’aux approches des périodes de déchéance, ceux qui ont connu de mauvais jours comme les Italiens, les Espagnols ou les Polonais aient été, le moins du monde, férus d’hygiène ».
  6. Voir la Revue Olympique de mars et avril 1912.