Pédagogie sportive/II/III

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Les Éditions G. Crès et Cie (p. 71-100).

Caractère spéciaux de chaque sport.

Ce qui suit, étant donné l’étendue du sujet, ne constitue le plus souvent que des Notes, des en-têtes de paragraphes dont chacun devrait être l’objet d’un développement particulier.

Sports athlétiques.

Cette appellation donnée à une certaine catégorie d’exercices sportifs est erronée. Un rameur, un boxeur, un footballeur, un voltigeur à cheval sont d’aussi beaux types d’athlètes qu’un coureur à pied ou un sauteur à la perche. Mais d’Angleterre est issue au xixe siècle, et s’est ensuite répandue dans tout le monde anglo-saxon, l’habitude de grouper sous la dénomination d’« Athletic sports », la course à pied, certains sauts, le lancer du boulet, auxquels est venu s’ajouter un exercice un peu enfantin, la lutte à la corde par équipes (tug of war). Peu à peu la course de relais, le lancement du javelot pratiqué en Suède et — depuis les Jeux Olympiques d’Athènes en 1896 — le lancement du disque et la course de Marathon, ont corsé le programme sans lui enlever son caractère d’étroitesse et d’exclusivisme.

La course est « le trot de l’animal humain ». Donc l’homme qui ne peut pas courir est un homme incomplet. ▬ Le mécanisme de la course est simple mais il comporte une modification complète de l’équilibre corporel : d’où la « surprise » de l’organisme désorienté par l’ensemble de conditions nouvelles brusquement imposées[1]. De là aussi la nécessité de se mettre au pas de course très fréquemment, presque quotidiennement, si l’on ne veut pas en devenir rapidement incapable. Aucun exercice ne présente une pareille rapidité de désaccoutumance. ▬ La course est classée : vitesse, demi-fond et fond selon l’allure, elle-même dépendante de la distance à parcourir ; elle est artificielle ou naturelle selon qu’elle emprunte un terrain non préparé ou bien une piste gazonnée ou cendrée, spécialement établie et entretenue ; enfin elle est plate ou à obstacles selon la nature du parcours. Ces obstacles eux-mêmes peuvent être naturels (barrières, haies, fossés) ou bien simulés et simplement posés sur le sol pour être plus facilement renversables. ▬ La course est un exercice rythmé, dans son principe du moins : ce rythme est poussé au degré le plus parfait dans le 110 mètres haies où la concordance absolue qui doit s’établir entre la course et le saut oblige l’athlète à une coordination de mouvements très remarquable. ▬ Le coureur est un calculateur ; à tous moments il lui faut connaître le Doit et Avoir de ses forces, sentir ce qu’il a dépensé et ce qu’il lui reste à dépenser de façon à tirer le maximum d’un effort bien réparti.

Le saut se prend avec ou sans élan, avec ou sans perche. Il comprend quatre modalités principales : sauts en longueur et en hauteur ; sauts vertical (de bas en haut) et en profondeur (de haut en bas)[2]. Tous ces sauts peuvent être exécutés avec la perche et non pas seulement le saut en hauteur[3]. ▬ Le saut demande de l’expérience, du jugement et de la décision. Le pire ennemi du sauteur, c’est l’hésitation. Il doit, d’un coup d’œil, apprécier au préalable la totalité de l’effort à fournir ; impossible de réviser son appréciation en cours d’exécution ; si elle est erronée, le sauteur s’en aperçoit en sautant et trop tard pour la corriger. ▬ La conséquence est qu’au rebours d’autres sports dans lesquels l’insuccès est un aiguillon nécessaire, son influence est, ici, néfaste. Aussi doit-on régler la progression avec prudence de façon à éviter les insuccès répétés qui feraient naître la « peur mécanique »[4]. ▬ Il est à peine besoin d’indiquer qu’à aucun moment et sous aucun prétexte l’emploi du tremplin n’est recommandable ; c’est un engin propre à détériorer le sauteur en donnant à ses muscles de mauvaises habitudes. À éviter aussi la cordelette tendue pour le saut en hauteur ; jamais complètement horizontale, elle habitue l’œil à de fausses évaluations. Quant au saut « à pieds joints », sa valeur éducative est des plus discutables.

Le lancer comporte trois phases : la prise, la pose, la détente. De la façon dont l’objet à lancer se trouve placé dans la main et de l’attitude du lanceur au moment où la détente va s’effectuer dépend en grande partie le degré de la force de propulsion. Aussi ce sport exige-t-il beaucoup d’expérience personnelle. C’est à chacun, tout en observant les règles générales dont l’application est nécessaire à trouver la formule personnelle conforme à sa structure particulière et capable d’assurer avec l’aide de l’entraînement, le meilleur rendement. Le lanceur procède donc par tâtonnements et doit beaucoup s’observer et se contrôler ; il n’a d’ailleurs rien à craindre de ses nerfs spectateurs presque indifférents de son geste. ▬ Nous avons pris aux Anciens l’usage de lancer le disque et le javelot ; les Anglais y ont ajouté le lancement du poids, grosse boule de métal, pesant un poids déterminé. Jusqu’ici on a laissé de côté le lancement de la corde ou lasso, aussi utilitaire que corporellement éducatif ; le lasso se manie très diversement, de haut en bas, de bas en haut, obliquement, etc. ▬ Tous ces lancers[5] se font sans viser et de pied ferme : c’est la règle. Double erreur. On devrait avoir des concours de lancer au visé avec la balle sur une cible et au lasso sur un but, immobile ou non. Ces mêmes concours devraient avoir lieu de pied ferme et en se mouvant à pied ou à cheval, exactement comme les sauts ont lieu avec ou sans élan. Enfin il conviendrait d’opérer le lancer avec les deux mains successivement. ▬ Lancer avec la main ne suffit pas ; on devrait aussi lancer avec le pied, exercice très propice à développer l’habileté corporelle ; le foot-ball, il est vrai, y supplée.

De ce qui précède, il résulte que les sports dits « athlétiques » présentent actuellement un programme de courses très complet, un programme de sauts incomplet et un programme de lancers tout à fait insuffisant.

Sports gymniques.

Les exercices d’ensemble ne répondant pas, en général, à la définition du sport sur laquelle nous basons nos études, il n’y a pas lieu de s’en occuper ici sans que cela implique d’ailleurs une mésestimation de leur importance et de leur valeur éducative. Les sports gymniques se trouvent ainsi ramenés à deux catégories seulement : les exercices aux agrès et le travail des poids et haltères.

Les principaux agrès utilisables pour les concours sont : la corde lisse, la barre fixe, les barres parallèles, le cheval, les anneaux et le trapèze. Ces deux derniers engins, au cours de la campagne violemment hostile menée contre la gymnastique vers la fin du xixe siècle, ont été peu à peu abandonnés. Du point de vue sportif, qui est celui auquel nous nous plaçons ici, cette campagne est injustifiable. L’accusation d’artificialisme peut aussi bien être portée contre le discobole ou le coureur de bobsleigh que contre le gymnaste aux anneaux ; et le sauteur à la perche en hauteur n’est pas moins « acrobatique » que le travailleur de barre fixe. Quant au trapèze volant, c’est un sport où l’élégance le dispute à la hardiesse. ▬ La corde lisse et la barre fixe représentent les exercices de grimper lesquels se ramènent à un mouvement fondamental, la traction de bras, combiné avec trois autres qui sont : l’adhérence, le renversement et le rétablissement. Ces trois formes d’escalade constituent l’ABC du sauvetage. La caractéristique psychologique de l’escalade est inverse de celle du saut. Ici la difficulté n’est pas au départ mais en route. Ce ne sont plus le jugement et la décision du début qui importent mais la persévérance et le sang-froid prolongés. ▬ Les exercices aux agrès susceptibles de variations et de complications multiples sont malaisés à codifier et, partant, à juger dans un concours. Mais, du point de vue de leur sportivité, cela ne les rend aucunement inférieurs ; ils restent essentiellement sportifs.

Malgré que l’abus qu’en ont fait les cirques forains ait tendu à discréditer le travail des poids et haltères, il n’en apparaît pas moins comme un sport véritable qui a toujours été pratiqué par l’homme. Quiconque s’y est essayé, même avec des poids anodins, comprend que l’adresse et l’équilibre y ont presque autant de part que la force. ▬ Les poids se manient de diverses façons : au jeté, l’athlète élève le poids à la hauteur de l’épaule puis, en se fendant, le projette en l’air par une brusque détente du bras ; au développé, il commence par l’épauler et lentement le dresse au-dessus de lui ; à l’arraché, il l’enlève directement du sol ; à la volée, il le balance entre les jambes pour l’élever par un vigoureux effort des reins. À deux mains, on manie la barre à sphères ou la « gueuse ». ▬ En général, pour exceller dans ce sport, il faut s’y entraîner avec beaucoup de persévérance, en soulevant quotidiennement des poids légers et moyens ; le prodige s’y prépare par la répétition de gestes mesurés.

Sports de défense.

Les sports de défense comprennent les escrimes et le tir. Il y a deux sortes d’escrimes ; l’escrime sans armes et l’escrime armée. La première comprend la boxe (boxe anglaise et boxe française) et la lutte (lutte européenne et jiu-jitsu). La seconde se pratique avec le fleuret, l’épée, le sabre et la canne. L’essence psychologique des escrimes réside dans l’aspiration à atteindre l’adversaire. Chaque effort tend à ce but à tel point que l’homme s’énerve s’il demeure trop longtemps sans y réussir. C’est pourquoi l’offensive doit dominer l’enseignement ; la défensive s’apprend surtout par l’expérience : un enseignement défensif est mauvais. Ce principe général est applicable à toutes les formes d’escrime. ▬ Autre généralité : les escrimes, armées et non armées, ne s’opposent ni ne se remplacent l’une l’autre ; elles se complètent en se succédant. « Prenez un homme armé d’une canne et que l’on attaque dans la rue. Va-t-il débuter par jeter sa canne pour se servir de ses poings ? Ce serait folie. Il recourra à ses poings si sa canne casse ou lui échappe. Ainsi il aura ses deux lignes de défense bien établies, l’une derrière l’autre. La canne, quand on sait en jouer, est une arme redoutable et tous devraient apprendre à la manier. De même un homme qui tient un sabre va-t-il le lâcher pour donner des coups de pied sous prétexte que ses « chassés-bas » sont de premier ordre ? Il commence par utiliser le fer et ne se mettra à « ruer » que s’il se trouve ensuite désarmé.[6] »

La boxe anglaise, devenue la boxe tout court, a évolué grandement depuis quarante ans. Autrefois le boxeur prenait son point d’appui sur le sol, cherchant en quelque sorte à s’y enraciner ; l’agilité ne commençait qu’à la ceinture : attaques, parades, ripostes se succédaient en « phrase d’armes ». Par la suite, le volume du poing revêtu d’un gant mieux fabriqué et très diminué, se rapprocha davantage de la nature et ainsi la parade tendit à se voir plus souvent remplacée par l’esquive[7] avec coup d’arrêt. Survint alors la méthode américaine actuellement en vigueur. Désormais le boxeur est en continuel déplacement, tournant autour de son adversaire, semblant danser devant lui pour le dérouter, puis fonçant le bras raccourci, de façon que toute la force de l’épaule vienne accroître la puissance du coup porté. En lui tout est vitesse : travail des jambes, détente des bras, pivotage du torse. Les coups se succèdent en pilage ; impossible de les détailler, même de les esquiver tous ; il faut s’accoutumer à les « encaisser » sans broncher. ▬ En évoluant de la sorte, la boxe n’a pas perdu les qualités qui la distinguaient ; elle reste un exercice dont l’intensité assure le maximum d’effort dans le minimum de temps ; l’intérêt de la leçon y approche presque celui de l’assaut ; elle est, de tous, l’exercice qui exige le moins comme emplacement, vêtements et engins. Enfin, malgré sa violence, son caractère d’équilibre corporel en rend la pratique recommandable tôt et tard dans la vie ; elle convient déjà à l’adolescence et encore à l’homme mûr. ▬ Son caractère apaisant provient de ce qu’elle ne comporte jamais de « retenue » ; le boxeur met toute sa force dans chacun de ses coups (un coup de poing retenu ne rime à rien) et se « donne » à chaque instant tout entier. ▬ La boxe n’a contre elle que de servir d’occasion à de déplorables exhibitions, où un public avide d’émotion exacerbe les combattants dans l’espoir de les voir arriver au « knock out ».

La boxe française a évolué en sens inverse de la boxe anglaise ; d’exubérante, elle est devenue beaucoup plus sobre. Elle n’a pas renoncé au « coup de pied de figure » comme procédé d’entraînement mais elle en a reconnu l’inefficacité comme moyen de combat ; à plus forte raison a-t-elle abandonné sa légendaire « leçon sur les quatre faces » par laquelle elle se figurait jadis pouvoir enseigner à un homme à repousser l’attaque simultanée de quatre adversaires l’encerclant. Elle se limite aux coups de pied susceptibles de tenir un assaillant à distance, de le déconcerter, de le déséquilibrer sans nuire pour cela à la force et à la justesse du coup de poing demeuré l’argument décisif. Seulement, mêlant désormais l’un à l’autre dans un sage éclectisme, on se demande pourquoi elle s’obstine à ignorer le coup de poing à l’américaine si propre à compléter sa valeur combative. Le jour où le boxeur français l’encartera dans son jeu, il sera devenu extrêmement redoutable en même temps qu’il aura réalisé la plus merveilleuse gymnastique d’entraînement qui se puisse concevoir.

La lutte, elle, n’a guère subi de transformation depuis les âges les plus reculés ; elle était alors conventionnelle ; elle l’est encore et le restera toujours, mais cela n’est pas pour diminuer son mérite sportif qui est grand. Elle débute debout et se poursuit à terre ; renverser l’adversaire puis le terrasser constituent ses deux phases éternelles. C’est un exercice d’homme fait qui met en jeu toutes les forces de la machine humaine, combinant l’action et la résistance à un degré tout à fait rare.

Le jiu-jitsu pourrait être considéré comme une variante de la lutte s’il ne présentait certaines particularités auxquelles il faut s’arrêter un moment. Jadis, dans l’ancien Japon, on désignait sous ce nom l’ensemble des luttes sans armes auxquelles s’entraînaient les « samourai », et qui constituaient une manière de système d’éducation physique. Avec la diffusion des armes à feu, la vogue en avait tout à fait passé lorsqu’en 1882 le professeur J. Kano en entreprit à la fois la restauration et le rajeunissement. Ainsi naquit le Judo actuel. Du Kodokwan (Institut supérieur de Tokyo) son succès a rayonné sur tout l’empire. Or le Judo, contrairement à ce que croient encore bien des gens, n’a rien d’un art mystérieux dont les secrets seraient jalousement gardés mais il apporte une donnée nouvelle dans un domaine qu’il a préalablement perfectionné. Tout bon professeur de lutte est capable d’enseigner à ses élèves non seulement quels sont les endroits sensibles du corps, endroits sur lesquels une pression ou une torsion opérées à point réduiront l’adversaire à merci, mais encore par quelles ingénieuses applications de la mécanique on arrive à « créer » des endroits sensibles. Pour y réussir, il faut dans les doigts et la main de la précision. La patience japonaise parvient à donner à cet instrument humain une force et une justesse incomparables[8]. Mais, avant d’en arriver là, il faut s’être « emparé » de l’adversaire et déjà le dominer ; cela suppose la possession du secret de son équilibre de façon à pouvoir appliquer la force dans le sens où il tend à se déséquilibrer et jamais en sens inverse. Tout le Judo est là ; il vise à développer une sorte de « perception par le corps » dont la subtilité devient telle que, même dans l’obscurité, le plus léger contact renseignera le lutteur sur le centre de gravité de son adversaire. On conçoit qu’une pareille science ne puisse naître rapidement et qu’au Kodokwan, on demande plusieurs années pour former un bon élève.

Que si nous passons maintenant à l’escrime armée, nous la trouvons dominée — quelles que soient d’ailleurs l’arme employée et la méthode appliquée — par certaines conditions générales provenant de la structure même de l’homme en garde. Chez celui-ci, la main représente en quelque sorte le pont-levis de la forteresse dans laquelle il s’abrite et d’où il opérera ses sorties. À l’intérieur, les forces sont mobilisées comme une armée ; le bras constitue l’active ; les jambes, la réserve appelée en même temps, mais partant en seconde ligne ; le reste du corps, la territoriale. À toutes trois il faut ménager constamment une retraite bien couverte et bien ordonnée. De là, les feintes, les pièges tendus, les « temps » marqués à propos, les attaques esquissées et brusquement modifiées, tout l’ensemble de savantes et fines manœuvres qui exigent une perpétuelle retenue des forces et expliquent à la fois la complexité raffinée de l’escrime, la tension nerveuse qu’elle provoque et le caractère de la fatigue qu’elle peut arriver à produire.

Le fleuret, arme légère, qui s’interdit chevaleresquement de toucher ailleurs qu’à la poitrine est particulièrement apte à préparer le tireur de pointe auquel sa position effacée et l’action mécanique de son allonge imposent, en raison de leur caractère anormal, un travail préalable opiniâtre ; la leçon de fleuret représente pour l’escrimeur ce qu’est l’exercice des gammes pour le pianiste. On ne peut s’en passer pour progresser. ▬ Cette leçon devrait toujours être prise des deux mains en commençant par la gauche (par la droite si l’on est gaucher) de façon à maintenir l’équilibre corporel que l’escrime tend à détruire.

L’épée introduit la possibilité d’un jeu de force auquel le tireur de fleuret ne recourra jamais sans se condamner à la médiocrité ; l’épéiste, lui, s’y risquera sans dommage si son tempérament et ses moyens l’y inclinent ; par là, bien plus que par des différences conventionnelles dans le système de toucher, le fleuret et l’épée divergent et, si l’on peut ainsi dire, « leurs génies s’opposent ».

Le sabre est à la fois arme de tranchant et arme de pointe et celui qui le manie est porté à hésiter entre ces deux qualités, ou plutôt à les sacrifier l’une à l’autre. La nature impose la première[9] mais la réflexion suggère de ne pas négliger la seconde ; de leur connaissance naît une escrime variée et entraînante, un peu fantaisiste, prompte aux coups doubles, plus vigoureuse mais sensiblement moins fine que celle du fleuret ou de l’épée.

Cette escrime, la canne en présente comme un raccourci préparatoire à condition toutefois que l’arme utilisée soit rigide et non mince et flexible comme un jonc ; il y aurait peu à en dire si l’on ne devait signaler les nouveautés enseignées par le professeur Pierre Vigny, de Genève, concernant la garde et certains coups utilitaires[10]. De la rapière et du bâton, il ne paraît pas opportun de parler ici.

Les différentes formes d’escrime armée présentent un inconvénient au point de vue de l’hygiène, celui du costume qu’elles imposent ; il y faudrait du moins remédier par une aération renforcée, à défaut de plein air complet. Or les salles d’armes sont, par tradition, des endroits clos et souvent resserrés où l’air ne pénètre qu’à grand peine. ▬ Une dernière question à propos de l’entraînement dans le vide ; il n’est jamais à recommander aux débutants et, pour les autres, ne doit être employé que devant une grande glace permettant à l’œil de contrôler tous les mouvements ; sous bénéfice de cette observation, le fleurettiste peut trouver utile d’entretenir son allonge en tirant au mur et le boxeur de se faire les poings sur un gros sac pesant pendu au plafond ; pour ce dernier, le punching ball ordinaire est peu favorable, du moins tant qu’il n’est pas expérimenté et que ses coups de poing n’ont pas acquis leur plein développement.

Resterait à parler du tir ; mais le tir, à lui tout seul, est-il vraiment un sport ? On cherche en vain dans le geste du tireur le caractère de « muscularisme intensif » considéré comme un des éléments essentiels de l’exercice sportif. Nous le retrouverons d’ailleurs tout à l’heure, en parlant de la chasse, combiné virilement avec d’autres formes sportives ; réduit au seul tir à la cible, il ne serait pas ici à sa place. Quant au tir à l’arc, c’est aujourd’hui un jeu plutôt qu’un moyen de défense.

Sports équestres.

Les sports équestres ont de la peine à se mêler aux autres. Le préjugé aristocratique, qui les isole, est entretenu par l’orgueil de caste et par l’intérêt professionnel lesquels, en Europe surtout, s’entendent pour perpétuer des errements dont le principe réside dans une méthode défectueuse d’apprentissage. Cette méthode repose sur l’abus du manège. Le manège, lieu de perfectionnement pour le cavalier d’élite qui en est à pouvoir améliorer un cheval fin en le travaillant, ne saurait convenir au débourrage du cavalier populaire qui se contentera de pouvoir utiliser un cheval ordinaire sans le détériorer. ▬ La caractéristique physiologique de l’équitation réside dans la position du cavalier. Entre l’homme à pied qui repose perpendiculairement sur le sol et l’homme à cheval qui s’appuie latéralement sur l’animal existe une différence telle qu’elle supposerait chez le second une structure autre que chez le premier. À défaut d’une structure spéciale, il faut une adaptation, donc une préparation gymnique spéciale. Cette préparation visera à obtenir avant tout la fixité des cuisses et des genoux, la souplesse des reins et du tronc, et l’indépendance des bras. Or si les rênes sont remises entre les mains de l’élève avant que ce résultat gymnique n’ait été obtenu[11], il adviendra que l’élève prendra immanquablement un point d’appui sur la bouche du cheval, ce qui est à l’origine de toutes les mauvaises habitudes et demeure, même pour des cavaliers expérimentés, la cause de la plupart des accidents. ▬ Le manège par sa forme, son exiguïté relative et sa routine fatale n’a pas un meilleur effet sur le cheval qu’il transforme en un très mauvais précepteur. Le cheval de manège se signale en effet, d’une part par sa facilité trop grande à exécuter certaines choses auxquelles il est habitué et de l’autre, par son obstination extraordinaire à n’en pas faire d’autres qui ne rentrent pas dans le cadre habituel de ses exercices. D’où résultent pour l’élève : dans le premier cas, des illusions sur ses talents et, dans le second, une lutte inégale avec l’entêtement de l’animal contre lequel il fait alors un appel exagéré aux aides, forçant tous les effets sans presque rien produire. Le manège a encore l’inconvénient capital de déshabituer le cheval du galop franc qui est la véritable allure éducative. ▬ Le remède unique à cet état de choses apparaît dans la transformation complète de l’école d’équitation civile laquelle devrait toujours posséder un vaste terrain d’exercice, clos avec des pistes bien tracées permettant d’assez longs parcours en ligne droite, deux cirques, des obstacles faciles et espacés… La cavalerie, assez nombreuse, devrait être composée d’animaux bien choisis et préparés à leur rôle ; harnachement soigné avec rênes toujours souples. L’élève serait appelé à seller son cheval, à le ramener à l’écurie et à en prendre soin. Les promenades collectives[12], le travail de la volte au galop, enfin quelques exercices d’escrime équestre constitueraient les étapes de sa formation comme cavalier populaire dans des conditions qui assureraient une bonne pépinière pour le développement du cavalier du second degré ou d’élite[13]. ▬ La clef psychique de l’équitation est la confiance ; il faut se méfier de tout ce qui peut l’ébranler car elle s’y récupère moins aisément que dans d’autres sports. En équitation, il faut être attentif à la « première peur » en raison des traces musculo-nerveuses qu’elle peut laisser. La peur commence, pour le cavalier, avec le désir de mettre pied à terre ; si elle ne s’accompagne pas de ce désir, elle est sans portée et sans lendemain. Le « sauteur » qu’on a supprimé des manèges avait, à cet égard, une bonne influence[14]. L’endurance est aussi productrice de confiance ; les séances d’équitation sont beaucoup trop courtes ; les jeunes gens devraient être habitués tout de suite à de longues chevauchées.

Sports nautiques.

Il y aurait beaucoup à dire concernant la natation envisagée du point de vue utilitaire, c’est-à-dire du point de vue de sa diffusion et des moyens d’en répandre la pratique en tous lieux ; il ne semble pas que les méthodes appliquées soient très complètes[15]. Il y a par contre peu à en dire du point de vue sportif ; tout y est très simple. La natation est un sport de combat où l’homme bataille contre un élément hostile, avec le danger à côté de lui, ou plutôt au-dedans de lui. Il sait que l’eau finira toujours par le vaincre, mais il arrive à prolonger magnifiquement la durée de sa résistance ce qui le rend capable d’opérer des sauvetages inespérés. ▬ Les lois psycho-physiologiques de la natation demeurent mystérieuses : la pratique y contredit la théorie ; l’action presque foudroyante de la peur y reste scientifiquement inexplicable. ▬ Le mécanisme varie selon la constitution individuelle et les particularités corporelles de chacun mais la brasse ordinaire en demeure l’alpha et l’oméga. ▬ Des exercices préliminaires à sec sur le chevalet peuvent-ils aider l’apprentissage ? Oui, mais dans une faible mesure[16] ; ils servent davantage à entretenir l’acquis et constituent d’ailleurs une excellente gymnastique quotidienne.

En matière d’aviron, on oppose parfois le matelot au « canotier ». L’opposition est erronée ; « plumer » et « souquer » ne diffèrent pas tant qu’on le croit. Dans les deux cas, l’homme attaque, tire et dégage et c’est la même alternance régulière de mouvements déterminés provoquant l’action successive des muscles des bras, des jambes, de l’abdomen et du dos[17] et en exigeant des efforts à la fois précis et nuancés, durs et moelleux ; physiologiquement, l’aviron est un sport de la plus rare perfection, en couple du moins, car il est évident qu’en pointe cette perfection est moindre. ▬ Sa valeur hygiénique est également exceptionnelle en raison des conditions respiratoires dont il bénéficie, de la façon dont l’effort y est réparti, de l’absolue régularité et du caractère apaisant de l’automatisme qu’il établit. ▬ Psychiquement, le rameur est joyeux de se sentir une machine pensante et d’éprouver à chaque coup d’aviron, comment la force se forme en lui, se répand et s’écoule. D’autre part, il doit s’imposer et subir une discipline austère et s’y abandonner avec abnégation ; sans contact avec le spectateur, il n’est, en équipe, qu’un anonyme dont l’effort à la fois robuste et continu vient s’ajouter mathématiquement à celui de ses co-équipiers. ▬ Techniquement, il n’est point de sport où chaque détail importe davantage ; la position du corps, celle des mains et des pieds au moment de l’attaque ; puis la franchise nette de celle-ci, la juste inclinaison du corps en arrière, la « tirée » des reins appuyée à point par la poussée des jambes, enfin la précision rapide du dégagement et tout aussitôt le retour du corps en avant, sans effort aucun, à la position d’attaque[18], toutes ces phases successives appellent une constante et féconde surveillance non seulement du coach mais du rameur sur lui-même. ▬ Socialement enfin, l’aviron est le plus coopératif des sports ; il ne s’accommode ni de l’isolement ni même du groupe restreint. Pour acquérir l’emplacement du garage, l’édifier, l’entretenir, l’équiper, prendre soin des bateaux, former les équipes, les entraîner à point, il faut une coopération de chaque instant, à la fois financière et personnelle. Toutes ces conditions expliquent pourquoi l’aviron n’attire à proportion qu’un petit nombre d’adeptes ; mais ceux qu’il n’a pas découragés lui demeurent toujours fidèles[19].

Du yachting, nous dirons seulement qu’il ne peut être admis comme sport que s’il s’agit de yachts à voiles manœuvrés personnellement. Naviguer avec un équipage salarié en se contentant de tenir parfois la barre ne constitue pas un acte sportif puisqu’il y manque un élément essentiel de la sportivité.

Sports d’hiver.

Les plus simples sont les plus récents, les plus compliqués sont les plus anciens. Le patinage, en usage depuis si longtemps a demandé, semble-t-il, un autre effort d’invention que le Bobsleigh. On l’a dénommé la « poésie du mouvement ». C’est le sport d’équilibre par excellence. Il comporte la course de vitesse, les « figures » dont le patineur expert arrive à dessiner sur la glace les arabesques très variées, enfin la danse (valse ou quadrille). Il est peu d’exercices où le succès soit aussi dépendant des dispositions naturelles et où celles-ci soient plus malaisées à suppléer ; il convient de commencer très jeune. La pratique du hockey y donne beaucoup de solidité et d’assurance. D’autre part, l’invention des patinoires de glace artificielle pouvant être utilisées une grande partie de l’année assure au patineur moderne des facilités d’entraînement qui manquaient à son prédécesseur[20].

Moins favorisé, le ski sans doute ne glissera jamais sur de la neige artificielle. À part cela c’est le sport le plus accommodant qui existe ; très individualiste, il se dose de façon à pouvoir satisfaire l’athlète en pleine vigueur aussi bien que l’homme âgé en plein déclin sportif. Très varié aussi, il est aux pieds du sauteur un engin d’audace, à ceux de l’excursionniste de longue distance, un engin d’endurance. Traîné par un cheval, le skieur a besoin de force et de souplesse étroitement unies ; pour exécuter enfin des « Télémark », des « Kristiania » ou des « Slaloms » il lui faut surtout de l’adresse générale.

La luge, plaisir d’enfants ou moyen rapide de descendre de la montagne, a donné naissance à des instruments de sport qui sont le skeleton et le bobsleigh[21], par abréviation « bob ». Le skeleton, luge d’acier sur laquelle l’homme à plat ventre et capitonné, parcourt à la vitesse de 100 à l’heure et davantage des pistes de glace à virages relevés ; le bob monté par un conducteur et plusieurs passagers encastrés les uns derrière les autres, appareil articulé posé sur patins, rendu dirigeable au moyen d’un volant d’auto que manie le conducteur et à la manœuvre duquel participent les passagers en se penchant violemment à l’intérieur du virage pour reporter le poids au-dedans de la courbe décrite.

La même recherche de griserie se retrouve dans l’ice-yachting, appareil formé de deux traverses en bois, l’une perpendiculaire à l’autre, aux trois extrémités desquelles sont de grands patins ; le patin d’arrière s’inclinant sert de gouvernail ; à l’intersection des deux pièces s’élève le mât portant la voile tendue ; c’est là que les passagers s’arriment de leur mieux pour résister à la course et aux bonds que fait l’appareil. L’Hudson et le Saint-Laurent sont les lieux de prédilection des amateurs de ce sport, comme Saint-Moritz l’est pour les adeptes du skeleton.

Ce qui distingue ces différents exercices (et même la simple luge dévalant sur une pente un peu rapide), c’est leur caractère de saine rudesse ; ils sont dangereux et on n’y peut pas tricher avec le danger ; ils sont par là-même fortifiants et l’hygiène morale y égale presque l’hygiène physique.

Sports combinés.

Cette catégorie est de contours imprécis. On peut entendre l’expression : sports combinés, de deux façons ; ou bien une série d’épreuves distinctes dont les résultats additionnés composent un total ; c’est le cas des Pentathlons ; ou bien l’union complète de deux sports simultanés comme dans la voltige, l’escrime équestre, le skijoring et les jeux de polo, de water-polo et de hockey sur glace. Cette dernière sous-catégorie peut se multiplier à l’infini ; n’a-t-on pas inventé de jouer au polo à bicyclette ? Et c’était sportif et mouvementé en tous points.

Le Pentathlon classique que nous dénommons faussement ainsi n’est plus, à vrai dire, qu’une association de courses, de sauts et de lancers (200 et 1.500 mètres plat : saut en longueur avec élan, lancements du disque et du javelot) ; dans l’antiquité, la lutte remplaçait une des deux courses. Par contre le Pentathlon moderne comprend le tir, la natation, l’escrime à l’épée, un cross-country équestre et un cross-country pédestre. Le créateur de ce Pentathlon qui fut inauguré à Stockholm, lors de la vme Olympiade, est le premier à reconnaître que d’une part, il vaudrait mieux remplacer le tir par une épreuve d’aviron et que d’autre part, les cinq épreuves qui le composent devraient se succéder sans interruption, l’athlète passant de l’une à l’autre sans autre arrêt que celui nécessité par une sommaire modification de costume. On y viendra sans doute.

La voltige à cheval est un sport d’une puissance extrêmement élégante et virile. Il est trop peu répandu. La préparation du cheval est plus rapide et moins difficile qu’on ne le pense. En annexant la voltige à leur programme, les sociétés de gymnastique en augmenteraient l’attrait et prépareraient des cavaliers.

L’escrime équestre n’est pas encore dotée de règlements lui permettant de se populariser ; jusqu’ici elle est plutôt de l’équitation armée où le cheval a trop de part et le maniement de l’arme pas assez[22].

Le skijöring et ses variantes sont devenus les annexes habituelles de tous championnats de ski. Le cheval s’y dresse aisément.

Enfin doit-on citer les « gymkhanas » où les sports combinés interviennent fréquemment sous des formes amusantes et fantaisistes. Le principe des gymkhanas sportifs est bon mais ils doivent être organisés par des gens compétents et il n’en faut pas abuser ; le « style » tendra toujours à souffrir de la hâte qui y domine.

Sports de tourisme.

Sous cette rubrique (défectueuse comme la précédente en ce qu’elle est mal tranchée) se classent principalement le cyclisme et l’alpinisme.

Le cyclisme est par excellence l’instrument du tourisme sportif. Il est vain de revenir sur ce que nous avons dit précédemment concernant son action mondiale, la provision de santé et d’adresse qu’il a insufflée partout. La perfection mécanique de la bicyclette se double de qualités sociales et familiales que le tourisme met en relief. Un seul inconvénient à signaler ; l’effort y est en quelque sorte diffus et si aisément provoqué par la pédale que la dose d’exagération y peut être atteinte et dépassée sans que le cycliste s’en doute : c’est souvent le cas pour des adolescents grimpant des côtes trop fortes ; il y a là une surveillance à exercer. Quant au cyclisme sur piste, on n’en saurait dire trop de mal. Un vélodrome est une machine à paris et le spectacle qui s’y déroule n’est ni esthétique ni sportif[23].

L’alpinisme est bien un sport de combat. L’homme y livre à la montagne une vraie bataille ; contre lui, elle se défend comme un adversaire vivant, l’égarant, le mystifiant, tenant en réserve pour le perdre brouillards, crevasses, avalanches, sans parler du vertige, de la bise et du froid. Ce n’est que par la plus virile combinaison d’énergie bien distribuée, de sang-froid voulu et de ferme prudence que l’homme arrive au but.

Quelques mots sur la chasse qui est, à bien des égards, un sport de tourisme. Nous ne parlerons pas du chasseur local qui bat en tous sens les dimanches d’été un minuscule espace, ravi d’en rapporter une fois sur deux un perdreau ou un lièvre[24]. Mais c’est un préjugé assez répandu que les territoires de grande chasse vont se restreignant de jour en jour. Ce n’est pas exact. En multipliant les moyens de transport et en en abaissant le prix, on avait rendu possibles, dans les années avant la guerre, des déplacements cynégétiques lointains qui ne l’étaient pas autrefois. L’éléphant d’Afrique aux environs des grands lacs, les hippopotames sur les fleuves du continent noir, au Cap et dans le sud du Congo le buffle puis encore la girafe, l’okapi, l’antilope, la gazelle, le gorille, la panthère, le lion… voilà ce que l’Afrique recèle. En Asie, ce sont les tigres, les rhinocéros, les gaurs, la grande antilope ; en Australie, le kangourou ; en Amérique, le caribou, le wapiti, le jaguar, le condor des Andes ; en Europe même, le grand élan, l’ours, le loup, le sanglier. Il y a de quoi faire. La tournée la plus fameuse a été celle accomplie en 1910 par Théodore Roosevelt en Afrique.

En regard de cet exploit, on peut citer celui d’un officier français, le commandant Lancrenon qui, vers 1905, employa un congé à se rendre à Moscou à bicyclette, à descendre la Volga en canoë et à revenir à Paris à cheval. Celui-là avait su combiner de la façon la plus hardie les trois tourismes : cycliste, équestre et nautique. Il devrait avoir beaucoup d’imitateurs. De tels raids sont de magnifiques écoles d’énergie, d’endurance et de valeur sportive[25].

Jeux sportifs.

Il importe d’employer ce qualificatif de façon à bien établir la distinction entre les jeux sportifs et les jeux simplement « récréatifs », si mouvementés soient-ils d’ailleurs. Nous ne parlerons pas des jeux nationaux ou restreints à un petit groupe de pays tels que le cricket, le base-ball, la crosse, la pelote, car cela nous entraînerait trop loin. Parmi les jeux « internationaux », il en est trois qui priment les autres par leur valeur éducative et sportive : avant tout le foot-ball, puis le polo et le hockey sur glace ; viennent ensuite le water-polo et, au bas de l’échelle sportive, le lawn-tennis et le golf[26].

La royauté du foot-ball repose sur la combinaison à des doses presque égales de courage d’attention et d’abnégation individuelle qui compose en quelque sorte la trame du jeu. Le bon joueur qui doit à tout moment se trouver prêt à « charger » sans hésitation aussi bien qu’à sacrifier à l’intérêt collectif l’occasion d’une prouesse au profit d’un camarade mieux à même de la réussir[27], se trouve en outre dans l’obligation de ne jamais perdre de vue la physionomie du vaste échiquier dont il est lui-même une des pièces. Il lui faut observer tout du long de la partie les changements qui s’opèrent dans la disposition des joueurs par rapport les uns aux autres car on sait que les règles du foot-ball sans être extrêmement compliquées, sont rendues fort scientifiques[28] par les incapacités momentanées résultant du « hors-jeu ». Ceux qui ne connaissent le foot-ball qu’en qualité de spectateurs se rendent difficilement compte de l’effort intellectuel au prix duquel son plus haut degré de perfection peut être atteint. Non seulement il n’est pas inutile mais il est nécessaire pour le capitaine d’une équipe aspirant aux honneurs du championnat de travailler sa partie d’avance sur le tableau noir tout comme des officiers s’exercent au Kriegspiel. Un incident instructif de l’histoire du foot-ball montre qu’il n’y a rien d’exagéré dans cette assertion. Un avocat de Boston s’étant jadis épris de ce jeu dès le premier match auquel il assistait, se mit à en étudier les possibilités tactiques, et ayant relevé dans l’Histoire du Consulat et de l’Empire, de Thiers, que Napoléon avait coutume de jeter à l’improviste des masses d’hommes rapidement formées sur les points faibles de l’adversaire, il proposa l’application de ce principe au foot-ball ; ce qui eut lieu en effet. Pour communiquer des ordres à ses hommes, le capitaine employa dès lors un langage chiffré convenu entre eux et, à son appel, on vit des flying wings (ailes volantes) se former brusquement et exécuter d’ingénieuses et décisives manœuvres. Cela n’atténua pas d’ailleurs le caractère déjà très dur du Rugby américain ; bien au contraire[29].

Le polo, le water-polo et le hockey sur glace sont des jeux basés sur la combinaison de deux sports. L’équitation, la natation et le patinage en constituent la raison d’être. Le premier a contre lui d’être très couteux même si l’on parvient, ce qui n’est guère aisé, à faire posséder les poneys par le club auquel le joueur les loue en payant en outre une prime d’assurance. Le water-polo demande une nappe d’eau de quelque étendue et profondeur sans courant et, de la part des joueurs, une endurance souvent très longue à acquérir. Le hockey sur glace est dépendant de la température ; toutefois on peut le pratiquer sur la glace artificielle si les dimensions de la patinoire s’y prêtent. Ce qui distingue ces jeux, c’est qu’il est impossible de les pratiquer si l’on a peur ; le joueur de foot-ball, de polo ou de hockey qui n’est pas brave n’a qu’à se retirer ; non seulement il ne peut pas bien jouer mais il ne peut pas jouer du tout.

Travaux manuels.

Dans notre temps démocratique, le sportif est normalement et techniquement obligé de savoir sinon confectionner — ce qui serait trop demander — du moins nettoyer, entretenir et quelque peu réparer ses engins de sport. Il y a là une série de travaux manuels dont le détail n’entre pas dans le cadre de ces leçons mais dont le principe devait être proclamé ici[30].

  1. Cette surprise n’existe pas à un pareil degré même chez le nageur qui se trouve pourtant transporté sans transitions dans un milieu hostile : c’est que sa surprise est extérieure tandis que celle du coureur est en quelque sorte intérieure.
  2. On pourrait ajouter la prouesse gymnique connue sous le nom de « saut périlleux ».
  3. L’emploi de la perche limité au saut en hauteur constitue une erreur. C’est un sport de tous points admirable mais il ne doit pas être exclusif. Pratiquement, il ne sera jamais très opportun d’aborder un obstacle de cette façon-là. La perche, au contraire, est indispensable pour accroître en cas de besoin, l’amplitude d’un saut en longueur.
  4. La peur mécanique est un phénomène animal et en quelque sorte localisé qui semble prendre son point de départ dans la « mémoire des muscles ». La maladresse commise tend à s’incruster dans les muscles et à se reproduire en s’aggravant.
  5. On pourrait citer encore le lancement de la fronde que le « marteau » américain, sorte d’amusement d’hercule, ne saurait remplacer.
  6. La leçon et l’assaut en boxe et en escrime (Revue Olympique, mars 1914).
  7. Le poing nu est mal conformé pour parer ; le geste est aussi peu naturel qu’est naturel celui de parer avec une arme. C’est une simple question de mécanique : prolongé par l’arme, le levier à la longueur voulue pour opérer une poussée latérale efficace ; le bras seul ne l’a pas.
  8. Voir la Revue Olympique (janvier 1906, janvier et février 1912).
  9. Placez un bâton dans les mains d’un inexpert ; il va faire du sabre instinctivement ; jamais il ne fera de la pointe.
  10. Voir la Revue Olympique de mai 1912. Dans le système Vigny, le bras gauche est en avant comme s’il tenait un bouclier et le bras droit levé en arrière brandit l’arme au-dessus de la tête ; un changement brusque de garde s’opère au moment où l’arme s’abat sur l’adversaire.
  11. C’est pourquoi les meilleurs écuyers d’autrefois préconisaient la leçon à la longe. À défaut de cette solution devenue peu pratique et trop coûteuse, on pourrait recourir à la leçon couplée (voir la Gymnastique utilitaire, p. 57) ; voir aussi dans les Leçons de Gymnastique utilitaire ce qui a trait à la gymnastique équestre préparatoire.
  12. En promenade collective et surveillée, le cheval de manège est un bon instrument de gymnastique équestre ; il n’y a pas à le conduire. Sa résistance se borne à vouloir rejoindre la troupe si on le maintient quelques instants en arrière.
  13. De tels établissements peu nombreux mais bien équipés, devraient être subventionnés par les municipalités ou par les sociétés hippiques de façon que les prix des leçons et promenades restent peu élevés et contrôlés. À Bruxelles en 1906 la Société Hippique possédait 35 chevaux qui étaient loués 2 fr. l’heure au manège et 5 fr. la promenade de deux heures. Dans certaines villes de Suisse, notamment à Berne, l’appui des pouvoirs publics atteignait à des résultats similaires. Leur intervention pourrait s’exercer de bien des manières au point de vue locaux, matériel, fourrage, etc…
  14. Voir Essais de Psychologie sportive, p. 66.
  15. Voir à ce sujet la Gymnastique utilitaire, p. 20-26 et les Leçons de Gymnastique utilitaire, p. 16-18.
  16. Surtout en habituant à des mouvements ralentis ; dans l’eau, le débutant les précipite et les dessine mal.
  17. Ce qui diffère c’est la résistance ; ce sont aussi les aides, bancs, portants, avirons. En mer, le remous fait parfois le vide sous l’attaque et force de « nager à l’embellie », c’est-à-dire dans l’intervalle des lames ; il diminue en tout cas la prise, la rend moins stable. L’allonge du corps n’est pas possible au même degré qu’en rivière et l’embarcation plus robuste est à plus hauts bords et sans portants extérieurs.
  18. Le Dr  Warre, longtemps headmaster d’Eton et d’une grande compétence en matière de rowing, insistait toujours sur l’importance d’un retour souple et prompt durant lequel the muscles should be enjoying a holiday indiquant par là l’absence complète de force. Bien des équipes sont défectueuses à cet égard.
  19. À l’aviron se rattache le maniement de la pagaie très inférieur physiologiquement mais susceptible avec la périssoire en mer, le canoë canadien sur les rivières rapides et surtout le Kayak scandinave d’exiger de belles qualités sportives.
  20. À différentes reprises on a pratiqué le patinage à roulettes dont la vogue fut toujours assez passagère et qui a contre lui le tapage agaçant qu’il produit. Quant au patin bicyclette qui permettait de courir sur les routes à belle allure, le pied pris entre deux petites roues à caoutchoucs creux, il n’a jamais réussi à s’imposer bien qu’il fût aussi pratique que sportif.
  21. Voir la Revue Olympique de janvier 1906.
  22. Voir dans la Revue Olympique de février 1906 un projet de réglementation sur des bases nouvelles permettant d’utiliser l’escrime équestre pour perfectionner des cavaliers novices.
  23. Faut-il évoquer la fameuse course de six jours qui se court chaque année à New-York ? En 1899 une loi interdisant à un coureur de rester en selle plus de 12 heures sur 24, elle se court depuis lors par équipes.
  24. En France où la propriété est très morcelée, il ne se délivrait en 1908 pas moins de 100.000 permis de chasse et la vente de la poudre à cartouches atteignait 7 millions de francs chaque année tandis que les recettes encaissées par l’État ou les communes du fait de la chasse à tir s’élevaient à 45 millions. Ceci ne concerne que la chasse à tir. Il y avait en outre 285 équipes de chasse à courre employant 11.000 chevaux et 8.000 chiens et dépensant à peu près 30 millions de francs par an.
  25. En fait de raid, on ne saurait passer sous silence celui des Scandinaves qui en 1893 se rendirent à l’Exposition de Chicago en traversant l’océan sur une embarcation semblable à celle qu’avaient employée leurs vaillants ancêtres les Vikings dans leurs courses audacieuses à la découverte du Nouveau·Monde.
  26. Ce classement n’implique nullement une critique ou une mésestime de ces jeux mais si l’on se reporte à notre définition du sport, on admettra que le lawn-tennis et le golf n’y répondent qu’incomplètement.
  27. Voir dans la Revue Olympique de mai 1914 la reproduction d’un rapport présenté le 7 mars 1892 à une séance plénière du Comité Jules Simon à la Sorbonne.
  28. Jusqu’en 1863 régna en Angleterre une certaine anarchie dans la réglementation du Football. En face du Rugby issu de l’école de ce nom se trouvaient les diverses sortes d’Associations dont Eton avait été quelque peu le berceau. Cette année-là, on commença de s’entendre pour établir des règles fixes.
  29. Il n’y a pas lieu de discuter si le Rugby l’emporte sur l’Association ou réciproquement. On connaît mes préférences que j’ai maintes fois exposées mais les deux jeux qui se complètent admirablement doivent coexister et progresser de compagnie. Il s’agit bien entendu du Rugby anglais aujourd’hui répandu en Europe et non du Rugby américain.
  30. Voir Leçons de Gymnastique utilitaire, p. 35 et 36. Les travaux manuels sportifs y sont divisés en leçon de chantier, leçon d’écurie, leçon d’atelier et leçon de campement. Il serait à désirer que le scoutisme tendit de ce côté plus qu’il ne le fait.