Page:Œuvres philosophiques de Leibniz, Alcan, 1900, tome 2.djvu/126

La bibliothèque libre.
Cette page n’a pas encore été corrigée

autres, n’admettent point cette justice punitive, qui est proprement vindicative et que Dieu s’est réservée en bien des rencontres, qu’il ne laisse pas de communiquer à ceux qui ont droit de gouverner les autres et qu’il exerce par leur moyen, pourvu qu’ils agissent par raison et non par passion. Les sociniens la croient être sans fondement ; mais elle est toujours fondée dans un rapport de convenance qui contente non seulement l’offensé, mais encore les sages qui la voient : comme une belle musique ou bien une bonne architecture contente les esprits bien faits. Et le sage législateur ayant menacé et ayant, pour ainsi dire, promis un châtiment, il est de sa constance de ne pas laisser l’action entièrement impunie, quand même la peine ne servirait plus à corriger personne. Mais quand il n’aurait rien promis, c’est assez qu’il y a une convenance qui l’aurait pu porter à faire cette promesse, puisque aussi bien le sage ne promet que ce qui est convenable. Et on peut même dire qu’il y a ici un certain dédommagement de l’esprit que le désordre offenserait, si le châtiment ne contribuait à rétablir l’ordre. On peut encore consulter ce que Grotius a écrit contre les Sociniens de la satisfaction de Jésus-Christ, et ce que Crellius[1] y a répondu.

74 C’est ainsi que les peines des damnés continuent, lors même qu’elles ne servent plus à détourner du mal ; et que de même les récompenses des bienheureux continuent, lors même qu’elles ne servent plus à confirmer dans le bien. On peut dire cependant que les damnés s’attirent toujours de nouvelles douleurs par de nouveaux péchés, et que les bienheureux s’attirent toujours de nouvelles joies par de nouveaux progrès dans le bien, l’un et l’autre étant fondé sur le principe de la convenance, qui a fait que les choses ont été réglées en sorte que la mauvaise action se doit attirer un châtiment. Car il y a lieu de juger suivant le parallélisme des deux règnes, de celui des causes finales et de celui des causes efficientes, que Dieu a établi dans l’univers une connexion entre la peine ou la récompense, et entre la mauvaise ou la bonne action, en sorte que la première soit toujours attirée par la seconde, et que la vertu et le vice se procurent leur récompense et leur châtiment, en conséquence de la suite naturelle des choses, qui contient encore

  1. CRELLIUS (Jean), théologien socinien, né près de Nuremberg en 1590, mort à Cracovie en 1633. On a de lui Et/iica Aristotelica ad sacr. lut. normam emendata, 1650, iu-4» De Deo et attrWutis ejus, Cracovie, 1630 Vindicse pro religionix libertate, 1637, in-8°, sous le pseudonyme de Junhis Brulus Poloimx, trad. par Naigeon (Londres, 1769, iii-12) p j.