Page:Œuvres politiques de Machiavel.djvu/311

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et l’on ne peut prendre de trop grandes précautions pour y mettre un frein. Mais le mécontentement est facile à dissiper lorsque les peuples n’ont pas de chef auquel ils puissent recourir ; car si, d’un côté, rien n’est plus redoutable qu’une multitude sans frein et sans chef, rien, d’un autre côté, n’est plus faible ; et quoiqu’elle ait les armes à la main, il est aisé de la réduire, pourvu qu’il existe un asile où l’on puisse se mettre à l’abri de son premier mouvement. En effet, lorsque les esprits sont refroidis, et que chacun voit qu’il faut retourner chez soi, on commence à perdre la confiance qu’on avait dans ses propres forces, on pense à son propre salut, et l’on se décide à fuir ou à traiter.

Une multitude mise ainsi en mouvement, et qui veut éviter de semblables périls, doit choisir dans son sein un chef qui la dirige, qui la tienne unie, et qui pourvoie à sa défense. C’est ainsi qu’agit le peuple romain, lorsqu’il déserta Rome après la mort de Virginie, et qu’il choisit dans son sein vingt tribuns pour veiller à sa sûreté. S’il se conduit différemment, il arrivera toujours ce que dit Tite-Live dans les paroles que nous avons rapportées, que, réunis, les hommes sont remplis de courage, mais que lorsque chacun vient à réfléchir à son propre danger, il devient faible et lâche.



CHAPITRE LVIII.


La multitude est plus sage et plus constante qu’un prince.


Tite-Live et tous les autres historiens affirment qu’il n’y a rien de plus inconstant et de plus léger que la multitude. Souvent dans le récit qu’ils font des actions des hommes, on voit la multitude, après avoir condamné quelqu’un à mort, le pleurer bientôt, et l’appeler de tous ses regrets. C’est ainsi que Rome se con-