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l’avenir, croiront opprimer un peuple par de semblables moyens et dans des circonstances pareilles.



CHAPITRE XXVI.


Le mépris et l’injure engendrent la haine contre ceux qui s’en servent, sans leur procurer aucun avantage.


Je suis persuadé qu’une des plus grandes preuves de sagesse que puissent donner les hommes est de s’abstenir de proférer contre qui que ce soit des paroles menaçantes ou injurieuses, parce que, loin d’affaiblir les forces d’un ennemi, la menace le fait tenir sur ses gardes, et que l’injure accroît la haine qu’il vous porte, et l’excite à chercher tous les moyens de vous nuire.

La conduite des Véïens, dont nous avons parlé dans le chapitre précédent, nous en fournit un exemple. Non contents des maux dont la guerre accablait les Romains, ils y ajoutèrent l’outrage et l’insulte, que tout sage capitaine devrait proscrire dans la bouche de ses soldats, attendu que leur effet est d’enflammer l’ennemi et de le porter à la vengeance ; et l’injure l’empêche d’autant moins de vous nuire, que c’est encore une arme que vous lui fournissez contre vous.

L’histoire d’Asie en offre un exemple remarquable. Gabas, général des Perses, assiégeait depuis longtemps Amide : fatigué des ennuis d’un aussi long siége, il avait résolu de s’éloigner, et il levait déjà son camp lorsque les assiégés, enorgueillis de leur victoire, se rassemblent sur les remparts, et, s’exhalant en injures, blâment et accusent l’ennemi, en lui reprochant sa faiblesse et sa lâcheté. Gabas, irrité, change soudain de résolution ; il pousse de nouveau le siége avec vigueur ; l’indignation qu’il ressent de son injure ajoute à son courage, et en peu de jours la ville est prise et ravagée.