Page:Œuvres politiques de Machiavel.djvu/479

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

vous pouvez écarter l’un en alléguant une haine qui subsistait entre vous deux, ou nier tout ce qu’avoue l’autre, en objectant la violence qui arrache le mensonge de sa bouche. Il est donc de la prudence de ne se confier à qui que ce soit, mais d’imiter l’exemple de ceux dont nous avons parlé ; ou si vous croyez devoir dévoiler vos secrets, de ne les confier qu’à un seul ; du moins, si vos dangers s’augmentent par cet aveu, ils sont bien moins grands que si vous vous confiez à plusieurs.

On conspire encore avec un succès à peu près égal quand la nécessité vous contraint à porter au prince le coup dont lui-même vous menace, surtout quand ce danger est tellement imminent que vous n’avez que le temps de songer à votre sûreté : cette nécessité a presque toujours une heureuse issue. Deux exemples suffiront pour prouver ce que j’avance.

L’empereur Commode comptait parmi ses amis les plus intimes et ses plus chers favoris Électus et Lectus, préfets du prétoire, et Marcia était une de ses maîtresses les plus chéries : comme tous trois lui reprochaient quelquefois sa conduite et le déshonneur dont il couvrait sa personne et l’empire, il résolut de les faire mourir, et il écrivit sur une liste les noms de Marcia, d’Électus, de Lectus, et de quelques autres dont il voulait se défaire la nuit suivante. Il mit cette liste sous le chevet de son lit, et se rendit au bain. Un jeune enfant, son favori, en s’amusant dans la chambre et sur le lit, trouve cette liste, et sort en la tenant à la main : Marcia le rencontre, la lui prend, la lit ; et ayant vu les noms qu’elle contenait, elle envoie sur-le-champ chercher Électus et Lectus : tous trois, épouvantés du péril qui les menace, forment soudain la résolution de le prévenir ; et, sans perdre le temps en de vaines mesures, ils poignardèrent Commode la nuit suivante.

L’empereur Caracalla se trouvait en Mésopotamie à