Page:Balzac - Œuvres complètes, éd. Houssiaux, 1874, tome 14.djvu/429

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même éclat, suaves et fraîches harmonies semblables à celles qui sont sous la mer, et qui, dit-on, fascinent les plongeurs ! Ils se firent connaître l’un à l’autre par ces échanges de propos, par cette alternative curiosité qui, chez tous deux, prenait les formes les plus délicieuses du sentiment. Ce fut sans fausse honte, mais non sans de mutuelles coquetteries. Les deux heures qu’Emmanuel venait passer, tous les soirs, entre ces deux jeunes filles et Martha, faisaient accepter à Marguerite la vie d’angoisses et de résignation dans laquelle elle était entrée. Cet amour naïvement progressif fut son soutien. Emmanuel portait dans ses témoignages d’affection cette grâce naturelle qui séduit tant, cet esprit doux et fin qui nuance l’uniformité du sentiment, comme les facettes relèvent la monotonie d’une pierre précieuse, en en faisant jouer tous les feux ; admirables façons dont le secret appartient aux cœurs aimants, et qui rendent les femmes fidèles à la Main artiste sous laquelle les formes renaissent toujours neuves, à la Voix qui ne répète jamais une phrase sans la rafraîchir par de nouvelles modulations. L’amour n’est pas seulement un sentiment, il est un art aussi. Quelque mot simple, une précaution, un rien révèlent à une femme le grand et sublime artiste qui peut toucher son cœur sans le flétrir.

Plus allait Emmanuel, plus charmantes étaient les expressions de son amour.

« J’ai devancé Pierquin, lui dit-il un soir, il vient vous annoncer une mauvaise nouvelle, je préfère vous l’apprendre moi-même. Votre père a vendu votre forêt à des spéculateurs qui l’ont revendue par parties ; les arbres sont déjà coupés, tous les madriers sont enlevés. M. Claës a reçu trois cent mille francs comptant dont il s’est servi pour payer ses dettes à Paris ; et, pour les éteindre entièrement, il a même été obligé de faire une délégation de cent mille francs sur les cent mille écus qui restent à payer par les acquéreurs. » Pierquin entra.

« Hé bien, ma chère cousine, dit-il, vous voilà ruinés, je vous l’avais prédit : mais vous n’avez pas voulu m’écouter. Votre père a bon appétit. Il a, de la première bouchée, avalé vos bois. Votre subrogé tuteur, M. Conyncks, est à Amsterdam, où il achève de liquider sa fortune, et Claës a saisi ce moment-là pour faire son coup. Ce n’est pas bien. Je viens d’écrire au bonhomme Conyncks ; mais, quand il arrivera, tout sera fricassé. Vous serez obligés de poursuivre votre père, le procès ne sera pas long, mais