Aller au contenu

Page:Brontë - Jane Eyre, II.djvu/73

La bibliothèque libre.
Cette page a été validée par deux contributeurs.

ferme, pâle et massif, était semblable au marbre des carrières ; ses yeux brillaient incisifs et farouches.

M. Wood semblait embarrassé.

« Et quel est cet empêchement ? continua-t-il : on pourra peut-être vaincre l’obstacle ; expliquez-vous.

— Ce sera difficile ; j’ai dit qu’il était insurmontable, et je ne parle pas au hasard. »

Celui qui avait parlé s’avança et s’appuya sur la barrière ; il continua, en articulant d’une voix ferme, calme, distincte, mais basse :

« L’empêchement consiste simplement en un premier mariage ; M. Rochester a une femme qui vit encore. »

Ces mots, prononcés à voix basse, ébranlèrent mes nerfs comme ne l’aurait pas fait un coup de tonnerre ; ces douloureuses paroles agirent plus puissamment sur mon sang que le feu ou la glace ; mais j’étais maîtresse de moi, et je ne craignis pas de m’évanouir. Je regardai M. Rochester et je le forçai à me regarder ; sa figure était aussi décolorée qu’un rocher, ses yeux seuls brillaient comme l’éclair ; il ne nia rien, il sembla défier tout. Il serrait son bras autour de ma taille, et me tenait près de lui, mais sans parler, sans sourire, sans paraître même reconnaître en moi une créature humaine.

« Qui êtes-vous ? demanda-t-il à l’inconnu.

— Je m’appelle Briggs, et je suis un procureur de la rue… à Londres, répondit-il.

— Et vous m’accusez d’avoir une femme ?

— Oui, monsieur ; je suis venu vous rappeler l’existence de votre femme, que la loi reconnaît, si vous ne la reconnaissez pas.

— Parlez-moi d’elle, s’il vous plaît ; dites-moi son nom, celui de ses parents, et le lieu où elle demeure.

— Certainement. »

M. Briggs tira tranquillement un papier de sa poche et lut d’un ton officiel ce qui suit :


« J’affirme et je puis prouver que le vingt novembre (puis venait une date qui remontait à quinze ans), Édouard Fairfax Rochester, du château de Thornfield, dans le comté de…, et du manoir de Ferndear, dans le comté de…, en Angleterre, a épousé ma sœur Berthe Antoinette Mason, fille de Jonas Mason, commerçant et d’Antoinette, sa femme, créole, à l’église de…, ville espagnole, Jamaïque ; l’acte de mariage sera trouvé dans les registres de l’église. J’en ai une copie en ma possession.

« Signé Richard Mason.