Page:Emile Zola - Le Docteur Pascal.djvu/378

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en juger la fin ? Même, s’il ne devait pas y avoir de fin, pourquoi ne pas goûter la joie de l’action, l’air vif de la marche, la douceur du sommeil après une longue fatigue ? Les enfants continueront la besogne des pères, ils ne naissent et on ne les aime que pour cela, pour cette tâche de la vie qu’on leur transmet, qu’ils transmettront à leur tour. Et il n’y avait plus, dès ce moment, que la résignation vaillante au grand labeur commun, sans la révolte du moi qui exige un bonheur à lui, absolu.

Elle s’interrogea, elle n’éprouva pas la détresse qui l’angoissait, jadis, lorsqu’elle songeait au lendemain de la mort. Cette préoccupation de l’au-delà ne la hantait plus jusqu’à la torture. Autrefois, elle aurait voulu arracher violemment du ciel le secret de la destinée. C’était, en elle, une infinie tristesse d’être, sans savoir pourquoi elle était. Que venait-on faire sur la terre ? quel était le sens de cette existence exécrable, sans égalité, sans justice, qui lui apparaissait comme le cauchemar d’une nuit de délire ? Et son frisson s’était calmé, elle pouvait songer à ces choses, courageusement. Peut-être était-ce l’enfant, cette continuation d’elle-même, qui lui cachait désormais l’horreur de sa fin. Mais il y avait aussi là beaucoup de l’équilibre où elle vivait, cette pensée qu’il fallait vivre pour l’effort de vivre, et que la seule paix possible, en ce monde, était dans la joie de cet effort accompli. Elle se répétait une parole du docteur qui disait souvent, lorsqu’il voyait un paysan rentrer, l’air paisible, après sa journée faite : « En voilà un que la querelle de l’au-delà n’empêchera pas de dormir. » Il voulait dire que cette querelle ne s’égare et ne se pervertit que dans le cerveau enfiévré des oisifs. Si tous faisaient leur tâche, tous dormiraient tranquillement. Elle-même avait senti cette toute-puissance bienfaitrice du travail, au milieu de ses souffrances et de ses deuils. Depuis qu’il lui avait