Page:Emile Zola - Le Docteur Pascal.djvu/379

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appris l’emploi de chacune de ses heures, depuis surtout qu’elle était mère, sans cesse occupée de son enfant, elle ne sentait plus le frisson de l’inconnu lui passer sur la nuque, en un petit souffle glacé. Elle écartait sans lutte les rêveries inquiétantes ; et, si une crainte la troublait encore, si une des amertumes quotidiennes lui noyait le cœur de nausées, elle trouvait un réconfort, une force de résistance invincible, dans cette pensée que son enfant avait un jour de plus, ce jour-là, qu’il en aurait un autre de plus, le lendemain, que jour à jour, page à page, son œuvre vivante s’achevait. Cela la reposait délicieusement de toutes les misères. Elle avait une fonction, un but, et elle le sentait bien à sa sérénité heureuse, elle faisait sûrement ce qu’elle était venue faire.

Cependant, à cette minute même, elle comprit que la chimérique n’était pas morte tout entière en elle. Un léger bruit venait de voler dans le profond silence, et elle avait levé la tête : quel était le médiateur divin qui passait ? peut-être le cher mort qu’elle pleurait et qu’elle croyait deviner à son entour. Toujours, elle devait rester un peu l’enfant croyante d’autrefois, curieuse du mystère, ayant le besoin instinctif de l’inconnu. Elle avait fait la part de ce besoin, elle l’expliquait même scientifiquement. Si loin que la science recule les bornes des connaissances humaines, il est un point sans doute qu’elle ne franchira pas ; et c’était là, précisément, que Pascal plaçait l’unique intérêt à vivre, dans le désir qu’on avait de savoir sans cesse davantage. Elle, dès lors, admettait les forces ignorées où le monde baigne, un immense domaine obscur, dix fois plus large que le domaine conquis déjà, un infini inexploré à travers lequel l’humanité future monterait sans fin. Certes, c’était là un champ assez vaste, pour que l’imagination pût s’y perdre. Aux heures de songerie, elle y contentait la soif impérieuse que l’être