Les plus clairvoyants des voyageurs se rendent compte à leur première escale de la vérité des voyages. Partis pour Singapour, pour les îles Marquises, ils la découvrent avant d’avoir vu passer les Lacs Amers. L’entêtement ou des nécessités étrangères à leur volonté, à leurs vœux peuvent seuls les contraindre à un itinéraire où il ne leur reste plus à attendre que des malheurs.
Moins clairvoyant, oubliant le vertige même auquel j’avais voulu échapper, je vécus à Aden, « ville célèbre et ancienne ».
Samson, dans sa Géographie, en 1683, écrit de beaux contes : « Zibit, près l’extrémité de la Mer Rouge est belle, bien bâtie, riche et d’un grand négoce en drogues, épiceries et parfums. Elle a été capitale d’un royaume dont le Turc s’est emparé il y a près de six-vingt ans, comme il fit en même temps d’Aden, en faisant pendre le roy de celle-cy au mast de son navire et couper la tête à l’autre. Aden est la plus belle ville et la plus agréable de toute l’Arabie : elle est fermée de murailles du côté de la mer et de montagnes du côté de la terre. Dessus ces montagnes il y a plusieurs châteaux en très belle vue. Elle a bien six mille maisons. Elle est assise au dehors de la mer Rouge et au commencement de la grande mer. » Quelle impatience lorsque je lisais à Paris des histoires sur la ville où je devais vivre, trois ou quatre mois avant mon départ : de ma chambre j’entendais les enfants crier dans la rue d’UIm : « chat perché » disaient-ils. Les taxis changeaient de vitesses. Les coqs de la rue Rateau chantaient la pluie à deux heures de l’après-midi. Un loriot restait des heures se balançant comme un imbécile à la pointe d’un fusain, un merle sifflait la première mesure de la Marseillaise. J’étais enragé, j’attendais la nuit pour courir dans les rues de la montagne Sainte-Geneviève.