Page:Las Cases - Mémorial de Sainte-Hélène, 1842, Tome II.djvu/351

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c’est un des malheurs des circonstances que cette obligation où se trouvait Napoléon, dans les grandes crises, d’être à la fois à l’armée et à Paris : rien n’était et ne pouvait être moins prévu par lui que la conduite insensée que l’on tint à Wilna.

Dans cette malheureuse campagne, nos pertes furent considérables sans doute, mais non pas telles qu’on se l’imagine. Des quatre cent mille hommes qui passèrent la Vistule, la moitié était Autrichiens, Prussiens, Saxons, Polonais, Bavarois, Wurtembergeois, Bergeois, Badois, Hessois, Westphaliens, Mecklembourgeois, Espagnols, Italiens, Napolitains. L’armée impériale, proprement dite, était pour un tiers composée de Hollandais, Belges, habitants des bords du Rhin, Piémontais, Suisses, Génois, Toscans, Romains, habitants de la 32e division militaire, Brême, Hambourg, etc ; elle comptait à peine cent quarante mille hommes parlant français. L’expédition de Russie coûta moins de cinquante mille hommes à la France actuelle ; l’armée russe, dans la retraite de Wilna à Moscou, dans les différentes batailles, a perdu quatre fois plus que l’armée française ; l’incendie de Moscou a coûté la vie à cent mille Russes, morts de froid et de misère dans les bois ; enfin, dans sa marche de Moscou à l’Oder, l’armée russe fut aussi atteinte par l’intempérie de la saison ; elle ne comptait, à son arrivée à Wilna, que cinquante mille hommes, et à Kalisch moins de dix-huit mille : on peut avancer que la perte de la Russie dans cette campagne a été six fois plus grande que celle de la France d’aujourd’hui. »

Certes, voilà bien des détails et des circonstances qui surprendront beaucoup sans doute le plus grand nombre de lecteurs, et l’on ne saurait les révoquer en doute ; car, en s’exprimant avec solennité et d’une manière aussi positive, Napoléon n’ignorait pas, dans l’intérêt de sa gloire, que des documents officiels existaient dans les dépôts publics pour appuyer ou démentir authentiquement ses assertions.


Fluxion violente – Anecdotes intérieures et domestiques.


Samedi 26.

On disait l’Empereur fort souffrant. Il m’a fait demander dans sa chambre. Je l’ai trouvé la tête empaquetée d’un mouchoir, dans son fauteuil, fort près d’un grand feu qu’il s’était fait allumer. « Quel est le mal le plus vif, la douleur la plus aiguë ? » demandait-il. Je répondais que c’était toujours celle du moment. « Eh bien ! c’est donc le mal