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ESSAIS DE MONTAIGNE

rien en sa tête par simple autorité et à crédit. Les abeilles pillotent deçà delà les fleurs ; mais elles en font après le miel, qui est tout leur ; ce n’est plus thym, ni marjolaine. Ainsi les pièces empruntées d’autrui, il les transformera et confondra pour faire un ouvrage tout sien, à savoir son jugement : son institution, son travail et étude ne vise qu’à le former. Qu’il cèle tout ce de quoi il a clé secouru, et ne produise que ce qu’il en a fait. Les pilleurs, les emprunteurs, mettent en parade leurs bâtiments, leurs achats ; non pas ce qu’ils tirent d’autrui : vous ne voyez pas les épices d’un homme de parlement ; vous voyez les alliances qu’il a gagnées, et honneur à ses enfants : nul ne met en compte public sa recette ; chacun y met son acquêt.

Le gain de notre étude, c’est en être devenu meilleur et plus sage. C’est, disait Epicharmus, l’entendement qui voit et qui oit ; c’est l’entendement qui approfite tout, qui dispose tout, qui agit, qui domine et qui règne ; toutes autres choses sont aveugles, sourdes et sans âme. Certes, nous le rendons servile et couard, pour ne lui laisser la liberté de rien faire de soi. Qui demanda jamais à son disciple ce qu’il lui semble de la rhétorique et de la grammaire ? de telle ou telle sentence de Cicéron ? On nous les plaque en la mémoire toutes empennées, comme des oracles, où les lettres et les syllabes sont de la substance de la chose. Savoir par cœur n’est pas savoir ; c’est tenir ce qu’on a donné en garde à sa mémoire. Ce qu’on sait droitement, on en dispose, sans regarder au patron, sans tourner les yeux vers son livre. Fâcheuse suffisance qu’une suffisance pure livresque ! Je m’attends qu’elle serve d’ornement, non de fondement ; suivant l’avis de