Page:Montaigne - Essais, Musart, 1847.djvu/109

La bibliothèque libre.
Cette page n’a pas encore été corrigée
103
CHAPITRE XV.

les guider. Je marche plus sûr et plus ferme à mont qu’à val.

Ceux qui, comme notre usage porte, entreprennent, d’une même leçon et pareille mesure de conduite, régenter plusieurs esprits de si diverses mesures et formes, ce n’est pas merveille si en tout un peuple d’enfants ils en rencontrent à peine deux ou trois qui rapportent quelque juste fruit de leur discipline. Qu’il ne lui demande pas seulement compte des mots de sa leçon, mais du sens et de la substance ; et qu’il juge du profit qu’il aura fait, non par le témoignage de sa mémoire, mais de sa vie. Que ce qu’il viendra d’apprendre, il le lui fasse mettre en cent visages, et accommoder à autant de divers sujets, pour voir s’il l’a encore bien pris et bien fait sien ; prenant l’instruction de son progrès des pédagogismes de Platon. C’est témoignage de crudité et indigestion que de regorger la viande comme on l’a avalée : l’estomac n’a pas fait son opération, s’il n’a fait changer la façon et la forme à ce qu’on lui a donné à cuire. Notre âme ne branle qu’à crédit, liée et contrainte à l’appétit des fantaisies d’autrui, serve et captivée sous l’autorité de leur leçon : on nous a tant assujétis aux cordes que nous n’avons plus de franches allures ; notre vigueur et liberté est éteinte.

Je vis privément à Pise un honnête homme, mais si aristotélicien que le plus général de ses dogmes est : « Que la touche et règle de toutes imaginations solides et de toute vérité, c’est la conformité à la doctrine d’Aristote ; que hors de là ce ne sont que chimères et inanité ; qu’il a tout vu et tout dit. »

Qu’il lui fasse tout passer par l’étamine, et ne loge