Page:À Toulouse, année 63, n° 11 à n° 12, novembre-décembre 1959.djvu/5

La bibliothèque libre.
Cette page a été validée par deux contributeurs.
390
BULLETIN MUNICIPAL

cial, foyer de rayonnement, source féconde de vie morale,… il n’y a pas que cette question qui doive nous préoccuper…"

Toulouse possède et c’est son honneur, un enseignement primaire excellent qui a des maîtres dévoués ; il y a mieux à faire encore. Il faut développer l’enseignement professionnel… On ne fait jamais Œuvre Grande avec des hommes mal instruits, ignorants, médiocres."

Plus tard, lors d’une de ses plus brillantes interventions municipales sur un sujet toulousain toujours d’actualité, la subvention du Théâtre du Capitole, il regrettait que certains de ses collègues refusent cette subvention.

"… Je maintiens que le meilleur moyen de prédisposer les cœurs à la générosité est d’attirer la population vers le Théâtre".

Tout au long de son mandat municipal, de trop courte durée pour sa ville d’adoption, Jean Jaurès fut pour Toulouse, une source bienfaisante d’esprit social.

Ses interventions ne furent peut-être pas aussi nombreuses en cette Assemblée que l’eussent souhaité ses Collègues, mais leur densité était telle, il excellait à tel point dans le jeu des idées, sa dialectique était si poussée qu’elle entraînait toujours leur adhésion aux thèses qu’il développait.

Il parvint même à persuader le Recteur de l’Université de vaincre l’opposition de la Faculté à sa collaboration à « La Dépêche » à laquelle il tenait fort.

Son éloquence était telle qu’il pouvait tout se permettre, même, lui dont les idées socialistes s’affirmaient, de commencer une de ses conférences, la première d’une série qu’il devait donner une fois par semaine par ces mots : "Je crois en Dieu".

Plusieurs discours nous sont restés qu’il prononça dans l’exercice de ses fonctions. Nous n’en retiendrons qu’un, celui qu’il fit le 31 Juillet 1892 à l’occasion de la distribution des prix du Grand Lycée qu’il présidait.

C’est ce discours que nous allons avoir le plaisir d’écouter et qui va nous être lu par Monsieur Favarel.

— Monsieur Favarel prend place auprès de M. le Maire et donne lecture du discours suivant :


Mesdames, Messieurs, jeunes gens,

Je me félicite beaucoup du grand honneur qui a été fait, en ma personne, à la Municipalité de Toulouse. Il me permet d’abord de remercier, en votre nom, M. Gilbaut de son piquant et curieux discours. La réhabilitation de ces pauvres rêveurs d’alchimistes par la science positive contemporaine est un fait très remarquable et très suggestif. Ils ont bien, en effet, créé la chimie moderne et non pas indirectement et par ricochet ; s’ils l’ont préparée, ce n’est pas seulement parce qu’à propos de leurs chimériques recherches, ils ont rencontré des observations de détail, c’est surtout parce que ces recherches mêmes impliquaient le principe de l’unité chimique, qui a été la lumière et la vie de la chimie moderne. Ils n’ont eu qu’un tort, c’est d’élire entre tous les corps, un roi, l’or, auquel ils rapportaient tout. C’est la série tout entière qu’ils auraient dû considérer comme un individu chimique dont tous les corps ne sont que des modes particuliers, et alors ils auraient entrevu la possibilité théorique, non pas seulement de convertir certaines substances en or, mais de convertir toute substance en substance. Ainsi, à la confusion des esprits lourdement positifs, si les alchimistes se sont trompés, ce n’est pas par excès de hardiesse, mais par excès de timidité. Je serais tenté, je l’avoue, de retomber dans mon péché favori et de réclamer la même équité bienveillante pour d’autres chercheurs d’absolu, pour ces grands alchimistes des sociétés humaines qui, de 1800 à 1848, ont refondu au creuset ardent de leurs systèmes les institutions sociales et les faits sociaux, qui ont voulu convertir en solidarité les brutalités de la vie et de transmuer en or pur le plomb vil des égoïsmes et des appétits. Mais de ces alchimistes-là, il serait prématuré même de dire ici le véritable nom, et je laisse aux distributions des prix de l’avenir le soin de les réhabiliter.

Je suis heureux aussi de constater les beaux succès du Lycée, dont la Ville de Toulouse est justement fière. Cette année, vous l’avez comblée. Vous avez eu trente-cinq admissibles à Saint-Cyr, huit nominations au Concours Général, dont un prix d’histoire, et quatre admissibilités à l’École normale supérieure, dont deux pour la Section des Lettres. De mon temps, pour la Section des Lettres, on ne se préparait qu’à Paris. Il y a là, au profit de Toulouse, un commencement de cette décentralisation intellectuelle et universitaire dont il a été beaucoup parlé. Je n’ai pas assez d’autorité pour oser féliciter de ce beau succès les professeurs du Lycée. Je leur demande seulement la permission de m’en réjouir avec eux.

Me voici arrivé maintenant à la partie embarrassante de ma tâche : mes fonctions m’obligent presque, jeunes gens, à vous donner quelques conseils, et je ne sais trop si j’en ai le droit. Il en est un pourtant, un seul, que je puis vous donner sans présomption, sans empiétement téméraire sur votre liberté, car je veux vous avertir précisément et vous presser de sauvegarder toujours votre liberté intime, d’être et de rester des personnes, d’être et de rester vous-mêmes et de développer en vous la vie vraiment individuelle, la vie intérieure et profonde.

Vivre pour autrui, mais vivre avec soi-même, voilà quelle est, à mon sens, notre double loi, et avec les nécessités extérieures toujours plus pressantes, avec les fatigues croissantes de la civilisation, il n’est peut-être pas inutile de le rappeler. Ce n’est pas, vous m’entendez bien, que je veuille vous convier à une sorte de solitude mélancolique et hautaine, dédaigneuse de l’action et oublieuse de la solidarité. Les temps ne sont plus où cela était possible ou même passagèrement légitime. Il y a eu un moment, au commencement de ce siècle, ou plus exactement dans le premiers tiers de ce siècle, où la jeunesse pensante, celle qui avait du génie ou quelque étincelle de génie, semblait se plaire dans un isolement songeur, attristé ou farouche. Par un saisissant paradoxe, le même Napoléon qui avait arraché des millions d’hommes à la tranquillité du foyer et aux songeries idylliques pour les précipiter dans l’action, qui avait perdu les individus dans des masses mouvantes et organisées et qui avait mêlé les peuples et les races, avait donné aux âmes humaines l’exemple et le signal de la solitude. Il déchaînait les bouleversements, mais pour réaliser une pensée secrète ; et le tumulte de l’histoire répondait au silence de son rêve. Il passait mystérieux et impénétrable jusqu’au jour où sa volonté solitaire éclatait en événement : il était comme un