Page:À la recherche du temps perdu édition 1919 tome 2.djvu/123

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quelque petite querelle dont il choisissait le prétexte qu’il se résolvait à ne pas lui écrire et à ne pas la revoir avant son retour, donnant ainsi les apparences, et demandant le bénéfice d’une grande brouille, qu’elle croirait peut-être définitive, à une séparation dont la plus longue part était inévitable du fait du voyage et qu’il faisait commencer seulement un peu plus tôt. Déjà il se figurait Odette inquiète, affligée, de n’avoir reçu ni visite ni lettre et cette image, en calmant sa jalousie, lui rendait facile de se déshabituer de la voir. Sans doute, par moments, tout au bout de son esprit où sa résolution la refoulait grâce à toute la longueur interposée des trois semaines de séparation acceptée, c’était avec plaisir qu’il considérait l’idée qu’il reverrait Odette à son retour : mais c’était aussi avec si peu d’impatience, qu’il commençait à se demander s’il ne doublerait pas volontairement la durée d’une abstinence si facile. Elle ne datait encore que de trois jours, temps beaucoup moins long que celui qu’il avait souvent passé en ne voyant pas Odette, et sans l’avoir comme maintenant prémédité. Et pourtant voici qu’une légère contrariété ou un malaise physique — en l’incitant à considérer le moment présent comme un moment exceptionnel, en dehors de la règle, où la sagesse même admettrait d’accueillir l’apaisement qu’apporte un plaisir et de donner congé, jusqu’à la reprise utile de l’effort, à la volonté — suspendait l’action de celle-ci qui cessait d’exercer sa compression ; ou, moins que cela, le souvenir d’un renseignement qu’il avait oublié de demander à Odette, si elle avait décidé la couleur dont elle voulait faire repeindre sa voiture, ou, pour une certaine valeur de bourse, si c’était des actions ordinaires ou privilégiées qu’elle désirait acquérir (c’était très joli de lui montrer qu’il pouvait rester sans la voir, mais si après ça la peinture