Page:À la recherche du temps perdu édition 1919 tome 2.djvu/144

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Mais sa si précautionneuse prudence fut déjouée un soir qu’il était allé dans le monde.

C’était chez la marquise de Saint-Euverte, à la dernière, pour cette année-là, des soirées où elle faisait entendre des artistes qui lui servaient ensuite pour ses concerts de charité. Swann qui avait voulu successivement aller à toutes les précédentes et n’avait pu s’y résoudre avait reçu, tandis qu’il s’habillait pour se rendre à celle-ci, la visite du baron de Charlus qui venait lui offrir de retourner avec lui chez la marquise, si sa compagnie devait l’aider à s’y ennuyer un peu moins, à s’y trouver moins triste. Mais Swann lui avait répondu :

— Vous ne doutez pas du plaisir que j’aurais à être avec vous. Mais le plus grand plaisir que vous puissiez me faire, c’est d’aller plutôt voir Odette. Vous savez l’excellente influence que vous avez sur elle. Je crois qu’elle ne sort pas ce soir avant d’aller chez son ancienne couturière, où, du reste, elle sera sûrement contente que vous l’accompagniez. En tous cas vous la trouveriez chez elle avant. Tâchez de la distraire et aussi de lui parler raison. Si vous pouviez arranger quelque chose pour demain qui lui plaise et que nous pourrions faire tous les trois ensemble. Tâchez aussi de poser des jalons pour cet été, si elle avait envie de quelque chose, d’une croisière que nous ferions tous les trois, que sais-je ? Quant à ce soir, je ne compte pas la voir ; maintenant si elle le désirait ou si vous trouviez un joint, vous n’avez qu’à m’envoyer un mot chez Mme  de Saint-Euverte jusqu’à minuit, et après chez moi. Merci de tout ce que vous faites pour moi, vous savez comme je vous aime. »

Le baron lui promit d’aller faire la visite qu’il désirait après qu’il l’aurait conduit jusqu’à la porte de l’hôtel Saint-Euverte, où Swann arriva tran-