Un soir où Swann avait accepté de dîner avec les Verdurin, comme pendant le dîner il venait de dire que le lendemain il avait un banquet d’anciens camarades, Odette lui avait répondu en pleine table, devant Forcheville, qui était maintenant un des fidèles, devant le peintre, devant Cottard :
— Oui, je sais que vous avez votre banquet ; je ne vous verrai donc que chez moi, mais ne venez pas trop tard.
Bien que Swann n’eût encore jamais pris bien sérieusement ombrage de l’amitié d’Odette pour tel ou tel fidèle, il éprouvait une douceur profonde à l’entendre avouer ainsi devant tous, avec cette tranquille impudeur, leurs rendez-vous quotidiens du soir, la situation privilégiée qu’il avait chez elle et la préférence pour lui qui y était impliquée. Certes Swann avait souvent pensé qu’Odette n’était à aucun degré une femme remarquable, et la suprématie qu’il exerçait sur un être qui lui était si inférieur n’avait rien qui dût lui paraître si flatteur à voir proclamer à la face des « fidèles », mais depuis qu’il s’était aperçu qu’à beaucoup d’hommes Odette semblait une femme ravissante et désirable, le charme qu’avait pour eux son corps avait éveillé en lui un besoin douloureux de la maîtriser entièrement dans les moindres parties de son cœur. Et il avait commencé d’attacher un prix inestimable à ces moments passés chez elle le soir, où il l’asseyait sur ses genoux, lui faisait dire ce qu’elle pensait d’une chose, d’une autre, où il recensait les seuls biens à la possession desquels il tînt maintenant sur terre. Aussi, après ce dîner, la prenant à part, il ne manqua pas de la remercier avec effusion, cherchant à lui enseigner selon les degrés de la reconnaissance qu’il lui témoignait, l’échelle des plaisirs qu’elle pouvait lui causer, et dont le suprême était de le garantir, pendant le temps que