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CHARLEMAGNE ÉTUDIE LES « ARTS LIBÉRAUX »

[25.] Il parlait avec abondance et facilité et savait exprimer tout ce qu’il voulait avec une grande clarté[1]. Sa langue nationale ne lui suffit pas : il s’appliqua à l’étude des langues étrangères et apprit si bien le latin qu’il s’exprimait indifféremment en cette langue ou dans sa langue maternelle. Il n’en était pas de même du grec, qu’il savait mieux comprendre que parler[2]. Au surplus, il avait une aisance de parole qui confinait presque à la prolixité[3]. Il cultiva passionnément les arts libéraux[4] et, plein de vénération pour ceux qui les enseignaient, il les combla d’honneurs. Pour l’étude de la grammaire, il suivit les leçons du diacre Pierre de Pise, alors dans sa vieillesse[5] ; pour les autres disciplines, son maître fut Alcuin, dit Albinus, diacre lui aussi, un Saxon originaire de Bretagne[6], l’homme le plus savant qui fût alors. Il consacra beaucoup de temps et de labeur à apprendre auprès de lui la rhéto-

  1. Cherchant à caractériser l’ « éloquence » (« genus eloquendi ») d’Auguste, Suétone (Vie d’Auguste, lxxxvi, 1) avait déjà dit à peu près dans les mêmes termes : « praecipuamque curam duxit sensum animi quam apertissime exprimere ».
  2. Ces indications répondent à celles que Suétone fournit habituellement sur chacun des empereurs touchant leurs connaissances tant en langue grecque qu’en langue latine. Voir Vies d’Auguste, lxxxix, 1 ; de Tibère, lxxi, 1 ; de Claude, xlii, 1. De Titus, Suétone écrit qu’il s’exprimait avec facilité aussi bien en grec qu’en latin : « latine graeceque… in orando… promptus et facilis » (Vie de Titus, iii, 2). Il est possible, en outre, qu’Éginhard se soit souvenu de ce que Paul Diacre avait dit de l’évêque Chrodegang dans son Histoire des évêques de Metz — dont nous avons vu déjà (§ 2 et 15) qu’il devait avoir eu le texte sous les yeux : « Eloquio facundissimus, tam patrio quamque etiam latino sermone imbutus » (Monumenta Germaniae, Scriptores, t. II, p. 267).
  3. Suétone avait dit (Vies de Caligula, lii, 1 ; de Vespasien, xxii), en employant les mêmes mots qu’Éginhard, que Caligula avait la parole facile (facundus), et il avait noté que Vespasien était « dicacitatis plurimae ».
  4. Comme Tibère, dont Suétone avait dit en termes identiques : « Artes liberales utriusque generis studiosissime coluit » (Vie de Tibère, lxx, 1).
  5. Dans une de ses lettres, adressée à Charlemagne en 799, Alcuin évoque le nom de Pierre de Pise en rappelant son activité comme professeur de grammaire à la cour royale : « Idem Petrus fuit qui in palatio vestro grammaticam docens claruit » (Monumenta Germaniae, Epistolae karolini aevi, t. II, p. 458). Cf. Manitius, Geschichte der lateinischen Literatur des Mittelalters, t. I (1911), p. 452 et suiv., et les deux poèmes envoyés à Pierre de Pise lui-même au nom de Charlemagne, dans K. Neff, Die Gedichte des Paulus Diaconus (1908), nos 34 et 40. Ces deux poèmes, et peut-être même la correspondance d’Alcuin, devaient être connus d’Éginhard.
  6. L’île de Bretagne — la Grande-Bretagne — bien entendu.