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Page:Élémir Bourges, Les Oiseaux s'envolent et les fleurs tombent, 1893.djvu/32

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ET LES FLEURS TOMBENT

canonnières… Comme il m’a dit qu’il avait faim et que voilà deux nuits qu’il ne dormait pas : Tiens, mange, mon beau coq mignon, je lui ai dit, et une fois qu’il a eu mangé, il s’est endormi près du feu… Mais, attention, il se réveille !

En effet, le dormeur prononçait des paroles confuses ; puis, il ouvrit les paupières et se dressa. Des gouttes de sueur lui tombaient du front, ses mains pâles tremblaient de fièvre. La cantinière s’avança vers lui.

— Allons, à merveille, fit-elle. J’allais tout justement vous réveiller, comme vous me l’aviez commandé.

— L’air est âpre, répondit le jeune homme. La rosée de la nuit m’a glacé… Ah ! quelle heure est-il ?

— Eh bien, il ne doit pas être fort loin de deux heures… Mais, ma foi, écoutez, monsieur. Tout beau garçon que vous êtes, je ne voudrais pas vous avoir pour camarade de lit, bien sûr !… Non, non ! Ce n’est pas ça que je veux dire. Ce n’est pas ce que vous pouvez penser… Mais vous parlez, vous vous tournez, vous vous agitez, comme un cheval sous son collier, ma foi !… oui, comme un cheval qui regimbe.

L’homme, les yeux vaguement fixés à l’horizon, agrafait son lourd ceinturon. Il reprit, en secouant la tête :

— J’ai fait un rêve, madame Éloi, un rêve si horrible et si noir, que j’en frissonne encore, à présent.

— Un rêve ! s’écria la cantinière… Oh ! monsieur, racontez-le, je vous prie. J’aime tellement entendre les rêves… Mon Dieu ! mon Dieu ! je pourrais rester des heures entières à en écouter… Oh ! racontez-le, je vous prie.

— Eh bien, soit ! commença le jeune homme… Il me semblait que je marchais dans un grand cimetière, qui était semé d’os humains… Et, tout en marchant, je me disais : Pourquoi ma mère tarde-t-elle ?

— L’excellent cœur ! interrompit Mme Éloi… Mais je vais vous dire. La pauvre dame est peut-être malade… On a vu des choses pareilles… Oh ! il y a des choses extraordinaires !

— Non ! répliqua-t-il, je suis tout seul, sans famille ; je n’ai jamais connu ma mère… Mais soudain, la terre