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Page:Élisée Reclus - Évolution et révolution, 1891.djvu/37

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adversaires ne songent plus que par accès, et sans y croire eux-mêmes, à maintenir le peuple endormi dans cette bonne religion de résignation et d’humilité qui était pourtant si commode pour expliquer la misère, l’injustice et l’inégalité sociales. De toutes les digues opposées au courant révolutionnaire, celle-ci était de beaucoup la plus solide ; mais, lézardée de tous côtés, elle fait eau, elle penche et chaque flot en emporte sa pierre.

Que faire pour remplacer la religion qui s’en va ? Puisque l’opprimé ne croit plus au miracle, peut-être pourra-t-on le faire croire au mensonge ? C’est dans cette espérance vaine que des savants, économistes, académiciens, commerçants, financiers, ont imaginé d’introduire dans la science cette proposition hardie, que la propriété et la prospérité sont toujours la récompense du travail. Mais il y aurait pudeur à discuter de pareilles assertions. En prétendant que le labeur est l’origine de la fortune, les économistes ont parfaitement conscience qu’ils ne disent pas la vérité. Aussi bien que les socialistes, ils savent que la richesse est le produit, non du travail personnel, mais du travail des autres ; ils n’ignorent pas que les coups de bourse et les spéculations, origine des grandes fortunes, n’ont pas plus de rapport avec le travail que n’en ont les exploits des brigands ; ils n’osent pas prétendre que l’individu ayant 200,000 francs à dépenser par jour, c’est-à-dire exactement ce qui serait nécessaire pour faire vivre cent mille personnes, se distingue des autres hommes par une intelligence cent mille fois supérieure à celle de la moyenne. Ce serait être dupe, presque complice, de s’attarder à discuter les arguments hypocrites de cette prétendue origine de l’inégalité sociale.