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constater les changements qui se sont produits déjà dans la manière de penser et de sentir, depuis le milieu du siècle ! La nécessité d’un maître, d’un chef ou capitaine en toute organisation paraissait hors de doute : un Dieu dans le ciel, ne fût-ce que le Dieu de Voltaire, un souverain sur un trône ou sur un fauteuil, ne fût-ce qu’un roi constitutionnel ou un président de république, « un cochon à l’engrais », suivant l’heureuse expression de l’un d’entre eux ; un patron pour chaque usine, un bâtonnier dans chaque corporation, un mari, un père à grosse voix dans chaque ménage. Mais de jour en jour le préjugé se dissipe et le prestige des maîtres diminue ; les auréoles pâlissent à mesure que grandit le jour. En dépit du mot d’ordre, qui consiste à faire semblant de croire, même quand on ne croit pas, en dépit d’académiciens et de normaliens qui doivent à leur dignité de feindre, la foi s’en va et malgré tes agenouillements, les signes de croix et les parodies mystiques, la croyance en ce Maître Éternel dont était dérivé le pouvoir de tous les maîtres mortels se dissipe comme un rêve de nuit. Ceux qui ont visité l’Angleterre et les États-Unis à vingt années d’intervalle s’étonnent de la prodigieuse transformation qui s’est accomplie à cet égard dans les esprits. On avait quitté des hommes fanatiques, intolérants, féroces dans leurs croyances religieuses et politiques ; on retrouve des gens à l’esprit ouvert, à la pensée libre, au cœur élargi. Ils ne sont plus hantés par l’hallucination du Dieu vengeur.

La diminution du respect est dans la pratique de la vie le résultat capital de cette évolution des idées. Allez chez les prêtres, bonzes ou marabouts : d’où vient leur amertume ? de ce qu’on ose penser