Page:Émile Faguet - L'Art de lire.djvu/11

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Nous lisons Descartes. Première impression : quel positiviste ! Ne rien croire sur autorité, ne rien croire que sur observation faite par nous et réflexion faite par nous. Et éclairés par quelle lumière ? Assurés par quel critérium ? Par « l’évidence » c’est-à-dire par la nécessité où nous serons de croire à moins de renoncer à notre intellect lui-même, par la nécessité où nous serons de croire sous peine de suicide intellectuel. C’est le positivisme lui-même.

Poursuivez, lisez encore et rapprochez. Mais qui nous assurera que notre évidence n’est pas trompeuse ? Rien ! — Si ! Dieu ! Dieu qui ne peut pas se tromper ni nous tromper, et qui, par conséquent nous a donné une évidence qui n’est pas une illusion d’évidence et par lequel nous sommes donc assurés qu’à croire à notre évidence nous ne serons pas illusionnés. Mais reprenons : Dieu qui ne peut pas se tromper, c’est Dieu-vérité, et Dieu qui ne peut pas nous tromper, c’est Dieu-bonté. Pour croire à notre évidence, c’est donc à Dieu-omniscient et à Dieu-providence qu’il faut croire, et notre condition de connaissance, c’est donc Dieu-vérité et Dieu-providence. Et cette connaissance dépendant de Dieu-providence, ce n’est pas très différent de la vision en Dieu de Malebranche. Ne voir que parce que Dieu permet que nous voyons, c’est voir en Dieu ; voir par Dieu, c’est voir en Dieu. Descartes n’est donc pas un positiviste, c’est un déiste et quel déiste ! C’est un