Page:Émile Faguet - L'Art de lire.djvu/120

La bibliothèque libre.
Cette page a été validée par deux contributeurs.

entre le Misanthrope et le Mariage forcé. La lecture est pour lui un plaisir passif, pour mieux parler un plaisir uni, sans accidents, sans montées et sans descentes, sans grandes émotions, sans transports d’admiration et sans irritations vives, sans émotions, pour tout dire d’un mot.

Le lecteur qui lit en critique se prive à la vérité de plaisirs médiocres ou moyens ; mais c’est la rançon ; et, par compensation de cette perte, il se prépare des plaisirs exquis quand il découvrira l’œuvre exquise. Ce ne sont donc pas les « très belles choses » dont il se prive, ce sont les très belles choses que d’avance il met à part en se mettant en état, quand il les trouvera, de les démêler du premier coup avec un cri d’amour et de gratitude.

Au fond il ne faut pas dire qu’il n’y a que les critiques qui ne jouissent pas ; il faut dire qu’il n’y a que les critiques qui jouissent vivement. Le lecteur critique est le lecteur armé, armé d’armes défensives. On ne l’emprisonne pas, on ne le garrotte pas du premier coup, ni facilement ; mais, précisément à cause de cela, quand on le charme c’est avec l’ivresse du plaisir qu’il laisse tomber toutes ses armes.

Ce n’est pas à dire (et Nietzsche a d’excellentes remarques sur ce point), que le lecteur doive être armé tout d’abord, en ouvrant le livre, ni le spectateur tout d’abord en voyant la toile se lever. Il faut d’abord se livrer, vouloir se livrer, se livrer par méthode. Nietzsche dit très bien : « L’amour en tant