Page:Émile Faguet - L'Art de lire.djvu/148

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une composition bien ordonnée, une disposition claire et peut-être déjà adroite des idées, et un style déjà plus ou moins formé, et ce sera toujours sur ces choses qu’il faudra juger un devoir d’enfant. La personnalité, l’originalité, n’y comptez point.

Elles viendront, et chez très peu, chez infiniment peu, beaucoup plus tard. Qui est-ce qui a une personnalité ? Ils sont rares qui en ont une. Presque personne n’est une personne. Et à seize ans, personne n’est une personne. À quelques indices seulement, tel ou tel marque ou fait espérer qu’il en sera une.

Même cette chasse à la personnalité, louable en soi, peut être un défaut chez le professeur. Il y a le professeur qui ne cherche qu’à rapprocher tous ses élèves d’un type convenu de bon sens, de rectitude d’esprit et de bon goût. C’est le professeur ordinaire. Il y a aussi le professeur qui, par souci, certes très louable, de chercher la personnalité et de la faire naître, prend, avec une bonne volonté touchante, pour des marques de personnalité hésitante encore et se cherchant, mais pouvant aboutir, de simples signes de bizarrerie, ou de simples boutades d’espiègle. Tel ce professeur, peut-être légendaire, qui était enchanté de l’élève Croulebarbe qui avait fait l’éloge de la Saint-Barthélémy : « Il a tort, je le lui ai dit, il a tort ; mais il est personnel. Eh ! Eh ! Il est personnel ». C’est d’un professeur de ce genre qu’un de ses collègues disait : « Voilà Fliegenfanger qui est encore à la recherche d’un esprit faux ».