Page:Émile Faguet - L'Art de lire.djvu/159

La bibliothèque libre.
Cette page a été validée par deux contributeurs.

Ajoutez que, quel que soit l’auteur qu’on relise, si l’on sent plus, si l’on sent moins, si l’on comprend plus, si l’on comprend mieux, même si l’on comprend moins ; ce sont en partie les événements mêmes de votre vie qui en sont la cause, et que par conséquent, relire, c’est revivre.

On écrirait très bien une autobiographie avec les impressions comparées de ses lectures et qu’on pourrait intituler En relisant. Relire, c’est lire ses mémoires sans se donner la peine de les écrire. C’est peut-être tout profit.

Il va sans dire que tout cela n’arrive que dans le commerce des très grandes œuvres. Un médiocre roman oublié, et qu’on croit n’avoir pas lu, et que l’on reprend en mains vous donne une singulière impression quand on s’aperçoit qu’on l’a lu déjà. Il vous ennuie plus que de droit. On le continue, parce qu’on ne s’en rappelle pas le dénouement et qu’on veut le connaître ; mais on est sûr que l’impression finalement ne sera pas agréable, et l’on s’en veut de céder à la curiosité, ce qui fait paraître le livre plus mauvais qu’il n’est réellement. C’est un fâcheux qui fut douloureux, et qui revient, et qu’on ne reconnaît pas d’abord et qu’on reconnaît, à sa voix, un instant après, avec désespoir. Évidemment, il ne faut relire que ce qu’on a vraiment désir de retrouver. C’est une grande marque, pour un livre, d’excellence ou de conformité avec notre caractère, que le désir que l’on a de le rouvrir. Iterum quæ digna legi sint.