Page:Émile Faguet - L'Art de lire.djvu/23

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ou un poète. Cette possession de nous-mêmes par une fiction est une chose assez curieuse. C’est une sorte d’enivrement, et c’est-à-dire c’est à la fois une perte et une augmentation de notre personnalité. C’est un état suggestif. En lisant un roman qui nous passionne, nous ne sommes plus nous-mêmes et nous vivons dans les personnages qui nous sont présentés et dans les lieux qui nous sont peints par le magus, comme dit très bien Horace, c’est-à-dire par l’hypnotiseur. Il y a perte de notre personnalité.

Mais aussi il y a augmentation de notre personnalité en ce sens que, dans cette vie d’emprunt, nous nous sentons vivre plus puissamment, plus amplement, plus magnifiquement qu’à l’ordinaire. Et ce moi d’emprunt, vivant d’une vie plus riche que le moi proprement dit, c’est encore nous-mêmes. Le moi proprement dit en est comme le support et est heureux de le supporter et de s’en sentir agrandi. Ou il est comme le vase qui le reçoit et qui est heureux de le recevoir, et comme un vase qui, en recevant, s’agrandirait, s’élargirait, se dépasserait. Nous recevons en nous l’âme de la princesse de Clèves et, tout en sentant fort bien que c’est d’une autre âme que nous vivons pour une heure, nous sentons aussi que notre âme à nous enveloppe l’âme étrangère qu’elle reçoit, et s’en pénètre et s’en enrichit merveilleusement, ou du moins d’une façon qui nous parait merveilleuse.

Pour vous rendre compte de cette hypnose, portez