Page:Émile Faguet - L'Art de lire.djvu/40

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disant : « Je voudrais être ce monsieur qui passe ; il doit avoir une foule d’idées qui me sont complètement étrangères ; son essence lui est particulière ». Et encore non, point tout à fait ; le chercheur d’exceptions voudrait être le monsieur qui ne passe pas, le monsieur qui n’est jamais passé devant lui et qui n’y passera jamais.

Il ne peut pas être très sociable ; ne lui parlez pas ; vous êtes au nombre des choses connues. Vous avez la vulgarité du réel. Il est incontestable que c’en est une. Il n’y a de distingué, comme se distinguant nécessairement de tout, que ce qui n’existe pas, et même que ce qui ne peut pas exister ; car pour être conçu comme pouvant exister, il faut déjà ressembler à quelque chose.

Tout ce que je viens de dire est généralement vrai ; mais, comme il arrive, les choses sont quelquefois tout à l’inverse.

Par un certain besoin de réaction contre soi-même et pour ne pas tomber du côté où l’on sent qu’on penche, c’est quelquefois le penseur très abstrait et l’homme d’examen intérieur qui aime, souvent du moins, lire des ouvrages de pure narration, et l’on a cité tel très digne héritier de Montesquieu qui faisait ses délices de Ponson du Terrail.

C’est quelquefois et même assez souvent un homme à penchants romanesques qui fait sa lecture ordinaire des romans réalistes, et ici l’on pourrait citer Flaubert lui-même, qui, romanesque et roman-