Page:Émile Faguet - L'Art de lire.djvu/61

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Quand Orgon parle à sa fille c’est de ce style tranchant et acerbe :

Ah ! voilà justement de nos religieuses,
Lorsqu’un père combat leurs flammes amoureuses.
Debout ! Plus votre cœur répugne à l’accepter
Plus ce sera pour vous matière à mériter ;
Mortifiez vos sens avec ce mariage,
Et ne me rompez pas la tête davantage.

Et, quand c’est l’élève de Tartuffe qui parle, même non plus devant lui, mais répétant une leçon qu’autrefois il a apprise de lui, voyez le style sinueux, tortueux, serpentin, voyez la démarche de Tartuffe dans le style d’Orgon :

Ce fut pour un motif de cas de conscience :
J’allais droit à mon traître en faire confidence
Et son raisonnement me vint persuader
De lui donner plutôt la cassette à garder,
Afin que pour nier, en cas de quelque enquête,
J’eusse d’un faux-fuyant la faveur toute prête,
Par où ma conscience eût pleine sûreté
À faire des serments contre la vérité.

De même Elmire, qui a un style si court, si direct et si franc dans la scène trois du troisième acte, parce qu’elle n’est nullement une coquette, quoi que d’aucuns en aient cru, change de style, non seulement en ce sens qu’elle parle un tout autre langage, comme le lui fait remarquer Tartuffe (« Madame, vous parliez tantôt d’un autre style ») ; mais aussi dans le sens grammatical du mot, quand elle a pris un caractère d’emprunt ; et le style alambiqué,