Page:Émile Faguet - L'Art de lire.djvu/77

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« Les matelots se passionnent pour leur navire ; ils pleurent de regret en le quittant, de tendresse en le retrouvant. Ils ne peuvent rester dans leur famille ; après avoir juré cent fois qu’ils ne s’exposeront plus à la mer, il leur est impossible de s’en passer ; comme un jeune homme ne se peut arracher des bras d’une maîtresse orageuse et infidèle. »

Le magnifique effet rythmique de la fin est dû au contraste entre les lignes sans rythme du commencement et le rythme imprécis et flottant, mais singulièrement séducteur, de la fin : « comme un jeune homme, | ne se peut arracher des bras, | d’une maîtresse orageuse | et infidèle ».

Voyez ceci, de Renan : « Je suis né, déesse aux yeux bleus, de parents barbares, chez les Cimmériens bons et vertueux qui habitent au bord d’une mer sombre, hérissée de rochers, toujours battue par les orages. On y connaît à peine le soleil ; les fleurs sont les mousses marines, les algues et les coquillages colorés qu’on trouve au fond des baies solitaires. Les nuages y paraissent sans couleur et la joie même y est un peu triste ; mais des fontaines d’eau froide y sortent des rochers et les yeux des jeunes filles y sont comme ces vertes fontaines où, sur des fonds d’herbes ondulées, se mire le ciel. »

Je laisse de côté l’effet de peinture qui est étonnant ; mais j’appelle l’attention sur l’effet rythmique ; il est dans l’opposition, légère du reste, et qu’il serait inepte de marquer comme un contraste, mais dans