Page:Émile Faguet - L'Art de lire.djvu/93

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et, par conséquent, m’impose ; il m’intimide ; il me fait un peu peur ; je l’admire ; il y a dans toute admiration un peu de terreur. Je me dis : à quelle hauteur ou à quelle profondeur faut-il que soit cet homme pour que je ne le distingue plus. Et je sens que, quelque effort que je fasse, il sera toujours à cette hauteur ou à cette profondeur, à cette distance de moi ; j’admire, je suis éperdu, je suis au moins inquiet, d’admiration. »

Ce que je disais par amusement, il en est qui ne le disent point, mais qui sont très réellement et très exactement dans l’état d’esprit que je viens de décrire. Ceux-ci ont besoin de texte obscur pour satisfaire un besoin d’admiration qui est un besoin d’inquiétude. Ils sont dans un état d’âme très connu, celui des amateurs de sciences occultes. Il n’y a dans leur cas rien d’étonnant.

— Mais nous, gens du commun et qui ne prétendons qu’à nous instruire et surtout à jouir de nos lectures, devons-nous lire les auteurs difficiles, c’est-à-dire les auteurs auxquels, à une première lecture, nous prévoyons que nous n’entendrons jamais rien ?

— Mon Dieu, oui ! D’abord parce qu’il y a une certaine paresse intellectuelle qu’il est bon de vaincre, de heurter contre de très grandes difficultés, contre de redoutables obstacles, pour qu’elle n’augmente point et pour que, en augmentant, elle ne vous mène très bas. Vous vous habituerez — transportons-nous à une autre époque pour ne blesser